L’Afrique noire francophone danse avec les stars
une valse à trois temps...

L’Afrique noire francophone danse avec les stars

Après la longue obscurité qui a suivi les indépendances africaines avec son cortège d’assassinats politiques (pompeusement rebaptisés coups d’état) et de dictature militaire en monopartie, Mitterrand François va lancer à la Baule (juin 1990) une valse à deux temps: la conférence nationale suivie d’un nouvel habillage polyphonique (le polypartisme). Il y avait alors le parti au pouvoir et la centaine d’autres mouvements se regroupant sous le vocable d’opposition. Il est ici important de noter l’origine allemande de la Valse; le mot « Walzer » signifie littéralement « tourner en rond ».

Au décès des premiers meneurs de danse (Mobutu – Eyadèma – Bongo…), la France tente de nouveaux pas glissés vers l’Afrique en s’appuyant notamment sur leur progéniture. Cependant, un problème est survenu dans les années 2010-2015 avec le choix des partenaires. La société française, en crise d’identité, n’arrive pas à imposer les chaussures et les pas de danse unisexes à des Etats ancrés dans une tradition machiste, très classique et parfois polygame; le Noir veut varier ses partenaires de danse. L’Afrique, de plus en plus décidée, avec de nouveaux maîtres de danse, se lance alors dans des chorégraphies qui déboucheront sur une valse à trois temps, d’un tout nouveau genre. Mais nous découvrons que certains États persistent et restent, nostalgiques, accrochés dans le modèle à un temps ou deux; c’est certainement cela aussi, la diversité.

1. Au premier temps de la valse: [1960-2020]

Immobilisme, tyrannie, refus d’alternance et fuite en avant…

L’immobilisme représente une absence de mouvement ; la danse se déroule sur place, sans progression significative. On choisit les mêmes danseurs et on renouvelle indéfiniment, peu importe leur âge ou leur expérience; il est même souvent préférable de parier sur les plus incompétents. Avec les deux seules lignes mises bien en gras sur le cv, ils font des danseurs fidèles; ils bougent à peine, conscients des limites. Ils se font les défenseurs acharnés de la valse immobile ou le slow.

L’extrémisme (ou jusqu’au-boutisme) est un terme utilisé pour qualifier cette doctrine ou posture dont les adeptes refusent toute modération ou toute alternative sociale. Nous pensons que le Congo, le Cameroun et le Togo sont devenus des foyers de l’extrémisme et de la violence politique et sociale en Afrique dans leur pratique de la valse à un temps. En 2008 déjà, dans une interview publique, un conseiller du président du Togo exhortait ses concitoyens à prendre les armes s’ils voulaient exercer leur droit à la critique, s’ils voulaient faire “bouger” les lignes; il sera récompensé et nommé “Ministre des droits de l’Homme(sic). Un autre compagnon (Ministre de la Fonction Publique dans le même pays) va déclarer sur les ondes que “l’alternance ne se décrète pas”; le changement passe par les urnes.

Au Congo, pendant ce temps, on danse sur place en changeant de coach; on tente en vain d’intéresser les Russes à la valse de Brazza, celle qui se pratique immobile sur un puits de gaz. Un peu plus loin, le dinosaure du Cameroun reconduit à leurs postes des présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale âgés de 90 et 84 ans; c’est le premier temps de la valse: tous seuls, ils sourient… et Paris, hypocrite, qui bat la mesure.

2. Au second temps de la valse: [2020-2023]

Un pas vers l’afrocentrisme et les BRICS [1]

Pour ce nouveau temps, il y a un thème flatteur et fédérateur qui est repris: la démocratie de La Baule. Un pas décidé vers l’Est, la tête violemment rejetée en arrière, le regard tourné à l’Ouest et un second pas timide vers le Sud. Le grand inconvénient dans l’exercice est qu’on doit rester collé à son coach ou au meneur de danse, un peu comme dans la kizomba [2].

Les pays de l’AES [3] décident de sortir de l’immobilisme et de se prendre en charge; ils vont alors renforcer leur second pas vers le Sud. On évoque un retour aux sources et un mouvement vers le  panafricanisme. On compose un autre jury; un nouveau maître de danse est choisi, plus familier avec la marche militaire qu’avec la valse. Celui-ci clarifie le discours : les hommes dansent avec des partenaires féminins. L’AES décide de sortir du club des danseurs statiques. Fort du soutien de la masse populaire, ces Etats du second temps désirent une coopération avec le meneur pour créer de nouveaux pas, un nouveau style, une nouvelle danse. On dit que l’africain ne sait pas valser; il répond que la valse ne correspond peut-être pas à sa culture. C’est le temps du repli sur soi, le retour vers des valeurs propres, le temps de la valse à deux temps (Indépendance Cha-cha, to zuwi ye!) [4]. C’est une danse très peu artistique; elle offre peu de mouvements, les paroles sont barbares; elle n’est donc pas trop médiatisée.

C’est alors qu’apparaît un nouveau personnage (nous l’appellerons Mr Labrosse), un hybride mi-Cameroun mi-France qui se propose comme un vizir ou calife du second temps. Il trouve qu’une valse à la française n’est pas assez chaloupée; il se demande si l’allemande ne serait pas plus adaptée à l’Afrique, avec son pas lourd et décidé; il faut revenir sur l’origine allemande de la valse. Il arrive à convaincre dans un premier test les danseurs togolais en manque de légitimité. Dans une messe de minuit le 25 mars dernier, on adopte le nouveau modèle, une sorte de compromis entre le premier et le second temps. Le Togo invente une valse à un temps et demi, une copie très médiocre de la valse à deux temps. Le même personnage, vu plus haut, (toujours à la Fonction Publique) reviendra justifier un changement par décret, de la loi fondamentale du pays; une sorte d’alternance constitutionnelle. Il respecte toutefois les préceptes du meneur de la danse: il ne prévoit pas le mouvement; le principe est de geler la constitution et de bloquer les changements. Les adeptes du bouger-bouger se font interpeler et disperser sans avoir pu donner leur position sur la nouvelle forme de changement “sans urnes”. Et Labrosse bat la mesure; il flatte le danseur. Par la douce musique attirés, la Côte d’Ivoire et le Congo (ex Zaïre) vont même passer demander des explications inspirantes. Le Cameroun n’est pas en reste, avec son passé colonial Allemand et l’origine camerounaise du coach Labrosse.

Ne dit-on pas, à Abidjan, que le Prince est un génie de la valse? Et pourtant, les caméras restent éteintes et le public refuse d’applaudir; depuis Paris, le jury reste silencieux.

3. Au troisième temps de la valse: [2023-2024]

La danse du patriote

La valse à deux temps semble compromise. Après le premier pas vers l’Ouest, le second à l’Est, on virevolte dans un savant déhanché, glissant de la main du meneur de danse, puis on revient au centre… la clameur est forte; la foule bat la mesure.  C’est la valse à trois temps.

La récente prise de pouvoir du PASTEF [5] au Sénégal est un signal fort pour le continent africain-francophone. Le pays semble enfin retrouver un équilibre après des mois d’incertitude vers la fin du mandat du dernier candidat. Il a réussi en effet l’exploit de détourner les projecteurs des autres compétiteurs; certains se sont entraînés en prison; ils ont eu quelques jours pour leur démonstration. Ils ont réussi à s’appliquer; la foule les a soutenus dans cette valse à trois temps. La technique est très peu présente, pas très précise; mais cette valse à trois temps “s’offre encore le temps de s’offrir des détours du côté de l’amour”… Nous avons pu voir un homme danser avec deux partenaires… Et ça, j’achète! Depuis Paris, le jury s’incline.

Dans cette danse très médiatisée, on a fait appel au public; la sanction est tombée et les projecteurs se sont éteints sur un ancien danseur qui quitte la scène après dix années d’un règne exclusif qui l’a complètement éloigné de son ancien public (passé de 60% à moins de 40% de voix); il s’était spécialisé dans la valse à deux temps, collé à un partenaire trop jeune. En anticipation de ce vote, le grand maître du jury nomme son poulain “envoyé spécial du 4P” [6]. Allons nous bientôt assister à une valse à 4 temps?

Epilogues

Paris, pendant ce temps, se retrouve engagé dans une danse endiablée, coincé entre Zelensky et Poutine. C’est la valse à mille temps; elle se danse en mode 49-3 [7]. C’est beaucoup plus troublant, c’est beaucoup plus prenant. Et Moscou qui bat la mesure. On crie en France au “grand remplacement”, indexant le Sud. Et si le Preesyadka [8] venait à remplacer la Mazurka [9] polonaise?

La France, tiraillée de tous côtés, entraînée dans la Hora[10] juive et le Preesyadka, n’a pas le temps de suivre Mr Labrosse. Elle en vient même presque à espérer une petite danse avec les loups de Sibérie pour un troisième mandat d’exception. Quelle suite sera donnée au nouveau style chorégraphique togolais? Il est pour le moment renvoyé, toutes affaires cessantes, en relecture au laboratoire togolais. Va-t-on le soumettre au vote du public?

Dans les milieux autorisés, il se murmure déjà une grande révolution: La valse étant maintenant asexuée en Europe, soyons généreux et faisons donc place aux amours. Certains l’ont compris; même en valse à un temps et demi, on privilégie la beauté à l’intelligence. Sur scène on aligne des candidats danseurs avec un cv qui tient sur deux lignes, sans grande expérience de travail ni de vie. Pourvu qu’ils soient beaux et discrets, ils plaisent au meneur de danse, ils sont les stars. Mais il y a certainement de l’espoir: si, après 20 ans, nous avons pu faire un demi pas, on a une chance d’assister par décret en 2045 à la valse à 2 temps au Togo – Mon Compe/Ti Bom [11] en version Coupé-Décalé [12].

Bruxelles le 02 avril 2024

Ablam Ahadji


Références:

a. Danse avec les stars (DALS): émission de télévision produite par BBC Studios France et TF1 Production b. La Valse à trois temps / Chambre au nord – Auteur(s) Marc Frémond c. La Valse à mille temps – Auteur: Jacques Brel

Notes:

1. BRICS: L’acronyme BRICS désigne initialement le rapprochement de quatre pays aux vastes territoires, les BRIC : le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, auxquels s’est intégré l’Afrique du Sud en 2011.

2. La kizomba, dérivée du Zouk, est la danse la plus populaire créée en Angola à la fin des années 1980. Le style de danse est connu pour être très sensuel, avec une relation étroite entre les partenaires et des mouvements fluides.

3. AES: L’Alliance des États du Sahel (AES) a été créée le 16 septembre 2023 par le Mali, le Burkina Faso et le Niger.

4. Indépendance Cha Cha est une chanson interprétée par le chanteur congolais Grand Kallé accompagné de son groupe l’African Jazz. Rumba congolaise au rythme entraînant et à la symbolique très riche, elle mixe les influences latines, jazz et africaines.

5. PASTEF: Les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité est un parti politique sénégalais fondé en 2014 par Ousmane Sonko. Sonko préside le parti pendant toute son existence. Parti d’opposition, il est connu pour être critique vis-à-vis du gouvernement et du système politique du pays.

6. 4P: Pacte de Paris pour les peuples et la Planète.

7. article 49.3 de la Constitution: Lors du vote d’un projet ou d’une proposition de loi, le Premier ministre peut décider d’engager la responsabilité du Gouvernement. Avec cet outil, le gouvernement engage sa responsabilité sur un projet de loi, qui est adopté sans vote.

8. Le Preesyadka: Le très célèbre pas de danse « preesyadka » consiste à s’accroupir puis à se relever à toute vitesse en donnant des coups de pied aléatoires dans le vide. Il aurait été créé par un maçon russe nommé Petro Preesyadka.

9. La Mazurka: Danse à trois temps, d’origine polonaise, tenant son nom de la province de Mazurie. La mazurka est originaire de Pologne où on la danse depuis le XVIe siècle dans la province de Mazovie.

10. La Hora: danse lente qui était couramment pratiquée en Roumanie (Moldavie, Bessarabie, Bukovine) et dans certaines régions d’Ukraine, aussi bien chez les juifs que chez les non-juifs.

11. Mon Compe/Ti Bom: Célèbre titre de Coupé Cloué – Se danse en 2 ou 3 temps.

12. Style musical africain. Le terme “coupé-décalé” viendrait de l’argot ivoirien : « couper » qui signifie “tricher, voler ou arnaquer”, et « décaler » “partir ou s’enfuir”. “Couper-décaler” pourrait se comprendre comme “arnaquer quelqu’un et s’enfuir”.

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