La sécheresse des yeux présentée par Dr Kameche Ibrahim
Docteur Kameche, maître assistant en ophtalmologie et directeur du centre Bab Essept d’ophtalmologie à Blida.
Aujourd’hui on va parler essentiellement d’un sujet, qui est la sècheresse oculaire. C’est un sujet d’actualité et comme vous savez, cette maladie est très fréquente, sa fréquence est estimée actuellement à approximativement 50% de la population de + de 60 ans, c’est-à-dire que si on va prendre toute la population mondiale et si on va examiner tout le monde, on va se rendre compte que la population âgée, la population de plus de soixante ans et essentiellement les femmes, sont atteintes par cette pathologie.
Cette pathologie qui jadis touchait essentiellement comme je viens de le dire la femme d’un certain âge, cela est lié principalement à des problèmes hormonaux, aujourd’hui touchent de plus en plus une population jeune.
Qu’est-ce que la sécheresse oculaire ?
La sécheresse oculaire est une maladie multifactorielle, qui fait que plusieurs facteurs de risque interviennent pour déclencher cette maladie. Ce qui signifie qu’il n’y a pas une seule cause qui intervient dans la genèse de cette maladie mais plusieurs étiologies, plusieurs causes qui vont interagir chez la même personne pour déclencher la maladie.
Souvent, ce sont des facteurs hormonaux qui interviennent, c’est pour cette raison que les femmes sont plus touchées que les hommes et essentiellement la femme de plus de 60 ans, pourquoi ?
Eh bien, cela est dû à la ménopause, qui va intervenir dans la genèse de cette maladie. Il existe d’autres causes, comme l’utilisation des PC et smartphones qui font que la maladie est de plus en plus fréquente et touche de plus en plus une population jeune, il y a même des enfants et des adolescents malheureusement qui souffrent aujourd’hui de sécheresse oculaire.
Tous ces facteurs vont induire des perturbations au niveau du film lacrymal. Le film lacrymal, c’est la couche la plus externe de l’œil, cette couche est très importante puisqu’elle représente la première ligne de défense de notre œil vis-à-vis de l’extérieur et vis-à-vis de notre environnement.
Nous avons alors, un concept qui est celui de la surface oculaire. La surface oculaire est tout ce qui est en contact avec l’extérieur : nous avons la paupière, le film lacrymal, la conjonctive et la cornée. Donc tout ce qui est en relation avec l’extérieur et avec notre environnement.
Malheureusement avec les changements climatiques et la pollution, cet environnement va induire des modifications souvent pathologiques au niveau de notre surface oculaire. Notre première ligne de défense, c’est le film lacrymal et de ce fait, il sera alors le premier à être perturbé. Cela va induire des modifications inflammatoires, une symptomatologie fonctionnelle qui sera rapportée par le patient. Cela signifie que le patient va se plaindre de plus en plus de symptômes plus ou moins gênants, en fonction du patient. Cela va induire également des changements au niveau de notre surface oculaire et essentiellement au niveau de la cornée, ce qui peut entrainer même une atteinte de la vision dans certains cas qui restent heureusement rares.
Existe-il plusieurs formes de sécheresse oculaire ?
Oui, effectivement la sécheresse oculaire comme je viens de le dire est une maladie multifactorielle qui entraine soit une diminution de l’excrétion des larmes, donc « de l’eau » ou bien une perturbation au niveau de la sécrétion de la couche lipidique.
Le film lacrymal est formé de plusieurs couches, nous avons une première couche qui est la couche lipidique qui flotte au-dessus d’une deuxième couche qui est la couche aqueuse et puis nous avons une troisième couche qui est l’assise du film lacrymal et qui est la couche mucineuse.
Et c’est en fonction de l’atteinte, que nous aurons une perturbation de ces différentes couches.
La majorité des patients vont avoir surtout l’atteinte de la couche lipidique.
Nous avons aussi, la sécheresse oculaire liée à un défaut de fabrication de la couche aqueuse, c’est à dire « de l’eau », et puis nous avons la sécheresse oculaire liée à une perturbation de la couche lipidique.
La couche lipidique est celle qui flotte au-dessus de l’eau « couche aqueuse » et c’est la première couche pouvant être atteinte en cas de sécheresse oculaire ou en cas d’agression exogène.
Il faut savoir que la couche lipidique est sécrétée par les glandes de Meibomius. Ces glandes sont situées au niveau de nos paupières et nous allons avoir essentiellement des perturbations de cette couche dans certaines maladies comme les blépharites chroniques.
Une deuxième partie, la couche aqueuse, cette couche est surtout atteinte dans des pathologies qui sont liées à des maladies systémiques ou à des maladies rhumatismales, on parle d’ailleurs de rhumatisme de l’œil, heureusement, cette forme est rare puisqu’il s’agit de la forme la plus grave. Puis, dans certains cas nous allons avoir des formes mixtes qui font interagir les deux mécanismes à savoir un défaut de sécrétion des larmes et ensuite une perturbation de la couche lipidique.
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Quelles sont en Algérie les moyens diagnostiques et thérapeutiques des patients atteints de sécheresse oculaire ?
En Algérie, comme partout à travers le monde la séquence diagnostique est toujours la même, elle est basée essentiellement sur des éléments cliniques et anamnestiques, cela signifie que lorsqu’on a un patient qui vient pour une pathologie de surface oculaire, on commence toujours par un interrogatoire.
Le patient va présenter des signes qui vont orienter justement l’ophtalmologiste vers tel ou tel étiologie, les signes en matière de sécheresse oculaire n’ont pas une grande valeur prédictive parce qu’on va avoir les mêmes signes dans d’autres pathologies de surfaces oculaires. Par exemple le patient qui présente une allergie va présenter les mêmes signes, et qui sont : un œil rouge et une irritation chronique.
Mais, ce qui nous oriente le plus, c’est surtout ces signes, qui seront importants le matin au réveil. Un patient qui présente des signes exacerbés le matin, ça va nous orienter plus vers une sécheresse oculaire, alors qu’un patient qui va présenter une périodicité des signes, comme à chaque printemps, nous fait penser beaucoup plus à une étiologie allergique et non à une sécheresse oculaire.
Nous avons aussi l’examen clinique, le médecin va poser le diagnostic à travers l’examen clinique classique et puis certains tests diagnostiques, comme le test de Schirmer pour étudier la quantité des larmes.
Ensuite, on procède à un test qu’on appelle le test BUT (break up time) et qui permet d’examiner la stabilité du film lacrymal. Ce qui fait, que d’un point de vue clinique on peut facilement poser le diagnostic mais dans certains cas, on peut avoir besoin d’un certain nombre d’explorations qu’on va appeler le bilan de la sécheresse oculaire.
Aujourd’hui, nous avons des moyens diagnostiques qui sont polyvalents, modernes et très fiables qui nous permettent de poser rapidement et de façon certaine le diagnostic de sécheresse oculaire, en plus bien sûr des éléments anamnestiques et cliniques. Par exemple, des appareils polyvalents comme la meibographie, le BUT non invasif.
Y a-t-il à votre avis, des moyens de prévention de la sécheresse oculaire ?
Alors, la prévention c’est l’élément le plus important. Comme je viens de le dire, cette maladie devient malheureusement très fréquente.
Jadis, elle touchait une population beaucoup plus âgée, une population au-delà de 60 ans. Aujourd’hui ça touche une population de plus en plus jeune avec l’avènement des nouveaux outils technologiques, les smartphones, le pc … Ce qui induit une sécheresse oculaire même chez des personnes d’un certain âge.
Le premier conseil à donner serait de diminuer le travail sur pc, on va également conseiller à nos patients de diminuer le nombre d’heures d’utilisation du smartphone. Il existe également des moyens de prévention qui vont faire intervenir beaucoup plus l’environnement. Par exemple l’utilisation du climatiseur ou du chauffage central qui vont induire une aggravation de la sécheresse oculaire.
Il existe aussi des facteurs de risque sur lesquels on ne peut pas intervenir, comme l’aspect hormonal. A titre d’exemple la femme présentant des perturbations hormonales, malheureusement on ne peut pas agir sur cet aspect.
Aussi, dans le cas d’une personne présentant une sécheresse oculaire liée à une maladie systémique, on devra collaborer avec le médecin interniste ou le rhumatologue, et c’est le traitement de la cause (de la maladie systémique) qui va permettre de traiter la sécheresse oculaire. En plus, bien évidement du substitut lacrymal, qui est considéré aujourd’hui comme étant un élément très important dans la prise en charge de toute sécheresse oculaire.
Aujourd’hui sur le marché algérien, nous avons plusieurs classes de substituts lacrymaux. Ceux que nous conseillons sont essentiellement, des substituts lacrymaux sans conservateurs, car il faut savoir, que le conservateur peut lui-même induire ou aggraver la sécheresse oculaire.
Aussi, l’utilisation abusive de corticoïdes au long court et en automédication peut soulager le patient à court terme mais à moyen et à long terme, peut entrainer des pathologies qui peuvent être plus ou moins graves, comme le glaucome et la cataracte, qui sont des pathologies cécitantes, induites par l’utilisation abusive de corticoïdes en automédication. Donc, il faut faire très attention, pas de traitement sans prescription médicale.
Pensez-vous que les campagnes de sensibilisation sont nécessaires en Algérie ?
Cette maladie devient de plus en plus fréquente et de ce fait, les campagnes de sensibilisation sont plus que nécessaires, car certes dans certains cas cette pathologie est seulement gênante et le patient présentera uniquement des symptômes sans atteinte anatomique. Cependant, dans d’autres cas, cette pathologie peut être liée à des pathologies beaucoup plus graves, des maladies rhumatismales et systémiques qui peuvent induire à des cécités irréversibles.
Aussi, il faut faire très attention par rapport à l’aspect cité précédemment, qui est celui de l’automédication. L’utilisation des corticoïdes au long court et surtout en automédication peut induire malheureusement des dégâts, pas seulement au niveau de la surface oculaire mais également pour la vision du patient.