L'accueil de la petite enfance à la croisée des chemins

L'accueil de la petite enfance à la croisée des chemins

A l'occasion du sortie du numéro 260-261 de la revue "Métiers de la Petite Enfance" en août, j'ai eu l'occasion de rédiger un éditorial justement intitulé "La petite enfance à la croisée des chemins".

C'est la panne!

Alors qu'est-ce à dire que la politique d'accueil du jeune enfant est à la croisée des chemins? Et bien, déjà, qu'elle est en panne. En effet, les objectifs de création de places d'accueil de la précédente Convention d'Objectifs et de Gestion entre la CAF et l'état n'ont été atteints qu'à hauteur de 16%!!

Les récents rapports du HCFEA (voir la synthèse ici) détaillent cette panne. Il apparaît que, plus précisément, le moteur principal de l'offre d'accueil de la petite enfance dans notre pays se grippe : la création de places d'accueil en assistant maternel a fortement ralenti (les demandes de nouveaux agréments baissent) et la profession est menacée par des départs à la retraite massifs dans les prochaines années.

Parallèlement, même si l'offre d'accueil collective a continué à progresser, c'est une nette progression en proportion mais qui concerne au final 14% des places d'accueil théoriques proposées aux enfants de moins de 3 ans. De plus, les créations de places par les collectivités territoriales ont chuté vertigineusement (-20% entre 2012 et 2016). Et, pendant ce temps là, les micro-crèches ont connu un bel essor (+16% dans les créations de places entre les deux même dates). C'est bien... sachant que les coûts des micro-crèches sont moins bien compensés par la puissance publique. Aussi, c'est une offre d'accueil qui se développe mais qui est plutôt destinée à des parents aisés. Ajoutons à cela que les inégalités territoriales de couverture en modes d'accueil se sont maintenues ces dernières années malgré les récents efforts et nous pourrons conclure que ça ne va pas fort du côté de l'offre.

Mais c'est également la panne du côté de l'usage des modes d'accueil... La lecture de différents travaux récents (notamment les études de la DREES mais aussi et surtout un récent rapport de la CNAF sur les évolutions récentes des recours aux différents modes d'accueil) montrent plusieurs choses.

  1. Le recours à l'accueil chez les assistants maternels a reculé avec une baisse du nombre d'heures déclarées et une baisse du nombre de parents employeurs.
  2. Parallèlement, si l'usage de l'accueil collectif ne semble pas baisser, celui-ci est toujours aussi inégalitaire : les enfants du premier quintile de revenus (les revenus les plus bas) ont ainsi 4,4 fois moins de chances de se voir accueillis en collectif que les enfants du cinquième quintile (les revenus les plus hauts). Cet écart (mesuré en 2013) s'est accru depuis 2007.
  3. Les parents de jeunes enfants recourent de moins en moins au congé parental (ou Complément de Libre Choix d'Activité - CLCA - Ah! la poésie des acronymes de la politique familiale...). Cette baisse est forte et relativement ancienne pour le congé parental à temps plein et le congé parental à temps très partiel (moins de 50% de temps d'activité), mais elle touche maintenant également la seule modalité qui s'était maintenue voire légèrement développée jusqu'ici : le congé parental avec un temps d'activité supérieur à 50%.

A la lecture du rapport de la CNAF on constate donc la baisse du recours des parents aux deux principales modalités d'accueil à titre principal aujourd'hui : les parents eux-mêmes (via un congé parental du moins) et les assistants maternels! Et on en vient à se demander deux choses. Premièrement, pourquoi les parents recourent-ils moins aux solutions d'accueil proposées ? Deuxièmement, mais où passent-ils ? Que font-ils pendant ce temps là, hors des dispositifs prévus?

Les auteurs du rapport avancent des éléments de réponse à la première question : cette baisse des recours au congé parental et aux assistants maternels pourrait s'expliquer par le fait que les parents ont moins fréquemment les contraintes d'activité les amenant à recourir à une garde individuelle (ils sont au chômage ou hors activité quoi...) et qu'ils remplissent moins souvent les conditions d'activité préalable pour recourir à un congé parental. Autrement dit, les parents recourent moins aux dispositifs parce qu'ils peuvent et doivent moins y recourir du fait qu'ils sont plus fréquemment au chômage ou hors activité... Et c'est là qu'on en arrive à la croisée des chemins...

La croisée des chemins

Et cette croisée des chemins (parce que rien n'est simple) est double! (il y a deux croisées de chemins superposées si vous préférez...)

Premièrement, il va falloir éclaircir la philosophie - ou dit plus clairement - les objectifs de la politique d'accueil de la petite enfance. Celle-ci est encore indexée (en partie) sur la conciliation des vies professionnelles et familiales et donc sur l'idée de permettre aux parents d'obtenir , d'avoir ou de garder un emploi malgré l'arrivée de jeunes enfants. Or, si l'on constate que le recours aux solutions d'accueil baisse parce que les parents ne remplissent plus les conditions d'activité pour y accéder, il faudrait peut être plus penser cette politique dans une optique universaliste : comme une politique pour les enfants et les familles au premier chef. Une politique d'investissement social dans l'enfance et la famille.

Deuxièmement, si l'on espère endiguer l'hémorragie de places en assistants maternels, il va bien falloir reconsidérer cette profession. Celle-ci s'est développée, principalement dans une optique opportuniste (d'un point de vue politique) dans les années 80 et 90. La solvabilisation du recours aux assistants maternels et leur encadrement par des conditions d'agrément et de formation avaient l'avantage de soutenir une création abondante et "facile" de places d'accueil et de faire sortir du chômage les femmes de certains milieux sociaux pour garder les enfants des femmes d'autres milieux sociaux (en forçant un peu le trait). Mais maintenant, le ressort semble cassé... Les femmes, notamment de milieux populaires et de fractions des classes moyennes, se dirigent moins vers cette profession. Les nouvelles arrivantes (ce féminin est de l'écriture inclusive dans lequel vous saurez compter également les hommes assistants maternels) sont probablement plus formées et plus exigeantes en terme de visibilité et de reconnaissance sociale. Or, dans les réflexions récentes sur l'importance d'une politique d'accueil du jeune enfant, les assistants maternels ne sont pas beaucoup mieux considérés. Ainsi, que ce soit dans les rapports Terra Nova ou dans les travaux récents de la commission de lutte contre la pauvreté des enfants, tout l'accent est mis sur le collectif qui apparaît - bien vite à mes yeux - comme la seule modalité d'accueil pouvant prétendre avoir un impact éducatif significatif sur les enfants (et les parents). Autrement dit, il va bien falloir intégrer et considérer les assistants maternels comme un mode d'accueil pouvant pleinement prétendre à la qualité d'accueil. Et non pas comme une force d'accueil aisément disponible. Il va donc falloir plus et mieux accompagner ces professionnels. Et peut être leur trouver un nouveau nom parce que assistant maternel...

En bref, la politique d'accueil du jeune enfant va peut être devoir de désolidariser de la politique de l'emploi pour devenir une politique éducative et familiale de plain pied. Et, en son sein, elle va devoir penser les compétences d'accueil dans l'ensemble des modes d'accueil, et non plus exclusivement dans l'accueil collectif.


Huguette Davière

Professeur contractuelle Bac Pro Agora 😎 Gestion Économie Droit 👍

6 ans

À la lecture de votre article, j’éprouve du plaisir à constater que nous arrivons aux mêmes conclusions, moi avec beaucoup moins d’expertise que vous. J’exerce la profession d’assistante maternelle depuis 12 ans maintenant. J’envisage une réorientation vers la profession de formateurs Petite Enfance, d’ici à fin 2019, avec pour projet de former des collègues à ce si beau et difficile métier. Les formations minimum obligatoires ne préparent en aucun cas aux difficultés rencontrées, - difficultés face à des parents employeurs non formés au responsabilité d’employeurs, et parfois négligeant, - difficultés face à Pôle emploi et ses « trop perçus », - Difficultés face à Pajemploi qui ne considère que les employeurs mêmes malhonnêtes, - difficultés face aux organismes de formation qui sont convaincus qu’en 2018, toutes les assistantes maternelles restent illettrées, confinées à leur domicile sans volonté de côtoyer d’autres professionnels de la petite enfance ou si elles acceptent de se former, ne méritent pas les formations à la hauteur de la petite enfance. Tout cela relève bien d’une politique de l’enfance sciemment menée. Merci donc sincèrement pour ce texte conforme à la réalité, cela n’arrive pas si souvent. À bon entendeur 👍

Marie Aude BOURGEOLET

Ingénieure de Formations Multimodales

6 ans

Croissance trop faible des créations de place en crèches, baisse des taux d'occupation des assistants maternels, difficultés des communes à assumer la charge financière des structures, maintien des inégalités territoriales et sociales... un belle synthèse des problématiques actuelles relatives à l'accueil du jeune enfant. Avec une belle mise en perspective des paradoxes et une conclusion qui amène à une vraie réflexion clé : la politique d'accueil du jeune enfant doit-elle se désolidariser de la politique de l'emploi (c'est-à-dire être moins orientée en direction des parents qui travaillent et leur bien-être)... pour devenir une politique éducative et familiale à part entière, qui garantit l'égalité des chances pour tous (quel que soit le capital économique et social des familles). Dans ce contexte, il sera intéressant de suivre et mesurer quel impact auront les dernières ouvertures et acquisitions annoncées par les grands leaders du secteur privé ! Merci beaucoup pierre moisset pour le partage de cet éditorial 😊

Margaux Roberge

🎈📝 Freelance Communication dans l'univers Jeunesse 👉🏻 Stratégie, Création de contenus, Rédaction, Evénementiel

6 ans

Caroline Henry, ça peut peut-être t intéresser ;)

Aurélie SCHMAUTZ

Psychologue territoriale de la Petite Enfance de la ville de Versailles- Relais Petite Enfance-Crèches-Multi accueils

6 ans

Très intéressant. Une assistante maternelle doublée d’une étudiante en psychologie.

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