La transition énergétique est-elle réaliste?
L’énergie nécessaire au fonctionnement des sociétés industrielles repose principalement sur des unités de production fonctionnant à partir de sources principalement fossiles et carbonées (Debeir, Deléage, Hémery, 2013, « Une histoire de l’énergie »).
Dans ce contexte, l’irruption du thème de la transition énergétique, devenue un élément dominant du discours politique, économique et médiatique, répond à une triple nécessité d’ordre temporel différent :
- La raréfaction des ressources primaires à long terme : les ressources primaires, du fait de leur surexploitation, vont connaître une augmentation tendancielle de leur prix puis leur disparition. Si les chiffres sont discutables, les experts se rejoignent sur les ordres de grandeur (Pierre Langlois, 2008 « Rouler sans pétrole ») : de quelques dizaines à quelques centaines d’années selon les matières (y compris hydrocarbures et matières fissiles) et notre volontarisme à les extraire.
- Le réchauffement climatique à moyen terme : l’émission massive de gaz (CO, CH, …) à effet de serre (GES), principalement issus de la combustion des hydrocarbures fossiles, de la déforestation et de l’élevage, entraîne un bouleversement rapide de la circulation énergétique atmosphérique et océanique.
Si les émissions de GES suivent leur progression actuelle, le réchauffement climatique atteindra 6°C à la fin du siècle entraînant des transformations majeures des climats locaux et l’élévation significative du niveau des mers (5ème rapport du GIEC). La géo-écologie actuelle et les équilibres économiques et sociaux qui en résultent seraient alors complétement modifiés.
- Une volonté politique à court terme : Suite à une prise de conscience des points précédents, une volonté politique émerge, particulièrement en Europe, pour essayer de répondre à ces défis de long terme en fixant des règles de gouvernance et des objectifs partagés à l’échelle mondiale (protocole de Kyoto (1997), agenda 20/20/20 de l’UE, COP 21 de Paris (2015), …).
La transition énergétique, c’est-à-dire le passage d’une société d’abondance énergétique carbonée et fossile à une période d’énergie restreinte, principalement décarbonée et renouvelable, est ainsi, avant toute chose, la réponse politique, économique et citoyenne au chaos qui guette l’humanité.
Cette transition énergétique repose fondamentalement sur deux piliers relativement consensuels :
- L’efficacité énergétique, c’est-à-dire la réduction drastique de l’énergie incluse dans la production de biens et de services, dans un contexte de rattrapage énergétique légitime des pays sous-développés et émergents vis-à-vis des pays industrialisés (42% du potentiel du scénario 450 ppm de l’Agence Internationale de l'Energie) ;
- La production d’énergies décarbonées à partir de sources renouvelables (23% du potentiel du scénario 450 ppm).
En complément de ces deux axes principaux, deux utopies, diamétralement opposées, de la transition énergétique s’affrontent :
- Une voie technologique ou « Développement durable », confiante dans les futures inventions humaines, reposant sur le paradigme de la croissance économique continue et des possibilités de sa « désénergisation ». Elle propose des réponses additionnelles d’ordre technique : géo-ingénierie (notamment le stockage du CO2, 17% du scénario 450 ppm), nucléaire (8% du scénario 450 ppm), amélioration des technologies fioul (7% du scénario 450 ppm), …
- Une voie sobre ou « Décroissance », insistant sur la finitude des ressources et sur l’absence de finalité humaine au progrès technologique. Elle propose une rupture avec le système économique dominant, en insistant sur une sobriété sociétale (circuits courts, produits réutilisables ou recyclables, réduction des transports, déconsumérisation et définanciarisation de l’économie, …) respectueuse de l’environnement et la reconstruction des schémas humains de représentation du bien-être (P. Rabhi, 2010, « Vers la sobriété heureuse »).
Il est effectivement très probable que de multiples ruptures technologiques et leur expansion, attendues et prospectives, permettront de mieux produire et de mieux consommer, confortant ainsi, notamment à court-terme, les tenants du Développement durable.
Il est tout aussi probable que la raréfaction des ressources primaires conduira l’humanité à réfléchir différemment à son développement économique, et donc à sa consommation énergétique, tant dans sa substance (« comment faire ? ») que dans sa finalité (« pourquoi faire ? »), confortant ainsi peut-être, à moyen ou long terme, les tenants de la Décroissance.
Par ailleurs, il est possible que les énergies renouvelables, une fois déployées à grande échelle, impactent significativement l’environnement, tant du fait de la quantité importante de ressources utilisées et de leur process de production que de leur impact direct sur les phénomènes de circulation énergétique. Par exemple, J.M Jancovici (2015, « Dormez tranquille jusqu’en 2100 ») pronostique que le déploiement massif d’éoliennes perturbera la circulation atmosphérique, entraînant un réchauffement paradoxal. Des auteurs comme O. Zehner (2012, « Green Illusion ») conteste qu’un panneau photovoltaïque puisse « rendre » l’énergie qu’il consomme lors de sa fabrication et de son éventuel recyclage. On peut également citer l’impact environnemental des centrales hydro-électriques.
Il est également possible que le génie humain identifie de nouvelles ressources primaires, soit dans leur nature soit dans leur accessibilité, permettant de limiter les contraintes liées aux ressources actuellement exploitables. Des entreprises, des scientifiques ainsi des institutions proposent de nombreux scénarios de ce type.
Tant ces ruptures technologiques, que la découverte potentielle de nouvelles ressources primaires ou que la raréfaction des ressources connues conduiront probablement à des tensions importantes entre groupes humains du fait de la modification des équilibres socio-économiques préexistants.
Il faut aussi compter sur les effets peut-être irrémédiables sur ces équilibres du réchauffement climatique, dans lesquels certains experts voient les racines de nombreuses crises actuelles (Le Monde, 11/09/2015, « Le changement climatique, facteur de déstabilisation et de migration »).
Devant ces divergences conceptuelles sur le chemin à suivre, et les multiples aléas qui seront croisés sur celui-ci, une transition énergétique réussie est un concept bien flou pour quiconque ne se positionnant pas comme le militant d’une utopie mais comme un citoyen conscient.
La transition énergétique s’ancre finalement dans un réel inéluctable, à minima du fait de l’épuisement prochain et incontesté des hydrocarbures fossiles. Mais son réalisme, ou dit encore autrement la perception subjective de ce réel par les hommes, sera le résultat imprédictible, non déterministe et sans doute géographiquement hétérogène, d’une multitude de facteurs sociaux, technologiques, environnementaux et adaptatifs. Rendez-vous en 2100…