La science s’intéresse à nouveau au LSD et aux expériences psychédéliques
0) L’opinion pense que les champignons dits « magiques » et le LSD sont devenus des reliques héritées des années hippies et que leurs effets puissants les ont écartés de la consommation de substances illicites, supplantées par la coke et autre ecstasy. En fait, ces substances ont été un peu trop vite enterrées et refont surface dans les laboratoires de recherche. Elles présentent une double utilité, d’abord révéler la vie intérieure et la richesse d’un inconscient dont les productions cognitives sont étonnantes, notamment lorsqu’il faut trouver un sens à l’existence. Ensuite, ces mêmes substances se sont révélées assez efficaces, voire miraculeuses, pour améliorer le vécu des patients en fin de vie ou bien solutionner des cas de dépression et même décrocher des addictions au tabac ou à l’alcool. Michael Pollan, journaliste scientifique au NYT, vient de publier un ouvrage retentissant sur le revival des substances psychédéliques. Devenu best-seller, il vient d’être traduit aux éditions Quanto.
Les substances psychédéliques employées sont en fait trois. Le LSD, dérivé synthétique d’un alcaloïde de l’ergot de seigle, la psilocybine qui comme son l’indique, est une substance contenue dans le champignon éponyme et enfin moins connue, la 5-MeO-DMT, présente à l’état naturel dans le venin sécrété par peau d’un crapaud qui aux Etats-Unis est devenu une espèce protégée car il fut traqué depuis les seventies pour en extraire la peau et la fumer. Le récit de Pollan présente trois volets. D’abord une présentation de l’histoire des substances psychédéliques et notamment la glorieuse épopée du LSD depuis sa synthèse en 1938 par le chimiste Hofmann jusqu’à l’interdiction après l’usage intempestif de cette substance par une jeunesse en quête d’expérience mais aussi en dissidence avec le pouvoir, surtout à l’époque de la guerre au Viêt-Nam. Un second volet explique comment cette substance est redevenue fréquentable auprès des scientifiques et des médecins. Pollan a lui-même effectué quelque expérience et en donne une recension précise. Enfin, un dernier volet nous amène vers des considérations neuroscientifiques et thérapeutiques, sans oublier l’étude du psychisme humain et les avancées sur la compréhension de la conscience.
1) La facétieuse histoire du LSD est connue de tous, même si les détails et les anecdotes divergent selon les narrateurs. Pollan offre un point de vue intéressant et précis sur le contexte social dans lequel le LSD et les champignons magiques se sont invités dans la société au point de contribuer à façonner cette culture psychédélique que tous les mélomanes connaissent, après avoir regardé les étranges figures kaléidoscopiques, tout en écoutant les œuvres musicales composées dans la seconde moitié des sixties, des Beatles à Pink Floyd. Les champignons magiques sont connus depuis des millénaires dans certaines tribus amérindiennes mais lors de la conquête espagnole, l’Inquisition condamna les usagers de ces substances alors que l’Eglise jugea en 1620 que la consommation de ces champignons à des fins divinatoires était contraire à la foi catholique. Le LSD, encore plus puissant, n’a été diffusé qu’après les années 1950 et fut aussi jugé illicite par les autorités américaines pour diverses raisons, essentiellement politiques et normatives. L’histoire du LSD est compliquée, elle se joue dans les centres d’études sur le psychisme et surtout au sein d’une jeunesse avide d’expériences nouvelles, de sensations, de créativité, avec une défiance radicale face aux valeurs américaines si chères aux présidents ainsi qu’aux éminences grises comme le fut Brzezinski. Le facétieux professeur Leary s’empara de cette affaire pour ériger le LSD en ressort promettant un changement de société basé sur la modification des consciences ; au final, son action fut contre-productive et cette substance fut bannie par les autorités et les recherches sur les psychédéliques furent privées de financement et proscrites. Quant à la jeunesse, elle délaissa ces substances qui souvent généraient un « bad trip », un mauvais voyage aux conséquences parfois tragiques. S’il est exact que les psychédéliques produisent des expériences numineuses comparables à celles racontées par les gnostiques de l’Antiquité, alors il n’y a rien de surprenant à ce que les uns aient vu le paradis et les autres l’enfer. Les anciens connaissaient ces deux aspects de l’expérience non ordinaire. Il suffisait de lire l’étude de Rudolf Otto sur le sacré pour faire le rapprochement. Le numineux peut être terrifiant ou apaisant.
Hoffman avait compris les bienfaits de cette substance qu’il ingéra, vivant des expériences non ordinaires et finissant par penser en 1960 que le LSD pourrait avoir un effet sur notre civilisation en la sortant des lubies matérialistes pour la mettre en osmose avec le divin et la nature. Le LSD permet d’accéder à une expérience religieuse alors que les sociétés matérialistes ne prospèrent qu’en détruisant ou plutôt anesthésiant cette aspiration pour enrôler plus aisément les âmes dans le mécanisme (bourgeois ?) de l’exploitation.
2) Après une longue éclipse, les études sur les substances psychédéliques ont pour ainsi dire ressuscité de leur long sommeil. Et c’est ce renouveau qui incita Pollan à enquêter, tester, interroger et raconter comment ces substances sont devenues des principes actifs au service d’objectif thérapeutiques et même scientifiques. C’est cette renaissance qui est racontée, avec force précision sur les effets et les ressentis, les témoignages, les liens avec les écrits de penseurs ayant étudié les choses extraordinaires du psychisme comme James ou Maslow et la liste serait interminable. Ce second acte fait entrer en scène le médecin Griffiths qui en 2006 retrouva la passion scientifique en traçant des ponts entre les expériences psychotiques vécues par les patients et les voyages psychédéliques. La frontière est ténue. Il arrive même que des patients en phase terminale secrètent des toxines dont l’effet sur la conscience est apparenté à celui produit pas les substances psychédéliques. Un effet parfois apparenté à celui produit par l’abstinence des alcooliques, le fameux et atroce delirium tremens.
Depuis 2006 le LSD et la psilocybine sont étudiées par les laboratoires en toute discrétion mais en toute légalité, dans de nombreux pays, avec des positions avancées, en Suisse, Angleterre, aux Etats-Unis et dans d’autres pays. La France reste en retrait, ce qui ne surprend pas, notre pays ayant une propension à tout contrôler, encadrer, rationaliser et exclure le religieux sous toutes ses formes. Doors of perception, Aldous Huxley et la mescaline, les Doors, Jim Morrison. Cette incise n’a rien de gratuit. La musique des Doors est inquiétante, comme le sont les études neuroscientifiques et psychologies menées par les acteurs de ces recherches sur l’étrange effet des « hallucinogènes » qui ne produisent pas des hallucinations mais un accès à une réalité non ordinaire, bien différente des effets produit par le cannabis qui n’est pas vraiment une substance psychédélique bien qu’il altère les perceptions. Les quelques expériences menées par Pollan sous contrôle médical sont recensées avec précision. Elles enseignent peut-être une vérité dérangeante. Les substances psychédéliques seraient plus spécialement destinées au seniors de plus de 60 ans, tout simplement parce que leur psychisme est consolidé par un long vécu et qu’ils seraient plus à même de maîtriser le voyage. C’est possible. Après 55 ans, le cerveau se modifie avec l’épigénétique et c’est ce qui expliquerait les effets durable des substances psychédéliques longtemps après leur ingestion. Et la puissance du système MDP (cf. 4).
3) Si le LSD et la psilocybine ont un usage récréatif dans certains milieux, ils sont aussi de précieux outils pour étudier la conscience et les facultés cognitives de l’homme. Pollan n’a pas hésité à s’instruire des sciences pour écrire le chapitre 5 consacré aux études menées par quelques neuroscientifiques pour le moins originaux, excentriques et atypiques, trait de caractère plutôt british et c’est d’ailleurs en Angleterre que l’auteur est allé enquêter sur les résultats obtenus par les cliniciens et les scientifiques. Tout en commençant sa recension par noter que les trois substances en questions ont un motif tryptamine, ce qui leur permet de se fixer sur les récepteurs de la sérotonine mais en s’incrustant pour ainsi dire, ce qui rend durable leurs supposés effets mais ne nous renseigne pas sur ce qui se passe dans le cerveau, d’autant plus que la sérotonine reste une énigmes pour les neuroscientifiques. Et n’explique pas pourquoi l’expérience psychédélique se manifeste par une dissolution du moi et l’effondrement de la distinction entre sujet et objet, une distinction constitutive de l’existence humaine, depuis les Grecs jusqu’à notre modernité.
C’est pour cette raison que Pollan a cherché à en savoir plus en visitant l’Imperial College de Londres où travaille Robin Carthart-Harris, jeune chercheur étudiant les effets des psychédéliques avec les outils modernes de l’IRM et la MEG. Les effets de ces substances ont été identifiés sur ces appareils. Si ces recherches ont été réalisées, c’est grâce à deux autres protagonistes hors du commun dont l’histoire semble rocambolesque, surtout celle d’Amanda Feilding, aristocrate excentrique convaincu que le LSD dont elle abusa améliore les fonctions cognitives et favorise les états de conscience supérieurs. Certes, mais l’affaire n’est pas aussi simple comme nous l’apprend la suite de ce périple dans les laboratoires dévolus à la science psychédélique.
Ces recherches ont abouti à un résultat important sur le fonctionnement cérébral, un résultat explicité avec précision par Pollan. La psilocybine interfère avec un composant de l’activité cérébrale identifié comme MPD, le réseau du mode par défaut, inconnu des neurologues jusqu’en 2001. Le MPD relie les zones profondes du cerveau aux zones irriguées par les stimuli de l’expérience extérieure. Lorsque le sujet lâche prise face au monde, son système MPD s’active. Les données IRM ont montré que ce système s’activait lorsque le sujet ne pense à rien (j’ajoute qu’en langage philosophique, cela renvoie à l’époquè de Husserl, extinction du jugement). Le MPD est bien en relation avec la conscience qui vagabonde mais il est aussi un filtre entre ce qui arrive depuis le monde et ce qui vient des zones profondes de l’âme. Ce filtrage sert à la constitution de l’ego et lorsque ce filtre s’estompe, les frontières entre l’ego et le monde se dissolvent. Or, c’est exactement l’effet de la psilocybine. Un effacement de l’activité MPD qui laisse la conscience envahie par les productions internes de la psyché des profondeurs, tout en dissolvant les formes de l’expérience extérieure. En mode normal, le réseau MPD stabilise l’âme, il fait du sujet un kosmos (qui fut recherché par les philosophes phénoménologues). Ces expériences renvoient aussi aux mythes archaïques, comme l’a suggéré Pollan sans s’étendre sur ce sujet et dieu sait s’il y a à développer dans cette voie. Mitra, Varuna, Apollon, Dionysos…
Le MPD est uu filtrage issu de l’évolution qui sert à survivre puis à vivre en donne société. Il filtre le monde sur la face externe et les productions intempestives venues du plus profond de l’inconscient, propulsant les âmes vers la folie ou le génie.
4) Un dernier chapitre expose l’intérêt thérapeutique de ces substances qui comme tout pharmakon, se présente sous une figure de Janus, à la fois remède et poison. La dissolution de l’ego peut avoir un effet destructeur ou salvateur. Voilà pourquoi ces substances sont prises au sérieux par les psychothérapeutes pour solutionner divers problèmes, addictions, obsessions, dépressions sévères. Les résultats étonnants sont racontés dans le dernier chapitre, avec force détail et anecdotes. L’intérêt pour ces substances s’est répandu dans la communauté scientifique pendant les années 2010. Sept ans après les premières réunions informelles des pionniers en 2011, un congrès a réuni à Oakland la communauté des chercheurs en psychédélisme. Durant six jours, près de 3000 participants écoutèrent avec attention les conférenciers issus de 25 pays. Autant dire que la phase disruptive est passé et maintenant, souhaitons le meilleur pour ces recherches bien utiles pour aider les patients déprimés, accros ou en fin de vie. Cette traduction française de ce livre passionnant, précis et documentée est la bienvenue. Espérons que la France saura prendre le train en marche, elle qui n’a pas brillé dans d’autres domaines comme par exemple l’autisme.
On retiendra aussi cette découverte sur le mode par défaut, MPD, qui se confirme d’une importance crucial. Rappelons que ce MPD est silencieux lorsque le sujet est préoccupé par une activité ou un problème nécessitant une réflexion et qu’il s’active en génère des signaux lorsque le sujet ne « pense » plus à rien. Les interférences avec les psychédéliques montrent l’importance de ce réseau (où figure l’hippocampe) dans la constitution du moi et la gestion d’une expérience complète. Le MPD module le flux de la conscience et l’accès à certaines connaissances, notamment celle de soi. J’irai même plus loin en suggérant que ces données devraient permettre de reprendre les recherches philosophiques initiées par Husserl. La science du XXIe siècle est devant nous, elle sera d’une richesse insoupçonnée.
Michael Pollan, Voyage aux confins de l’esprit, Quanto, 2019
Inactif.ve
4 ansApparemment, si je me rappelle bien mon Robert Anton Wilson, plus on va dans les drogues dans le "cheminement de la pensée cosmique", plus elles sont éprouvantes 🤔. Prendre du LSD ou de la mescaline sans avoir familièrement trippé sur du psilo (et du canna avant) cause un saut de paradigme plus brutal et dangereux ! Je préfère que l'on légalise le canna 😋.