L’accompagnement d’un auteur en mode coaching
En tant que coach, après une carrière dans l’édition, je suis notamment amenée à accompagner des auteurs ou futurs auteurs dans la réalisation d’un synopsis à présenter à un éditeur, ou d’un projet d’écriture. Comment à la fois accompagner avec efficacité, entretenir un lien de confiance, et viser – puisque c’est l’essence même du coaching – l’autonomie du coaché ?
Pour certains, le projet est déjà assez structuré, pour d’autres, il s’agit de partir de ‘presque rien’, d’une idée, et de la développer. Dans tous les cas, il y a un objectif à atteindre, que le client va formuler lui-même. En tant que coach, je l’aide à se fixer un niveau d’ambition raisonnable afin que le projet soit à la fois stimulant et réaliste. Si le coaché souhaite réellement être publié (car certains écrivent pour eux-même ou un cercle restreint de proches, et c’est tout aussi respectable), je dois avoir une démarche à la fois empathique et pragmatique, rappeler la réalité (fonctionnement d’une maison d’édition, d’un comité de lecture, contraintes à respecter pour espérer être lu, nécessité de connaître les ouvrages concurrents sur le marché…).
Ensuite, comment l’accompagner au mieux ? D’abord, être consciente que le process d’écriture touche à l’intime (même pour un ouvrage qui ne relève pas du récit) et qu’il convient de respecter une forme de pudeur. Ensuite, travailler le plus possible sur le sens : à la fois celui qu’il donne à son projet, et à notre accompagnement.
Au fil des séances, l’auteur va avoir besoin de feedbacks réguliers sur ce qu’il produit, afin de progresser dans la structuration de son récit ou message, d’améliorer son style le cas échéant, de consolider la cohérence des contenus. Je tâche de toujours commencer par ce qui va bien dans le synopsis ou le manuscrit, et ensuite, si des réserves sont à émettre, de faire des feedbacks conditionnels (argumenté, reliés à des passages précis), en proscrivant les généralités telles que ‘c’est mal écrit’. En revanche, une remarque circonstanciée peut être très bien acceptée. Si je ne confrontais jamais un auteur qui se perd, par exemple, dans un récit confus, ou propose un projet qui risque de ne pas passer la barre d‘un comité de lecture, je ne lui rendrais pas service. L’auteur a souvent ‘la tête dans le guidon’ et il convient de l’aider à prendre de la hauteur.
Pour éviter une posture de conseil, être une personne-ressource sans tomber dans la tentation du ‘sauvetage’, je procède par le biais d’un questionnement adapté au contexte, et pose des questions du type :
- « Comment allez-vous vous assurer que le message que vous voulez faire passer dans votre ouvrage reste présent au fil des chapitres ? »
- « Si vous lisez vous-même un livre de ce type (au choix : essai, roman, récit, ouvrage professionnel…), qu’en attendez-vous d’abord ? »
- « Quand un ouvrage vous a déçu, qu’est-ce qui, d’après vous, a manqué à son auteur pour atteindre son objectif ? » (etc).
Cela aide l’auteur à garder le cap fixé et… à penser à son futur lecteur.
A quoi voit-on que l’auteur s’autonomise ?
Le niveau d’engagement d’un auteur peut être fluctuant, au gré des événements de sa vie personnelle, de son inspiration, de ses doutes en sa capacité d’écrire. Par ailleurs, il suit des étapes dans le cycle de l’autonomie (décrit par l’analyste transactionnelle Katherine Symor), dont je dois tenir compte dans mon accompagnement.
Un (futur) auteur peut, au départ, être très dépendant de mon soutien, attendre des idées (voire l’Idée avec un I majuscule), des conseils... Il peut avoir du mal à prendre seul l’initiative d’écrire un nouveau chapitre. Je m’efforce de placer le curseur à l’endroit opportun pour donner des permissions et protections, être au départ très soutenante (car c’est la phase où les signes de reconnaissance conditionnels positifs auront le plus d’impact), sans 'faire à sa place', de comprendre une inquiétude non-verbale, de saisir au ton de sa voix qu’il n’ose pas une question, ou de l’aider à reformuler. Et donc d’accompagner étroitement sans être trop directive, selon un process sécurisant qui peut prendre la forme de rituels dans le questionnement, ou de rendez-vous au rythme régulier, peu espacés.
Que faire si le coaché, avec le temps, pose des actes de ‘rébellion’ (il ‘écrase’ par mégarde un fichier dans son ordinateur, prend de façon disproportionnée un feedback pourtant bien dosé, ou me reproche de ne pas ‘l’aider’ davantage) ? S’en réjouir, même si cela demande, parfois, un petit effort, et l’aider à trouver ses propres solutions. Sa réaction est le signe que son attente est peut-être déçue (il comprend que je ne lui tiendrai pas le stylo !), et donc qu’il progresse. Je ne le laisse pas s’enferrer sans fin dans les actes manqués signant sa contre-dépendance (dont je gagne d’ailleurs à explorer le sens avec lui si c’est pertinent), mais ne les dénigre pas pour autant : je prends acte en mon for intérieur de son avancée dans le cycle de l’autonomie. Et me demande, aussi, quel besoin se cache derrière tout cela. Je refuse en tout cas d’entrer dans un jeu psychologique si le coaché, par exemple, tente de se mettre en position de victime parce qu’il prend conscience que son projet comporte des défauts : toujours parier sur la parité, la responsabilité de chacun ! En revanche, si la relation devient inconfortable, je peux métacommuniquer, c’est-à-dire échanger sur la relation (« En ce moment je ressens une baisse d’énergie/un flottement dans notre relation de travail, est-ce que vous le constatez aussi ? Que peut-on en faire ? »)
Au fil du temps, certains signes peuvent ensuite manifester son indépendance : le coaché espace les rendez-vous, les mails, prend une initiative déroutante, fait une longue échappée d'écriture en solo, cesse de poser certaines questions . Je peux sentir par ailleurs, à lire ses écrits, qu’il acquiert de bons réflexes. S’il se détache progressivement et a moins besoin de moi dans le process d’écriture, c’est : 1) qu’il a compris que je ne serais pas au-dessus de son épaule lorsqu’il se met à sa table pour écrire 2) que ma posture d’encouragement porte ses fruits, et contribue peut-être à renforcer son estime de soi au point qu’il ose avancer seul. Si je devais me sentir frustrée lorsque le coaché entre dans cette phase d’indépendance, j’en parlerais à mon superviseur, ou à tout le moins, m’interrogerais sur ce que j’associe, au moment T, à ma mission.
Après cette phase (qui peut être déroutante) de prise de distance, l’auteur peut se mettre à coopérer avec proactivité, devancer les propositions, redoubler de créativité (jusqu’à en devenir parfois difficile à suivre tant les bonnes idées fusent !). Cette phase de flow où il entre en interdépendance, où tout paraît fluide, où l’on débat des contenus avec enthousiasme, où l’on partage joies et doutes dans une grande ouverture, donne tout son sens au métier de coach. Mais on ne l’atteint que si j’ai veillé à maintenir une posture basse lors des rendez-vous de travail, ce qui suppose de l’écoute, un repérage fin de ses besoins et leviers de motivation, une observation de l’implicite, et une capacité à accueillir et gérer mes propres frustrations.
A la fin du projet, quel que soit le chemin que prendra le synopsis ou le manuscrit, il est, enfin, important de clore symboliquement la relation (pourquoi pas dans un lieu qui fait une belle place au livre, un salon de thé-librairie…), de célébrer ce qui a été accompli. Je peux interroger le coaché sur ce que le parcours commun lui a appris au niveau du contenu (caractéristiques de son projet, capacités rédactionnelles), des processus (notre relation, nos méthodes de travail), et du sens (ce qu’il souhaitait réaliser avec ce projet, les aspirations qui y étaient associées).