La voix

La voix

C’était juste avant la mise en route des chars à l’est de l’Europe, frontière ténue de la démocratie défendue par un peuple courageux, à trois heures de vol de Paris. L’atmosphère en France était beaucoup plus légère, trop peut-être, au regard de ce qui se tramait à l’est. Avec un étonnant moment de campagne électorale où une femme, dirigeante d’expérience, était critiquée plus que de raison non pas sur ses convictions, ses idées, son projet, son expérience ou son bilan, mais sur ses capacités oratoires, ramenées au ton de sa voix.

Surréaliste, symptomatique, déjà vu, normal, insignifiant? A chacun d’en juger. Espérons que dans le creuset de l’histoire, propre à faire émerger les chefs ou les cheffes, et à tester les peuples, nous ne nous privions pas nous-mêmes dans la précipitation, d’un vrai débat digne de la chance que nous avons tout en l’oubliant parfois: celle de vivre libres, en démocratie, en paix.

Un débat à la hauteur du moment, ne travestissant pas la complexité des sujets par des solutions simplistes, conscient des dangers de l’immobilisme et des risques incommensurables de l’hubris. Pour dessiner un chemin protégeant la vie sur la planète, avec une économie mobilisée sur son impact social et environnemental, suffisamment prospère pour réaliser la grande transition nécessaire, tout en développant la solidarité, la sécurité, la santé, l’éducation, la culture et la sagesse, au-delà du seul bien-être matériel.

Marlène Schiappa, avait réagi. C’était rassurant, même si elle est restée bien seule: pas grand monde pour s’élever contre les pratiques tordues touchant une candidate d’un parti différent du sien, pratiques risquant de confisquer une nouvelle fois le débat sur les projets au profit de la foire d’empoigne. Est-ce cela la démocratie que nous voulons? Ce moment étonnant de la vie démocratique ne devait pas se confondre avec une sympathique soirée de The Voice. Il s’agit de partir, selon les termes consacrés, « à la rencontre des Français » , de leurs espoirs et de leurs désespoirs, de leurs succès et de leurs échecs, de les rassembler sur une vision, un cap, un projet, pour le faire, pas pour le chanter.

Une rencontre, pour cette femme, semée d’embûches, de chausse-trappes, de pièges tendus, d’insultes, de menaces - de mort parfois, excusez du peu - de propos déformés par des adversaires peu soucieux de la bassesse des coups portés pourvus qu’ils portent. Saine liberté d'expression ou expression pénible de passions tristes, qui ne serait pas tolérée une seconde dans d'autres cercles que celui de l'arène politique?

Sillonnant le pays, elle fend les foules, fend l’armure et devrait fendre les caricatures… pour peu qu’on l’écoute davantage que l’on écoute les plateaux de commentateurs habiles à ramener une personne au cliché d’une origine, mal assignée en l’occurrence. En douze minutes passées inaperçues par la magie de la communication « don’t look up », elle révèle une épaisseur humaine certaine, mettant en perspective dans une séquence solide partant de ses origines familiales assez différentes du cliché, le choix du service de l’Etat préféré à la Finance, les valeurs qui animent ses combats marquants et fortifient sa résistance aux difficultés traversées, les succès remportés, ce qu’ils lui inspirent et en quoi ils l’obligent.

Cette séquence, que l’on soit d’accord ou non avec le projet de la Nouvelle France, c’est du lourd, ça fleure bon le courage, l'audace et le panache. C’est à la cinquante neuvième minute d’un discours qualifié de fiasco un peu trop vite pour que l’on ne sente pas l’entourloupe. Qui en dehors des participants au meeting a pu écouter ces paroles fortes pour se faire vraiment une idée? A quoi servent alors ces réunions si les passages porteurs de sens sont ignorés par les barrages des communicants et vite remplacés par deux ou trois jugements couperets tranchant comme le clic sur un tweet ?

Dans une telle cacophonie médiatique, qui aurait entendu le 18 juin 1940 un appel radiophonique devenu célèbre? Les tribuns de métier et ceux qui les relaient espèrent-ils par la promotion de la gueule au détriment de l’expérience de l’action, faire naître pour la France une vision positive, résolue face aux périls, tournée vers l’avenir et propice au rassemblement ? Il serait temps de fendre d’ abord les postures théâtrales, pseudo martiales tant que les chars sont au loin, suivies de volte-faces quand ils se rapprochent, cachant le vide derrière la gueule. Pour se retrouver sur l’essentiel avec un débat enfin à la hauteur des enjeux, respectueux des candidats et des citoyens, de ceux aussi, proches et lointains, vivant sous le joug, la contrainte ou la menace, à la voix cadenassée.

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