La transformation publique
Jacques Julliard, dans le Figaro du 1er juillet, « Fragilité du macronisme » souligne le contraste entre l’échec électoral du PS et de LR, l’an dernier, et la vivacité des sensibilités social-démocrate et conservatrice en France, le rôle déterminant des modes de tour de scrutin et « l’exception Macron ».
Dans cet article je voudrais poursuivre la réflexion en constatant que les fragilités du « macronisme » sont les nôtres.
Certes les sensibilités politiques sont vivaces et sans doute tant mieux pour la démocratie mais cette dernière est en crise. Faut-il suivre Philipp Blond lorsqu’il écrit que la démocratie appartient au passé ? « Elle ne délivre pas les résultats qu’elle avait laissé escompter. Elle ne (re)distribue pas les richesses ; elle ne garantit pas l’équité ; elle ne permet pas l’impartialité et, à l’heure actuelle, elle ne garantit pas non plus l’égalité face aux crises (…). »[1]
Ces fragilités de la démocratie ont en grande partie leur origine dans l'inefficacité publique.
Le reproche principal que l'on peut faire aux gouvernants mais également et, pour une bonne part aux Médias et à l'intelligentsia avant tout parisienne, c'est de ne pas voir le lien entre l'absence de réforme de l'Etat et le degré de réussite ou d'échec des politiques publiques. Les gouvernants ne se sont pas jusqu’ici attaqués en profondeur à la réforme de l’Etat, les Médias n’ont pas su faire une œuvre pédagogique à cet égard, et quant à l’intelligentsia, on ne peut vraiment considérer qu’elle se soit majoritairement intéressée à ces questions.
Or si on se retourne sur les 30 dernières années on constate que les gouvernants sont à la peine pour débuter comme pour achever leur mandat et réaliser ce qu'ils avaient promis, à quelque sensibilité politique qu'ils appartiennent. Sur ce sujet, malgré des tentatives réelles cela a plutôt été le "silence politique".
Il y a certes des facteurs objectifs à ces écarts : le changement de circonstances, la conjoncture économique ou les évolutions géopolitiques, etc.
Cependant la plupart du temps les politiques arrivent mal préparés à leur tâche immense et ont du mal à déclencher les bons engrenages de la réussite pour mettre en œuvre une politique bénéfique pour le pays.
Alors, il y a en effet, tel que le souligne Jacques Julliard, « l’exception Macron » ! Ce moment rare que Lewis Mumford comme « une phase d’émergence afin qu’une nouvelle configuration modifie radicalement la nature des éléments constitutifs par leur seul changement de position dans l’organisation de l’ensemble mais aussi du fait que des mutations mineures deviennent alors dominantes, tandis que des forces naguères dominantes dépérissent ou perdent leur suprématie »[2].
Qui ne voudrait pas qu’il réussisse ? Parmi les causes structurelles de nos erreurs passées, il apparaît une raison majeure : l'inadaptation croissante de l'organisation administrative au monde d'aujourd'hui.Quel est-il ce monde ? Un monde à risques, où l'imprévu est plus que probable, un monde dans lequel tous les problèmes que nous devons traiter sont reliés entre eux.
Transition énergétique ou écologique, mutations techniques et révolution numérique, stress hydrique ou humain, crises sociales et sociétales, crise économique et financière avec un endettement croissant, sans oublier les crises géopolitiques avec leurs cortèges de croissance des inégalités, de menaces terroristes et de flux migratoires. Sans omettre la crise européenne qui peut s’analyser comme une résultante des crises précitées.
Oui ce monde demeure dangereux même s'il recèle de belles opportunités de développement humain et économique dans un contexte de pression concurrentielle avérée, amis encore de repli de la mondialisation et de retour du protectionnisme. En termes simples ces différentes situations étant interpénétrées, les solutions le sont en grande partie aussi. Et c'est en cela que notre Etat n'est pas prêt car il est conçu, construit, organisé en silos.
C'est le résultat d'une longue et belle histoire politique et administrative qu'il n'y a pas à renier. Ce serait une grave erreur de ne pas prendre conscience qu'il faut changer de gouvernance publique. Alors oui les transformations publiques s’imposent. Elles sont urgentes. La bonne méthode est la lenteur.[3]
À l'heure des efforts réels de l'Etat en matière numérique, il est plus qu'urgent de faire en sorte que ces démarches novatrices accompagnent des réformes d'organisation, de gouvernance et de management y compris de management des ressources humaines, qui doivent être lancées par ailleurs.
Le sens global de ces réformes, de cette transformation publique est assez clair ; il faut qu'en s'appuyant sur les missions et les métiers spécifiques de l'Etat l'on développe à tous les niveaux de la transversalité et de la coopération. En particulier que fort des nouveaux outils numériques qui diffuseront les ressources informationnelles strictement adaptées aux besoins, on puisse parvenir à un management des compétences avec des fonctionnaires mieux responsabilisés mieux formés, incarnant réellement cet esprit de responsabilité que l'on attend d'eux et dont ils sont capables, dotés de l'esprit d'équipe et d'une culture sans faille du résultat.
C'est parce que les organismes publics permettront aux agents publics initiatives et souplesse d'exécution que les problèmes seront traités correctement en prise avec les situations concrètes des citoyens de toutes conditions sociales. Seuls des services publics efficaces et à l'écoute de la société civile pourront remettre en route l'ascenseur social et en même temps créer un environnement favorable aux entreprises.
Dans un monde qui bouge et qui va s'accélérant les gouvernants doivent agir avec lenteur et dans la profondeur des causes plutôt qu'à la surface de la mer croisée.
[1] ITW in La nouvelle génération est épouvantable. J’aimerais tellement en faire partie ; à l’initiative de Mathias Leridon Débats publics, 2016.
[2] Les transformations de l’homme ; éditions de l’encyclopédie des nuisances 2008
[3] Francis Massé ; Urgences et lenteur -Quel management public à l’aube du changement de monde ? Fauves Editions 2017
Conseil en Stratégie et Organisation - Conférences chez Consultant indépendant
6 ansMerci Francis pour cette analyse. Comme toi, je suis un peu perplexe (et inquiet) devant cette idée qui émerge que les régimes démocratiques occidentaux seraient en voie d'obsolesence. Parallèlement, d'ailleurs, des voix se font entendre pour souligner la pertinence du modèle chinois (qui est une forme de democratie, au passage), qui permet de lier étroitement choix économiques et politiques. Si je te rejoins sur l'importance de réformer l'Etat, je ne vois cependant pas dans la lourdeur de l'appareil administratif la cause des difficultés des democraties libérales à apporter des réponses aux défis contemporains. Souvenons-nous tout d'abord qu'il n'y a pas de régime politique idéal : Platon considérait que la démocratie était le moins mauvais, mais qu'il avait naturellement tendance à evoluer vers le pire, l'anarchie. Considérons ensuite la complexité du monde actuel et les ruptures en cours dans leur historicité : la comparaison avec les bouleversements de la Renaissance (que certains ont faite dès l'apparition du minitel...) est loin d'être absurde. Surmonter cette crise (qui est en réalité une crise de civilisation) nécessite de la penser, et sera le fait d'élites conscientes de la situation et leurs responsabilités.