La Tarification à l’Activité, où la création d’un dispositif médico-économique
Les sources ainsi que les modalités de financement des hôpitaux ont profondément évolué au cours du temps.
Sous l’ancien régime et encore tout au long du XIXème, les principales ressources des hôpitaux sont constituées de dons, de legs et de rentes. Mais progressivement, l’hôpital, initialement destiné aux pauvres, se met à accueillir outre les « indigents (vieillards, infirmes, malades sans ressources, enfants trouvés etc.), les victimes d’accidents du travail, les bénéficiaires d’un régime de prévoyance, les militaires et victimes de guerre et d’autres malades payants »[1]. Il convient alors de fixer un tarif qui couvrira tout ou partie des coûts du séjour à l’hôpital ou à l’hospice.
1.2.1 De l’émergence du prix de journée à la tarification à l’activité
La notion de prix de journée et son recours comme mode de financement émergent par étapes. Dans ses prémices, indemnité pour frais d’hospitalisation des militaires, puis prix de journée sans distinction de spécialité ou de pathologie et ne couvrant pas tous les coûts (dons et legs étant notamment supposés couvrir les coûts immobiliers), ce mode de tarification arrive à maturité avec la réforme hospitalière de 1941. Son calcul est alors normé, son usage systématisé et différencié selon les disciplines. Il est devenu prépondérant dans les recettes hospitalières.
Reposant sur une comptabilité analytique, il est déterminé en défendant auprès de la « tutelle » le budget des dépenses nettes des recettes en atténuation ainsi que le nombre de journée prévisionnel d’hospitalisation.
Un mécanisme de reprise du résultat sur le budget de l’exercice n+1 efface les déficits ou les excédents. Mais cette neutralisation, très dé-responsabilisante, sera remplacée par des règles d’affectation du résultat. Déficits et excédents deviennent de véritables pertes ou bénéfices qui impactent les fonds propres de l’établissement.
Jugé inflationniste, le prix de journée est remplacé par la dotation globale de financement (DG) en 1983 pour les établissements publics et PSPH.
La DG constitue une rupture. Elle reprend le même périmètre des charges nettes Mais forfaitaire et versée par 12ème, la DG est indépendante du volume des journées réalisées. Les charges ne sont plus discutées dans leur détail, mais constituent une enveloppe qui évolue d’un exercice à l’autre par application d’un taux directeur modulé par des mesures nouvelles. Mais très vite, ses défauts apparaissent rédhibitoires. Inéquitable et paralysante, elle cède la place dans le champ du court séjour (MCO dans la nouvelle terminologie) à partir de 2004 à la Tarification à l’activité (T2A).
Là encore, la rupture est profonde. La logique est inversée : ce ne sont plus les dépenses prévisionnelles ou historiques de l’établissement qui déterminent le budget mais les recettes, lesquelles résultent du volume et de la nature de l’activité réalisée. Elle est moins comptable et plus médicalisée.
Il ne s’agit pour autant pas d’un retour au prix de journée, car les tarifs ne reposent désormais plus sur les charges propres à l’établissement mais sur une grille tarifaire commune aux établissements. Les tarifs tout à la fois uniformes et différenciés. Uniformes car nationaux, différenciés car reposant sur une nomenclature de pathologies.
Quant aux cliniques, elles relevaient jusqu’à l’instauration de la T2A en MCO et HAD de règles encore différentes. Elles facturaient à l’assurance maladie des forfaits de prestations (prix de journée couvrant le séjour et des forfaits techniques comme par exemple le forfait de salle d’opération en cas de séjour chirurgical) sur la base de tarifs historiques, hétérogènes, négociés avec le financeur, et pour le compte des libéraux, des actes tarifés selon la Nomenclature Générale des Actes Professionnels (NGAP). Elles vont aussi basculer, avec des modalités transitoires et un calendrier propre, dans le régime de la T2A.
L’introduction de la T2A a rapproché, à défaut d’harmoniser comme il l’avait été initialement envisagé, le mode et le niveau de financement des établissements publics et privés.
1.2.2 Une nouvelle logique médico-économique : la T2A
La tarification à l’activité n’est aucunement une spécificité française. Elle a été précédée de l’introduction aux États Unis en 1983 du Diagnosis Related Group (DRG) comme base de remboursement du programme MEDICARE. Ce modèle avait été adopté par un 20aine de pays quand il a été transposé en France. Le DRG repose sur les travaux de Robert FETTER. Pour construire cette typologie, les séjours sont classés en catégories diagnostiques principales. Puis, pour chaque catégorie, un algorithme de segmentation distingue plusieurs groupes, en fonction de leurs consommations de ressources. Il s’agit de définir des « groupes homogènes », selon la terminologie française, à la fois du point de vue médical et des coûts. De sorte que puisse lui être affecté un tarif représentatif des moyens mobilisés. Le système est dit « prospectif » en ce sens qu’il n’est pas établi a posteriori en fonction des coûts constatés, mais des moyens à priori nécessaires pour prendre en charge le patient selon sa pathologie.
La transposition en France a été préparée bien en amont par l’introduction du Programme (« Projet » initialement) Médicalisé de Système d’Information (PMSI) qui, sur la base de nomenclatures (CIM 10 pour les pathologies, CCAM pour les actes médicaux) et d’arbre de décision, classe par une opération appelée « groupage » les séjours hospitaliers en Groupe Homogènes de Malades (GHM), auxquels correspondent globalement un Groupe Homogène de Séjour.
En outre, des enquêtes nationales de coûts (ENC) ont été réalisés sur des échantillons de quelques 10aines d’établissements volontaires, disposant du système d’information adéquat et faisant l’effort d’appliquer la méthode normée de comptabilité analytique hospitalière. Conduites par l’Agence Technique de l’Information Hospitalière (atih), elles ont permis de fixer les tarifs des deux grilles publics et privés, sur la base, initialement[2], des coûts moyens constatés.
Plus encore qu’une nouvelle modalité de financement, la tarification à l’activité a été pensée en France comme un levier de maîtrise des coûts hospitaliers et de redéploiement des ressources au niveau micro comme macro-économique. Par le jeu des tarifs, les pouvoirs publics entendent positionner les établissements en acteurs économiques qui, faute de pourvoir maîtriser les prix de leurs « produits »[3], seront contraints à l’efficience (autre terme pour productivité globale) dans leur gestion et à la pertinence dans leur positionnement stratégique.
La mission T2A chargée de piloter le projet invoque dans sa présentation de la réforme quatre « bénéfices attendus :
• une plus grande médicalisation du financement,
• une responsabilisation des acteurs (= incitation à s’adapter),
• une équité de traitement entre les établissements,
• le développement des outils de pilotage qualitatifs (incitation à l’accréditation [devenue depuis certification], analyse des case-mix) et médico-économiques (contrôle de gestion et comptabilité analytique). »
En tant qu’instrument médico-économique, la T2A établit un pont entre le monde soignant et la technostructure[4], deux communautés décrites comme cohabitant sans coopérer.
Elle invite à introduire un dialogue de gestion plus ou moins harmonieux, où les intérêts se rejoignent ou divergent selon les configurations. Le salariat cohabitait bien avec la dotation globale qui n’incitait pas à maximiser l’activité, laquelle génère des charges variables. En revanche, les intérêts conjoints de l’établissement et du corps médical n’étaient pas « alignés » avec ceux des financeurs.
A l’inverse, il convient moins bien à la T2A que les honoraires, lesquels incitent à maximiser l’utilisation des ressources représentatives de charges fixes. Le financeur peut espérer une meilleure efficience (autre mot pour productivité), mais sans garantie quant à la pertinence des actes et des séjours.
En ce qui concerne la démarche, plusieurs principes ont été retenus.
Celui d’une entrée progressive compte tenu de l’effet de la réforme sur le niveau de financement : 59% des établissements ont été gagnants, et 41% perdants.
Celui d’une convergence tarifaire : à activité identique financement identique[5]. Elle est intra secteur (public/privé), et inter secteur.
Intra secteur, car au terme d’une période de transition pendant laquelle l’impact budgétaire est lissé, tous les établissements se voient appliquer soit les tarifs de la grille publique, soit privée. Ce lissage est réalisé par application d’un coefficient de transition qui s’approche progressivement de l’unité jusqu’en 2012 et par introduction d’une part chaque année plus grande des tarifs de GHS avec diminution concomitante de la dotation globale de 2004 à 2008 pour les établissements à tarification publique (cf. schéma ci-dessous).
Inter secteur car il était prévu que les deux grilles soient à terme fusionnées. Cet objectif a été abandonné en 2012[6].
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Quant à l’harmonisation des modes de financement entre les deux secteurs, elle n’est pas achevée puisque la facturation directe des séjours à l’assurance maladie (le programme baptisé FIDES) n’est qu’en cours de déploiement. En outre, le calcul du ticket modérateur, pour les établissements sous grille publique, a été maintenu transitoirement sur la base des tarifs journaliers de prestations (l’antique prix de journée prévisionnel), alors qu’il repose sur les tarifs de GHS pour le privé. Ce provisoire dure toujours. En effet, l’alignement sur le calcul du privé à la base plus étroite et non manipulable se traduirait par une perte d’1,5 Mds € et d’important transferts de recettes entre établissement. On s’oriente vers une pérennisation mais encadrée par une "nomenclature simplifiée et nationale".
Un mécanisme de régulation prix - volume est associé à la T2A : un dépassement de l’objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) voté dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) est compensé par une baisse des tarifs des GHS l’année suivante.
En pratique, le financement à l’activité n’est pas intégral et ne se résume pas au paiement des GHS. Le caractère forfaitaire du GHS est modulé par l’existence de seuils de durée de séjours.
Des suppléments quotidiens peuvent s’ajouter pour des prises en charge particulières (soins continus, intensifs, réanimation) ou pour des dispositifs médicaux implantables (prothèses) ou médicaments onéreux qui sont facturables en sus du GHS. La liste des molécules onéreuses facturable en sus commune aux deux secteurs (ce qui n’était pas le cas avant le T2A, les chimiothérapies étant facturables en sus par les cliniques en hospitalisation de jour).
Ce n’a pas été d’emblée le cas pour les dispositifs médicaux implantables (DMI), du fait de la situation qui prévalait avant la réforme : inclus dans la DG en ce qui concerne le public mais systématiquement facturés en sus dans le secteur privé.
Le passage aux urgences relève de tarifs particuliers.
Enfin les missions d’intérêt général figurant sur une liste arrêtée au niveau national sont financées par des dotations fléchées.
La structure des recettes provenant de ces modalités de financement varie en fonction du positionnement de chaque établissement. Même si la part des GHS est pour tous prépondérante, les MIGAC constituent une modalité de financement très significative pour les CHU en raison de leur mission de recours, de recherche et d’enseignement.
La T2A a été perçue par beaucoup comme une introduction contre nature de principes marchands dans le secteur de la santé, à replacer dans le courant du « new public management ». Cependant l’analyse des réformes hospitalières autorise à affirmer avec Marthe NYSSENS[7] que « l’État reste un acteur incontournable. Son intervention relève d’une combinaison de régulation tutélaire - qui a historiquement façonné les services sociaux – de régulation quasi-marchande et de régulation conventionnée ».
Le bilan de la Tarification à l’activité est très discuté sur le plan de l’incitation à l’efficience, de l’efficacité allocative et de l’effet sur la qualité[8]. Mais il est établi qu’elle a réduit la dispersion des coûts entre établissements, favorisé l’activité et accru la productivité globale des établissements.
Et elle a maintenu un différentiel de financement entre secteur public et privé. Iniquité selon la FHP, reflet de la prise en compte des charges du service public et de la non-sélection des patients pour la FHF, l’écart est réel.
Il s’explique selon les travaux statistiques de Brigitte DORMONT et Carine MILCENT[9] par la plus faible productivité des hôpitaux publics comparée aux cliniques en raison non pas d’un moindre niveau de performance intrinsèque, mais « principalement par leur taille, la composition de leur patientèle et celle de leurs séjours, caractérisée par une faible proportion de séjours chirurgicaux ».
Les caractéristiques des séjours captées par le PMSI étant insuffisamment discriminantes, on peut formuler l’hypothèse que les études nationales de coûts publics et privés reflètent ces spécificités pesant sur les coûts relatifs des deux secteurs. Et que donc, pour le même éventail de GHS (ou « case mix »), la grille publique est plus rémunératrice.
NOTES :
[1] Les origines du prix de journée dans les hôpitaux en France (1850-1940) - Claire BOUINOT, École des Mines (CGS)
[2] Les tarifs se sont écartés des coûts des GHM comme l’ont constaté, pour le déplorer, l’IGAS (Évaluation de la tarification des soins hospitaliers et des actes médicaux – 2012), la Cour des Comptes (L’Avenir de l’assurance Maladie, 2017 et La tarification à l’activité, 2023) et le Professeur et directeur de recherches à l’École des mines de Paris, Jean-Claude MOISDON.
[3] Paradoxalement, la fixation des tarifs par les pouvoirs publics place les établissements dans la situation de concurrence pure et parfaite de la théorie néoclassique. Ce mécanisme a aussi été rattaché au concept de concurrence par comparaison (A theory of yardstick competition – A. SCHLEIFER – 1985 - The Rand Journal of Economics) ou encore de quasi-marché (Le développement des quasi-marchés dans la protection sociale - Howard GLENNERSTER et Julian LE GRAND – 1995 – Revue française d’Économie).
[4] A ce titre, la T2A a été analysée comme un « objet frontière ». BONNIER C., SAULPIC O. et ZARLOWSKI P., 2013. Un tableau de bord objet-frontière entre deux communautés : étude de cas d’une clinique. 34e Congrès de l’Association Francophone de Comptabilité, Montréal.
[5] En réalité, il est tout de même tenu compte des différences de coûts en raison de la situation géographique de l’établissement. Des coefficients géographiques majorent les tarifs si l’établissement se situe en Corse, en Outre-mer ou en Ile de France.
[6] Au grand dam de la Fédération de l’Hospitalisation Privée. Mais il n’était pas certain que le PMSI « capte » correctement les différences de lourdeur de patient à case mix identique entre les hôpitaux et les cliniques, de sorte que la neutralité tarifaire n’était pas garantie. Lire à ce sujet : Les écarts des coûts hospitaliers sont-ils justifiables ? Réflexions sur une convergence tarifaire entre les secteurs public et privé en France – 2009 – IRDES.
[7] L’émergence des quasi-marchés : une mise à l’épreuve des relations pouvoirs publics - associations. Les politiques sociales – 2015 - no. 1&2, p. 32-51
[8] Quelles évolutions récentes de la productivité hospitalière dans le secteur public ? Nicolas STUDER – Économie et statistique N° 455-456, 2012 et Premier bilan de la T2A sur la variabilité des coûts hospitaliers - Carine MILCENT
[9] Comment évaluer la productivité et l’efficacité des hôpitaux publics et privés ? Les enjeux de la convergence tarifaire - Brigitte DORMONT et Carine MILCENT - Économie et statistique N° 455-456, 2012
Photographe indépendante societe en nom propre studio et autres activites,agence de mannequins,PDG Mme Le Du,ste créé en 2005 à Arpajon,Tel:07 51 22 31 90 ou 0751223790
1 moisHello Claire j espère que tu vas bien.Marjolaine ton amie d enfance. Vr LinkedIn Marjolaine Le Du chef d entreprise
Consultante Senior
1 ansEnfin bon, le problème quel est-il ? La santé n'a pas de prix mais elle a un coût ... tous les modèles peuvent être testés, cette conclusion demeurera la même !
Consultante Senior
1 ansAvis à tous la team meja - conseil en transformation numérique, je n'ai plus besoin de vous expliquer la T2A, tout est dit dans le post de Denis ABEILLE. Merci à vous pour ce résumé amuse bouche !