La solitude du cadre expat'
Par Nathalie Cabrita-FAVE
Il y aura désormais un monde avant-Covid, et un monde après-Covid. Traditionnellement séduits par la vie d’expatriés, les cadres des grosses entreprises revoient leur plan de carrière et se sentent nettement moins appelés par une carrière à l’international. Pour beaucoup, la pandémie, assortie de son lot de contraintes (quarantaines, durcissement des règles sanitaires, restriction de la circulation et des libertés individuelles, écoles fermées etc) a été synonyme de chaos et d’emprisonnement. Les frontières, presque invisibles hier, se sont « renforcées ».
Loin de leurs familles, de leurs parents, vieillissants ou âgés, restés dans l’hexagone, souvent soumis à une forme de séquestration dans les Ehpad ou dans leur propre domicile, les cadres et managers expatriés, quadras et quinquas pour la plupart, se sont découvert le mal du pays.
Beaucoup se sont sentis rejetés dans leur pays d’accueil : l’inquiétude d’une possible propagation du virus a parfois désigné l’étranger comme un vecteur de propagation…et les expatriés se sont alors sentis désignés comme des fauteurs de troubles potentiels. D’autres, tout simplement, ont perdu leur emploi et ont dû se rapatrier sur la France, dans des conditions plus ou moins confortables.
Lisa, après 12 ans à Singapour, a eu la chance de se relocaliser facilement : son mari, banquier, a trouvé un emploi en Grande Bretagne et en moins de six semaines, elle a su organiser le déménagement de sa famille et la relocalisation de tous. « Isolés sur une île en quarantaine, ça voulait dire, plus aucune possibilité de voyager. Or, si on est venu à Singapour, c’est pour pouvoir circuler dans toute la zone…de plus, un sentiment anti-étranger s’est développé », qu’elle explique par une course à l’emploi accrue par la crise économique. Elle n’est pas la seule migrante économique (aussi appelée expat’) à envisager un retour au pays à cause des conséquences de la pandémie.
Quoi qu’elle en soit, voulue ou non, l’expérience de la rapatriation est souvent une expérience compliquée…le Covid l’a rendue souvent amère. Le choc culturel du « rapatrié » est décuplé par de nombreux rapatriements effectués dans l’urgence, sans préparation. Il s’agit ensuite de se faire un trou chez les parents, de cohabiter, de concilier installation de la famille, nouveaux projets, et de réapprendre comment fonctionne une société qu’on a quittée des années plus tôt…
Les mieux armés ont de l’argent de côté. Selon une étude récente parue dans le Financial Times, l’agent immobilier Knight Franck a trouvé qu’environ 2/3 des expats affirment que le confinement avait influencé leur décision d’acheter une propriété dans leur pays d’origine. Parmi ceux-ci, environ 29% ont exprimé leur désir de déménager à temps plein, 5 cherchant une maison pour leur avenir, éventuellement pensant à une vague épidémique ultérieure.
Dans son blog theexpater.com, Nina Hobson, 38 ans, parle de son expérience personnelle. Pour cette expat britannique, qui a vécu dans 13 pays, le “chaos” de la pandémie risque bien de la forcer à revenir tôt ou tard dans son pays d’origine. Elle est actuellement en plein déménagement entre Santiago du Chile et Quito en Equateur. “Notre agent de mobilité a attrapé le Covid, si bien que nous avons eu des difficultés à avoir un logement, les écoles étaient fermées jusqu’en 2021, et nous sommes retrouvés coincés par la quarantaine ». « J’adore vivre à l’étranger, mais maintenant, je veux simplement rentrer à la maison »
Dans Courrier International, le témoignage de Sherazade évoque son sentiment de solitude, comme si elle restait étrangère à son pays d’accueil. Cette Française est expatriée à Amsterdam depuis un an et demi : « C’est la première fois que j’ai l’impression d’être vraiment à l’étranger, alors qu’avant Amsterdam était à trois heures de Paris en Thalys. Et je me rends compte que les frontières physiques existent encore entre des pays de l’espace Schengen. Cette période de confinement est vraiment particulière. J’ai juste hâte que les frontières rouvrent afin de retourner en France voir mes proches. »
A ces difficultés d’ordre psychologique, s’ajoutent les défis du chaos mondial engendré par la crise du Covid. Diriger efficacement une usine, une société ou une organisation, dans le contexte actuel, s’avère un défi peu ordinaire. Les usines au ralenti, les difficultés d’approvisionnement, les pénuries provoquent des tensions que les cadres expatriés doivent gérer avec doigté et sans avoir de réelles perspectives sur l’avenir. En parallèle, le confinement a favorisé l’émergence de nouvelles pratiques organisationnelles et les managers ont dû adopter de nouvelles mesures, notamment sanitaires, très rapidement. Ces pratiques ont eu un impact en termes d’engagement collectif au travail, d’adaptation, de santé, de nouveaux modes de travail. La donne a changé, et cette expérience a laissé des traces dans le niveau de stress des salariés, et en particulier des cadres.
Traditionnellement peu habitués à demander de l’aide, les cadres et managers expats changent et c’est l’un des effets les plus spectaculaires de cette crise : déconcertés face à un quotidien semé d’embûches, hésitants quant à des choix compliqués et un avenir d’expatrié instable, les cadres pensent désormais à faire appel à des experts qui les aident à prendre de la hauteur sur les aléas du quotidien. Et pour éviter les fuites d’information locales, ils adoptent, là aussi, des pratiques en ligne, à distance, qui leur garantissent un grand niveau de confidentialité.
Pour moi, coach et facilitatrice de leadership auprès des cadres et des managers expats, m’adapter au mode de vie de mes clients est indispensable. Je travaille en horaires décalés, en incorporant à mes conseils le cadre sociologique des pays d'accueil, et ce, sans tenir compte des jours fériés de mon pays. J’aide les cadres et managers à faire le point sur leur vie, à analyser leur situation, à prendre des décisions qui peuvent leur sembler compliquées, à sortir de la solitude et à partager leurs angoisses... en toute confidentialité. Forte de trente ans d’expatriation sur trois continents, je connais les peurs et les doutes qui minent le cadre dirigeant, quand il est confronté à la solitude et à l’éloignement de « sa base ». La force, c'est de connaître ses limites. Je vous invite à diagnostiquer votre niveau de vulnérabilité dans un contexte extrêmement instable et à chercher un soutien …afin de déjouer ce que le chaos actuel, généré par le Covid, peut engendrer de troubles et de difficultés dans votre vie.