La voix des patients, salut de l'hôpital?

Par Le collectif du 12 février — 25 avril 2018 à 15:54 La tribune  Libération

 Si la loi 2002 a reconnu des droits collectifs aux patients, leur participation au niveau des directoires des hôpitaux n'est toujours pas de mise. Penser l'avenir de l'hôpital dans l'intérêt des malades est pourtant une nécessité.

  • La voix des patients, salut de l’hôpital ?

C’est à la fin des années 80, lors de l’épidémie du sida, que des associations de patients ont revendiqué pour la première fois leurs droits. Ils ont convaincu le législateur de les inscrire dans la loi le 4 mars 2002. Ces droits individuels sont fondés sur l’information et la participation du patient aux décisions qui le concernent. Les médecins ont progressivement pris conscience de ces droits, mais nombre d’entre eux expriment encore une certaine réticence à envisager une relation de soin basée sur la collaboration.

Pourtant la participation du patient dans la gestion de son parcours de santé a montré toute son efficacité. Le patient possède une connaissance qui lui est propre sur des aspects cliniques, mais aussi sur ses habitudes, ses convictions et d’autres aspects de son style de vie. Cette connaissance, associée à celle des équipes professionnelles, peut largement influencer la qualité de sa prise en charge. Un patient engagé est aussi plus à même d’adopter le comportement qui lui convient le mieux dans le suivi de son traitement et l’organisation de sa vie avec la maladie. Ce nouvel état d’esprit témoigne d’une rupture avec une figure traditionnelle de professionnels «sachant» et de patients en situation d’asymétrie. Chacun d’entre eux a une expérience propre qui doit être prise en compte. La relation est autant une relation de soin que de service, qui doit se construire sur un pied d’égalité, d’une manière personnalisée. Or les professionnels sont peu formés à s’appuyer sur les savoirs du patient et à développer les compétences empathiques et plus largement organisationnelles nécessaires à ce type de relation. De plus, pour installer un univers sécurisant, du temps est nécessaire. Mais là aussi, les contraintes actuelles limitent souvent ce temps d’écoute et de travail en partenariat avec les patients et leurs proches.

Parole cinglante

Au-delà de la reconnaissance des droits individuels, la loi de 2002 a également reconnu aux patients des droits collectifs en leur donnant une place dans les différents lieux de décision des politiques de santé. A l’hôpital, les représentants des usagers issus d’associations de patients agréées ont investi un certain nombre d’instances. Claire Compagnon, dans son rapport Pour l’An II de la démocratie sanitaire en 2014, proposait d’aller plus loin et recommandait une représentation des usagers au sein du directoire, lieu des décisions stratégiques. Quatre ans après, ce lieu leur reste fermé ! Nous pensons qu’il est temps que les patients prennent pleinement part à la gouvernance de l’hôpital. Leur parole étonnerait : elle sait être critique du conservatisme médical, de l’incroyable réticence à reconnaître l’ardente nécessité de pluridisciplinarité ou de soutenir de nouveaux métiers, adaptés notamment à la chronicité qui prend une place croissante. Elle sait aussi être cinglante pour dénoncer la bureaucratie administrative ou les conflits d’intérêts. Laisser entrer les usagers pleinement dans l’hôpital n’est plus seulement une histoire d’éthique ou de morale. C’est devenu une nécessité dans l’intérêt même de ceux qui font vivre l’hôpital pour leur éviter de sombrer dans un débat interne délétère.

La présence des usagers au sein des directoires et leur participation à l’élaboration du projet d’établissement contribueront à instituer une culture là aussi du partenariat et de la coopération dans un monde trop souvent construit sur les principes de la défiance et de la concurrence. Le remède d’un monde hospitalier en crise pourrait bien être cette fois le malade. Loin de n’être qu’un placebo, la participation des usagers pourrait induire un changement de regard et de comportement des professionnels entre eux et sur leurs missions, ce serait une redoutable thérapeutique obligeant chacun à sortir de ses intérêts de court terme et des contraintes immédiates pour penser l’avenir dans le seul intérêt qui vaille : celui des malades. Surtout, les usagers pourront alors porter haut et fort leur propre voix et limiter les tentations d’instrumentalisation de leur parole à des fins qui ne sont pas les leurs. Bref, c’est bien toute une forme de représentation et de management du travail quotidien qui est à affirmer au nom d’une gouvernance partagée avec les usagers.

Le Collectif du 12 février

Alain-Michel Ceretti, président de France Assos Santé ; Marie Citrini, représentante des usagers à l’AP-HP ; Philippe Colombat, médecin, CHU de Tours ; François Crémieux, directeur du groupe hospitalier Paris-Nord Val-de-Seine, AP-HP; Véronique Ghadi, Haute Autorité de santé ; Céline Lefève, maître de conférences en philosophie de la médecine, Université Paris-Diderot ; Etienne Minvielle, médecin, chaire de management, EHESP & Gustave Roussy ; Gérard Raymond, président de la Fédération Française des Diabètiques; Rémi Salomon, médecin, CHU Necker, APHP ; Thomas Sannié, président de l’Association française des hémophiles, représentant des usagers à l’AP-HP ; Philippe Serre, président de la Fédération nationale des associations de retraités ; Edouard Couty, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes.


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