La ruralité : un droit d'accès aux projets sans ticket d'entrée...

La ruralité : un droit d'accès aux projets sans ticket d'entrée...

 

Au-delà de la question économique nous avons affaire à une crise morale bien plus profonde qui affecte aujourd’hui les territoires ruraux les plus éloignés des métropoles. Cette crise gagne du terrain, elle se traduit par un double sentiment à la fois d’urgence et d’impuissance qui bouche la vue et empêche de poser un regard éclairé sur l’avenir des ruralités et des petits systèmes entreprenants.

Il semble bien que le futur se trouve hypothéqué, suspendu en permanence à des arbitrages professionnels, institutionnels ou publics dont chacun pressent qu’ils contribueront encore à aggraver les inégalités sociales et territoriales, en réduisant aussi bien les libertés décisionnels des entrepreneurs par de nouvelles contraintes que les marges d’intervention des collectivités locales – par de nouvelles économies publiques ou des transferts de charges.

Dans ce contexte de « déménagement du territoire » pour reprendre le terme du rapport d’A. Bertrand, il devient presque indécent de se référer aux politiques solidaristes pour tenter de refonder un sens collectif, tant les fractures entre les territoires deviennent de plus en plus visibles et profondes ; chacun trouvant dans son expérience personnelle ou communale, les meilleures raisons de réfuter toute participation ou contribution à la définition d’un intérêt collectif ou d’un bien commun.

Le terme même de solidarité suscite aujourd’hui un mouvement d’humeur de nombreuses catégories sociales « assignées à résidence » ou « contributrices permanentes » des mécanismes de redistribution, lesquels mécanismes concentrent les ressources, les projets et les décisions dans les centres régionaux et sédentarise les problèmes sociaux en périphérie et dans les territoires « par défaut » marqués par l’éloignement des métropoles, la faiblesse de l’économie productive, la désertification des centres, la précarité sociale. 

Les territoires ruraux ne peuvent être considérés comme des lieux de repli – des ralentisseurs d’horloge – ou des territoires en attente… Attente de projets, de touristes, de meilleure saison, de mobilité, de dimanche à la campagne, de locataires, de rénovation, d’enchantement à très haut débit, de PROJETS… Confrontés à la nécessité de dépasser l’écueil de leurs faibles ressources et ayant conservés une culture de réseaux de solidarité et de proximité généralement active, ces territoires peuvent être porteurs de nouvelles formes d’activités, voire de nouveaux modèles économiques et sociaux, plus centrés sur l’humain et créateurs d’emplois non délocalisables. Ainsi, les territoires ruraux et hyper-ruraux possèdent une intelligence propre qui leur permet de créer des dynamiques auto-entretenues en jouant de tous les niveaux de coopération utile lorsqu’ils ont encore la volonté d’envoyer des signaux positifs en préservant la qualité d’un cadre de vie, d’un patrimoine, d’un accueil authentique. C’est de cette capacité à se débrouiller un peu seul qu’ils tirent aussi fierté de leur appartenance et c’est pourquoi également, élus, acteurs économiques ou associatifs, expriment les plus grandes réserves lorsque les arbitrages et les décisions qui les concernent au présent et pour l’avenir se produisent au dehors.

Lorsque ces territoires se retrouvent enchâssés dans des systèmes urbains d’agglomération - 75 % d’entre eux le sont- la dépossession des arbitrages et des décisions n’est plus une fiction mais bien une réalité matérielle et comptable. Face à cette situation, la réponse qui leur est alors souvent opposée repose sur la liberté désormais laissée aux collectivités locales de « prendre leur avenir en main » en développant un ou des projets de territoires qui s’inscriront dans les stratégies de planification ou de programmation.

Cette réponse de principe ignore les conditions dans lesquelles peut ou non s’élaborer un projet de territoire pertinent et opérant. La plupart du temps, les moyens intellectuels, techniques, financiers et humains pour la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre, l’expertise sont structurellement faibles et n’offrent pas les capacités et les marges de manœuvre dont disposent les autres territoires.

Quant aux projets qui relèvent d’initiatives privées, associatives ou institutionnels pouvant être relayés par les politiques publiques (exemple de la création d’entreprise, des zones d’activités, du soutien à l’innovation des entreprises, de l’insertion professionnelle des demandeurs d’emploi non qualifiés, de l’incitation à la rénovation des logements privés…) ils se concentrent également dans les territoires où les compétences en ingénierie, en accompagnement, en diagnostic et conseil sont déjà mobilisées et largement présents sur l’ensemble de ces thèmes.

Or l’absence de mutualisation et de mobilité de ces ressources stratégiques qui pourraient être mises au service du développement des territoires ruraux réduit d’autant les marges d’initiatives et d’opportunités des élus et des acteurs économiques quand bien même la puissance publique invite à s’inscrire dans ces programmations stratégiques. Ce sont ces collectivités fragilisés qui se retrouvent ainsi avec un droit d’accès sans ticket d’entrée. C'est une des définitions possibles de la discrimination territoriale. 

Isabelle Favre

éclairer, traduire, transmette

7 ans

Une lecture qui pourrait permettre de situer et contribuer à réduire la "fracture territoriale" dont on parle beaucoup ces jours, enfin

Isabelle Favre

éclairer, traduire, transmette

7 ans

La question se pose sans doute de la même façon pour les groupes sociaux et pour les individus et ce que vous dites par ailleurs sur ce qu''est un groupe apporte sans doute un élément de réponse.

Catherine TUDAL 🐿️

Psychologue ENFANT ET ADULTE retraitée.Psychothérapeute retraitée..

8 ans

Effectivement, la modernité subie (celle qui a causé l'exode rural) est maintenant valorisée par l'accès à la consommation et à une réduction de l'écart mode de vie citadin et rural. Ce qui pouvait fonder la solidarité a disparu, la nécessité (le manque de solution alternative) de la participation à des corvées à tour de rôle qui existaient encore dans mon enfance ou à la construction de bâtiments a plusieurs ...Comment désormais fédérer les individus autour d'un projet est un enjeu vital mais très difficile à réaliser. Qu'avons nous en commun dans cette nouvelle ruralité? Où trouver du sens? Comment penser à moyen terme quand ne pas anticiper est le seul moyen qui reste pour ne pas désespérer de l'avenir? J'en prends pour exemple le prix de l'immobilier dans ma région (Comminges) celui qui est directement relié aux possibilités de gagner sa vie et de trouver des structures pour sa famille ( je parle des transactions, pas des prix sur les offres...). Le décalage important (30 à 50%) entre la perception des vendeurs , établie au moment de l'achat initial et celle des acquéreurs qui anticipent leurs capacités financières dans ce lieu me parait tout à fait parlant. Les solutions de l'économie sociale et solidaire sont une des réponses possibles car porteuse de sens et basées sur l'existant...

Jean-Christophe FERRER

Facilitateur territorial chez Lomagne Gersoise

8 ans

c'est effectivement en milieu rural que nous avons le plus besoin d'ingénierie, pour inventer le modèle le plus adapté à chacun, en s'appuyant comme vous présentez sur son patrimoine, ses richesses, son paysage, ses filières socialement responsable. Il ne faut plus voir dans nos budgets publics le 012 comme une charge mais comme une "richesse humaine" pour créer son propre ticket d'entrée.

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