L'AFEST, de quoi s'agit-il vraiment ?
Sur LinkedIn (et ailleurs), l'AFEST est l'objet d'un engouement certain. Pour autant, la formation en situation de travail est une modalité de formation qui existe depuis longtemps, il est vrai hors de tout cadre formel avant les années 2000.
Définition de l'AFEST
L'AFEST est l'acronyme d'Action de formation En Situation de Travail. Elle est issue de la Loi du 5 Septembre 2018 et a pour particularité d’utiliser les situations de travail comme « matériaux » de formation. Elle complète les modalités pédagogiques existantes (en salle ou en ligne) et n’a pas vocation à les remplacer.
L'AFEST en bref
Pour quel public ?
L’AFEST peut être proposée à tout salarié quelle que soit la nature de son contrat. Aucune condition d'ancienneté n'est requise.
Avec quels objectifs ?
Conçue sur mesure, l’AFEST permet de répondre à diverses problématiques en fonction des besoins des entreprises. Elle peut être utilisée, par exemple, pour :
Comment ?
La première étape de la mise en place d’une AFEST est un diagnostic de faisabilité au cours duquel nous allons évaluer les opportunités et les limites à la mise en place de l'AFEST ainsi que vérifier la présence de différents invariants pour se lancer en AFEST ¹ .
Il s’agit aussi de s’assurer que l’AFEST est la modalité pédagogique adaptée et qu'elle est réalisable : qui va trouver le temps pour assurer l’ingénierie du parcours ? Quel formateur sera mobilisé ? Est-il formé pour mener des entretiens de réflexivité ? Autant de questions auxquelles il va falloir répondre avant de décider de se lancer.
En outre, six conditions sont à respecter pour mettre en place une AFEST qui soit reconnue comme une action de formation au sens de l’article L 6313-2 du Code du travail :
Quel financement ?
L’AFEST n’est pas un dispositif de formation, mais désigne une modalité pédagogique qui peut être financée :
Les acteurs et leurs rôles
Le salarié/apprenant : acteur central de l’AFEST autour duquel interviennent différents acteurs (formateur AFEST, référent AFEST, experts métiers). Il se forme à son poste de travail, sur des temps dédiés et aménagés pendant lesquels ses collègues partagent leur expertise pour favoriser ses apprentissages. Ils lui permettent ainsi d’acquérir les compétences dont il a besoin.
Le formateur AFEST : il peut être un formateur, un tuteur, un référent métier ou un collègue expert du domaine. Détenteur d’une ou plusieurs des compétences que l’apprenant doit acquérir, il participe à la construction de l’action de formation, au positionnement des compétences et contribue aux différentes évaluations de l’apprenant. C’est le référent qui participe à leur identification dans l’entreprise.
Sa posture est différente de celle du formateur traditionnel : il se positionne moins comme le « sachant » que comme un accompagnateur. Il doit savoir animer (après y avoir été formé) les phases réflexives dans de bonnes conditions pour l’apprenant. A priori, il est déconseillé de recourir au manager pour être formateur AFEST car l’échange doit pouvoir s’organiser autour du droit à l’erreur plutôt que se centrer sur la notion d’évaluation.
Le référent AFEST ² : véritable « architecte » du parcours qui peut être amené à endosser plusieurs rôles, selon la taille et le contexte de l’entreprise. Sa mission principale est de concevoir et faciliter la mise en œuvre opérationnelle du parcours de formation. Il coordonne les acteurs et l’agencement des temps dédiés à la formation et aux séquences réflexives. Si le référent détient lui-même l’une des compétences que doit acquérir l’apprenant, il cumulera alors le rôle d’expert et « d’architecte » du parcours.
Le/les managers opérationnels, la direction et/ou le service des ressources humaines : leur pouvoir de décision est un facteur facilitant et important pour la mise en œuvre d’une AFEST.
Les bénéfices de l'AFEST pour l'entreprise
Souplesse et flexibilité : former en situation de travail permet de former plus aisément les salariés difficilement disponibles, qui ne peuvent pas s’absenter ou pour qui la formation n’est pas attirante (le retour sur les bancs de l’école, ou synonyme de perte de temps, ou de modification de son quotidien avec les déplacements, etc…). Elle permet d’organiser la formation au sein de l'entreprise sans en suspendre l'activité.
Optimisation de l'efficacité pédagogique : Avec cette action de formation sur-mesure, l'entreprise s'assure de sa pertinence et de son efficacité. Voilà ce que nous dit Jonathan Pottiez, expert en évaluation de la formation : « Les AFEST n’ont pas qu’une valeur juridique : elles sont aussi une excellente occasion de penser la formation en termes d’efficacité. Et qui dit efficacité dit, a minima, transfert des acquis… La question des résultats est donc centrale et cela tombe bien : l’AFEST est « truffée » de temps d’évaluation ! Avec l’AFEST, nous sommes très loin des formations dont l’évaluation se limite à un rapide questionnaire de satisfaction qui fait plaisir (ou pas) au formateur. Ici, il est question d’impact, donc de réelle montée en compétences et d’impact sur l’organisation. Et comme potentiellement l’AFEST peut coûter moins cher qu’une formation en salle, cela signifie que si l’efficacité est au rendez-vous, alors l’efficience l’est également… »³.
Fidélisation des salariés : en valorisant leur travail, en leur apportant une reconnaissance, et en les impliquant dans la formation notamment pour les managers. Les recrutements sont également facilités et le processus d'intégration des nouveaux salariés se voit optimisé car ceux-ci deviennent plus rapidement opérationnels.
Réponse aux obligations légales : l'AFEST libère les employeurs de leur obligation de former et d'adapter les salariés à leur poste.
Les principales difficultés de l'AFEST
1. Apprendre au travail ne semble pas aller aussi facilement de soi, partout et dans n’importe quelles conditions.
Le travail n’est pas naturellement apprenant : des conditions et des agencements particuliers doivent être mis en place pour que les AFEST conservent leur pouvoir formatif. Toute expérience est-elle apprenante sous prétexte que l’on permet un travail réflexif sur elle ? Si non, quelles sont les conditions facilitatrices ? Voilà le type de questions à se poser pour faire émerger la dimension formative des situations de travail.
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2. La mobilisation du top Management
Ce qui doit être privilégié dans le cadre d’AFEST : c’est non pas la production mais l’apprentissage. Il convient donc de créer des « situations de production aménagées ». Le caractère formatif tient à la conception et à la mise en place de conditions artificielles, au cœur des milieux de travail, pour que le travail voie croître son potentiel d’apprentissage. À travers celles-ci, l’entreprise accorde un statut particulier à l’erreur, créant ainsi des conditions favorisant l’apprentissage du salarié, sécurisé psychologiquement. Cela nécessite de la part de l’employeur d’offrir des marges de manœuvre organisationnelles rendant l’apprentissage possible et individualisé.
3. La notion de réflexivité est difficile à appréhender par le formateur interne.
La posture du formateur interne est nouvelle dans l’AFEST…et conditionne sa réussite. Lorsque l’apprenant est mis en situation formative, le formateur doit développer des capacités à observer, sans trop intervenir dans la situation. L’expérience montre que cette posture est parfois difficile à tenir. Malgré la précision apportée par le référent AFEST sur le fait que la séquence réflexive n’a pas pour visée l’évaluation des apprentissages, plongeant l’apprenant dans une situation inconfortable et moins propice aux apprentissages.
4. Rendre effectif le droit à l’erreur
Parmi les conditions mises en évidence par les recherches sur l’apprentissage en situation de travail, le sentiment de sécurité psychologique joue un rôle particulièrement important. Être persuadé que son environnement de travail est bienveillant concernant ses erreurs et ses difficultés facilite l’apprentissage. Il appartient donc à l’organisation et au management de créer les conditions d’un environnement soutenant car le salarié doit être rassuré sur le fait qu’il puisse hésiter, tâtonner voire se tromper. Il s’agit à la fois de reconnaître cette possibilité au démarrage du parcours pédagogique, d’en créer les conditions (prévoir des phases préparatoires à la mise en situation réelle, un « rattrapage » possible par un collègue, définir des règles de conduite, etc.), et de la faire vivre au cours de la formation.
5. Le temps
Le temps de l’activité productive et celui de l’activité constructive ne peuvent pas coïncider. En formation, il faut pouvoir faire, se tromper, réfléchir, comprendre ses erreurs, refaire, s’entraîner, se faire expliquer… Or, ces étapes préalables à la compréhension d’une activité exigent beaucoup de temps, pour celui qui apprend comme pour celui qui guide l’apprentissage. En substance, les AFEST, comme toutes les autres modalités d’apprentissage, semblent difficilement envisageables si le temps nécessaire à la compréhension de l’action pour en permettre l’apprentissage n'est pas prévu.
Les principaux risques et les confusions autour de l'AFEST
Tout d'abord, une confusion existe entre apprentissage sur le tas et AFEST :
L’apprentissage sur le tas correspond à la première forme d’expérience apprenante. Il se réalise sans intentionnalité instituée, sans aménagement du travail, sans aide organisée. Il est dirigé par le cours du travail, c’est-à-dire que ce qui s’apprend dépend de ce qui arrive dans la situation, des tâches et des évènements qui se présentent. Aucun objectif préalable ou général n’est défini. C’est l’action qui est première, et c’est la réussite de l’action qui est visée. Autrement dit, les conditions pour apprendre sont d’abord et aussi les conditions pour faire. Il est vrai par ailleurs que les situations ne permettent pas toujours d’apprendre complètement le travail.
Contrairement aux formations sur le tas, une AFEST n’est pas « une formation sur le tas avec un peu de paperasse en plus ». C’est un dispositif formel qui requiert une ingénierie spécifique et du temps dédié et qui suppose donc des conditions propres à rendre le travail formateur dont la spécificité est de se réaliser en situation de travail, par les situations de travail et par l’activité des situations.
Elle relève véritablement d’une intention pédagogique et doit comporter un objectif et un programme.
Comme le rappelle fort justement Henri Occre, directeur associé chez C-Campus : « une AFEST n’est ni une formation en salle déplacée sur le lieu de travail, ni la nouvelle définition du tutorat et encore moins une formation sur le tas [ « pimpée » ] en AFEST ! ».
Sur la base de mon expérience, voici les trois erreurs les plus fréquentes :
Erreur n° 1 : considérer qu’on en fait déjà.
La tentation peut être grande de « déclarer » en AFEST des pratiques de formation existantes qui, du point de vue réglementaire, n'en sont pas. Outre l’absence d’ingrédients indispensables (voir ci-dessus), le risque est de passer à côté d’une belle occasion de réinventer son modèle de formation pour aller vers plus d’efficience.
Erreur n°2 : concevoir ses AFEST en partant du travail prescrit.
La fiche de poste, le référentiel, le processus sont des documents intéressants à explorer mais ils ne constituent pas le matériau de base des AFEST. Pourquoi ? Le travail est une sorte de biface en contact avec deux univers : l’un polarisé par le management, l’organisation de la production et la standardisation des procédures qui prescrivent les tâches ; l’autre relevant d’un accomplissement situé des hommes et des collectifs, d’une réalisation concrète qui implique un engagement et une dynamique d’investissement de soi. Connaître le travail nécessite d’analyser ces deux versants et leur articulation. Une analyse du travail réel est donc indispensable avant une AFEST.
Erreur n°3 : Appréhender le rôle de tuteur avec le prisme exclusif de l’expertise métier.
Former est un vrai métier. Or, tous les experts ne sont pas capables de transmettre leur savoir-faire. En guidant l’apprenant et en encourageant les essais-erreurs dans la pratique, condition sine qua non de la réalisation d’apprentissage, quel que soit l’objet, une appétence minimale pour l’accompagnement semble indispensable. Pour citer un bon mot de Philippe Carré, qui vaudrait a fortiori sur le lieu de travail : « on apprend toujours seul mais jamais sans les autres. » En d’autres termes, sans interaction sociale avec le tuteur, il semble vain d’espérer acquérir des savoirs et/ou savoir-faire.
En conclusion, la formation en situation de travail est une question vive qui s’inscrit dans les nouvelles formes d’apprentissage. Elle s’éloigne des référentiels métiers au profit d’une ingénierie en lien avec l’activité de travail.
Pour les entreprises, l’intérêt des AFEST est de répondre à un besoin en compétences, à un besoin en formation identifié. Pour cela, un zoom est opéré sur les situations de travail-clés du métier ou sur des cas complexes qui, une fois maîtrisée par le salarié, renforcent la permanence de l’entreprise.
Ainsi, l’AFEST oblige les acteurs dans l’entreprise à interroger leurs pratiques en matière de traitement de ces situations-clés.
Du côté du salarié, l’AFEST expérimentée en tant que modalité innovante vient renforcer sa posture d’acteur et son appétence pour la formation. Le décalage entre ce qui est appris en formation et le réinvestissement de ces apprentissages dans la situation de travail est réduit.
La déperdition de la formation est moindre, notamment en raison du fait que cette modalité de formation intègre le droit à l’erreur et offre davantage de visibilité à l’apprenant sur les attendus en termes d’acquisition et de développement de ses compétences, d’échanges avec le tuteur, de compréhension sur les éléments à prendre en compte dans les situations de travail pour y agir efficacement, de prise de recul grâce à la réflexivité à travers laquelle les apprenants doivent construire et formaliser leurs raisonnements.
J'espère vous avoir donner envie de rendre vos formations plus FESTives. 😉
¹ Guide pratique du Conseil AFEST pour les PME et TPE, C-Campus.
² Ce rôle de référent AFEST peut être assuré par un partenaire extérieur, un organisme de formation. Ce dernier joue le rôle de tiers facilitateur et garant du respect des critères légaux. Il apporte également son expérience des dispositifs AFEST et son expertise en matière d’ingénierie pédagogique et en pilotage de projets de formation.
Consultant en Management | Formateur | AFEST | Digital Learning | Executive Coach certifié | J'aide les entreprises à professionnaliser leurs managers et formateurs pour des équipes performantes et engagées
2 moisBenjamin Gombeaud 😉
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1 ansMerci beaucoup Karim Dahhan ! Je m'en vais le lire de ce pas 😇
Révélatrice de Talents, & Accélératrice du Capital Humain de la Performance Economique des Entreprises / Consultante en Reclassement / Reconversion /JobCoach/Formatrice/Coach professionnelle
1 ansKarim Dahhan Merci pour ce rappel, et oui l'AFEST n'est pas nouveau et comme vous l'avez bien démontré présente de nombreux avantages pour le développement des collaborateurs et la performance de l'entreprise...
Formateur Tuteur Multimodal - Ingénieur pédagogique e-learning
1 ansDixit : "Une AFEST n’est ni une formation en salle déplacée sur le lieu de travail, ni la nouvelle définition du tutorat et encore moins une formation sur le tas « pimpée » en AFEST !" Merci pour ce rappel Karim
Consultant-Formateur-Coach certifié, j'aide les Hommes et leurs Organisations à se développer et à atteindre leurs objectifs.
1 ansMerci Karim Dahhan pour ce très bel article sur l'AFEST. Ayant eu la chance d'évoluer dans le management de Forces de Vente, j'ai pu constater la puissance de ce moyen de formation pour développer les compétences et la motivation des Commerciaux et faire évoluer le rôle des Chefs des Ventes vers une posture de Manager-Coach. C'était à la fin des années 90, nous avions structuré un processus d'accompagnement d'une journée sur le terrain et nous appelions cette pratique "l'Entrainement" ! Aujourd'hui, Dirigeant d'un Organisme de Formation, je crois que ma vocation est en grande partie liée à cette expérience et au plaisir de voir progresser au quotidien des Collaborateurs et leurs Formateurs dans une logique gagnant-gagnant... selon la maxime "Enseigner c'est apprendre deux fois".