L'aide aux aidants, une envie bien légitime si difficile à mettre en œuvre !

Comme je vous l’avais dit, j’ai choisi d’aborder, pour ma deuxième intervention, un thème qui me tient tout particulièrement à cœur, celui des proches aidants…

C’est une notion récente, cette appellation ne date que de la loi d’adaptation de la société au vieillissement (décembre 2015). Mais, même de façon plus générale, l’aidant familial repéré en tant que tel n’apparait que tardivement.

Son apparition est intimement liée à l’évolution générale de la famille française. Je vais essayer de vous retracer pourquoi en quelques lignes. Un retour en arrière permet souvent de comprendre comment on en est arrivé là

Au XIXème siècle (et ce n’est pas si vieux !!) le modèle dominant de la famille française est la famille souche. Trois, voire quatre générations vivent sous le même toit. Après leur mariage, les filles partent vivre dans leur belle famille et prennent le relais de leur belle mère (soyons honnête, souvent, elle passe sous leur tutelle, mais, ça, c’est autre histoire…).

La famille a alors plusieurs fonctions : biologique, économique, sociale et affective. L’espérance de vie est bien moindre qu’aujourd’hui et les personnes les plus âgées sont prises en charge par la dernière mariée. On est bien loin de la notion de proches aidants, personne n’en a besoin, prendre en charge les plus faibles n’est même pas une question, c’est « normal » au sens premier du terme, à savoir, inscrit dans les normes en vigueur !! 

C’est au XXème siècle, avec la révolution industrielle que le mode de vie français subit une forte évolution. La famille souche cède la place à la famille nucléaire composée uniquement du couple des parents, accompagnés de leurs enfants. Les personnes âgées commencent à vivre seules.

Le changement se fait progressivement tout au long de ce siècle, les premières années, l’espérance de vie est telle, que la grande dépendance liée à l’avancée en âge, reste marginale. La prise en charge des anciens n’est pas problématique.

Au milieu de ce siècle, après la deuxième guerre mondiale débute les trente glorieuses, période faste où les évolutions technologiques sont exponentielles et où la situation économique est prospère ! Les femmes s’émancipent, elles travaillent. L’espérance de vie progresse, de plus en plus de personnes âgées vivent seules, la solidarité reste néanmoins présente, les finances correctes et la grande dépendance rare.

Au milieu des années 70, le premier choc pétrolier perturbe encore un peu plus cet équilibre, les difficultés économiques explosent et avec elles le problème de la prise en charge des seniors.

C’est à la fin du XXème siècle et au début du XXIème que les pouvoirs publics prennent conscience du problème inhérent à l’accompagnement des personnes âgées dépendantes, d’autant que l’espérance de vie ne cesse de progresser.

En 1990, elle est de 73 ans pour les hommes et de 81 ans pour les femmes et en 2019, elle est de 80 ans pour les hommes et 86 ans pour les femmes. En parallèle, le taux de natalité baisse, il passe de 21% en 1950 à 11% en 2017.

La prise en charge de la dépendance commence à devenir un véritable problème et l’aidant familial, devenu « proche aidant » entre en scène !

Il a une place primordiale dans l’accompagnement de la personne âgée, l’âge moyen d’entrée en EHPAD est de 84 ans et il ne cesse pas d’être repoussé. Le maintien à domicile est long avec des difficultés souvent lourdes. Les professionnels ne peuvent pas être présents à temps plein, le proche aidant assure, comme il peut le lien !

Mais qui sont-ils ? Il faudra attendre 2009 pour qu’un consensus soit trouvé quant à la définition de ce nouveau groupe social. La Charte européenne de l’aidant familial le définit comme :

« La personne qui vient en aide, à titre non professionnel, en partie ou totalement, à une personne âgée dépendante de son entourage, pour les activités de la vie quotidienne. Cette aide régulière est permanente ou non. Elle peut prendre différentes formes comme l’aide à la personne, les démarches administratives, la coordination, la vigilance, le soutien psychologique, les activités domestiques… »

On ne choisit pas de devenir aidant, on le subit, la vie nous l’impose. J’ai entendu il y a peu, « les aidants sont des héros du quotidien », j’ai envie de dire, oui, mais bien malgré eux. Personne ne souhaite devenir aidant et pourtant, tout le monde est susceptible de l’être un jour…

Le fait de devenir aidant est régie par des représentations sociales fortes auxquelles il doit se plier sous peine d’être désavoué. Ces représentations renvoient à une façon de faire ou d'agir, à une règle de conduite tacite qui a prévalence dans un groupe donné. Elles sont légitimées par des habitudes, des valeurs et des croyances partagées.

Celles portées par les hommes et par les femmes aidants familiaux sont différentes, et sont intimement liées à notre façon de vivre antérieure au XXème siècle :

o  Une femme se doit de « materner » les plus fragiles : enfants et personnes âgées

o  Un homme se doit d’être « fort », « protecteur » il ne doit avoir aucune faiblesse

Ces représentations sont intériorisées dès le plus jeune âge, il est donc difficile d’admettre qu’on peut avoir besoin d’aide pour assurer une mission « normale ». C’est un sentiment de culpabilité qui prédomine alors, l’échec face à une mission qui est intégrée comme relevant de nos devoirs. L’aidant ne demandera de l’aide que lorsqu’il ne peut vraiment plus …

Mais concrètement, qui sont ces aidants ? Ils sont d’un âge moyen, 41% ont entre 40 et 59 ans et ils ont une activité professionnelle pour 40% d’entre eux. L’âge moyen de la personne qu’ils aident est de 83 ans et pour 42% des aidants il s’agit de leur mère. 46% des aidés souffrent de troubles neurologiques et 50% des enfants d’une personne souffrant de la maladie d’Alzheimer lui consacrent plus de 6 heures par jour ! 

Contrairement aux idées reçues, les aidants ne sont pas uniquement les conjoints. L’espérance de vie des femmes reste supérieure à celle des hommes, elles finissent souvent leurs jours seules, ce sont alors les enfants qui deviennent aidants.

La génération des « enfants aidants » actuelle, est souvent qualifiées dans la presse de « génération sacrifiée » coincée entre leurs propres enfants qui ont du mal à s’insérer dans la vie active et des parents vieillissants qu’il faut aider.

Mais revenons à nous, professionnels de la gérontologie qui faisons de « l’aide aux aidants ».

Nous sommes nombreux à nous plaindre de la difficulté à mobiliser les aidants sur nos actions, mais nous sommes-nous posé les bonnes questions ? Je pense que non…

L’aidant sait-il qu’il est un « aidant » ? Je ne pense pas me tromper en avançant que non, pas toujours… il est avant tout le conjoint ou l’enfant de quelqu’un qui a besoin d’aide et il ne se reconnaitra sous l’appellation « aidant » que tardivement ! S’approprier le statut d’aidant, se reconnaitre en tant que tel est un cheminement long, il suit les même étapes qu’un deuil. C’est ce que l’on appelle le deuil blanc… Faire le deuil de la représentation que l’on pouvait avoir de la personne avant, avant la maladie…. Avant l’âge…

Demander de l’aide, c’est encore plus long pour l’aidant …. Il a intégré qu’il se doit de faire bien et seul et dire qu’il n’y arrive plus, c’est culpabilisant. Demander de l’aide est alors considéré comme un échec ! L’aide bien que nécessaire, est rejetée en même temps … C’est toute cette ambivalence que nous devons gérer.

Alors faire de « l’aide aux aidants » n’est pas si simple ! Tout le monde est intimement persuadé du bienfondé de la démarche, les professionnels, les bénévoles et les aidants eux même qui expriment un fort sentiment de solitude sont tous d’accord ! Être aidant est difficile, c’est un investissement de tous les jours parfois sur du très long terme, sans aide, c’est quasiment impossible. Cependant, quelles aides apportées, à quel moment, sous quelle forme, les questions restent nombreuses …

Mais d’ailleurs, qu’appelle-t-on l’aide aux aidants ? Aider quelqu’un est une démarche tellement large qu’elle ne veut, en soi, pas dire grand-chose ! et j’ai eu beau chercher, je n’ai rien trouvé qui cadre le champ des possibles.

Il n’existe pas de consensus dans la définition, mais en 2006, L’UNAF (Union Nationale des Associations Familiales) définit les besoins des aidants. Je vous propose, en miroir, de considérer que l’aide aux aidants correspond aux actions menées pour répondre à ces besoins. Ils sont au nombre de quatre :

  • Comprendre et être compris : L’aidant a besoin de comprendre son mal-être pour mieux le maitriser. Il veut être compris et, par conséquent, être déculpabilisé. Il a besoin d’être écouté, et d’être soutenu. Il doit être accompagné pour percevoir le professionnel comme un soutien lui permettant de se ménager pour tenir plus longtemps et non comme un ennemi potentiel
  • Être formé : l’aidant n’est pas un professionnel de la gérontologie et pourtant, il va devoir intervenir quand les professionnels ne pourront pas le faire, il a besoin de connaitre la pathologie dont souffre la personne âgée aidée, il doit avoir la capacité à s’adapter aux spécificités du grand âge sans faire mal ni se faire mal … Mais soyons honnête, bien souvent, il a besoin uniquement d’être rassuré, son amour et ses angoisses l’ont amené à une connaissance intuitive tout à fait performante que la nôtre !
  • Être remplacé : On est aidant plus qu’à temps plein, l’aidant est susceptible d’intervenir 24h/24, il lui sera impossible de tenir sans moment de répit. Une psychologue spécialisée en gérontologie me disait, que son objectif avec les aidants quelle accompagnait était très humble, les amener à accepter de sortir marcher, prendre un livre, regarder un film ou pratiquer tout autre activité de répit agréable, pendant les interventions des professionnels. Lâcher prise et accepter de faire confiance est souvent très difficile … L’autre forme de remplacement est celui qui consiste en un renfort ponctuel si l’aidant venait à défaillir (une maladie, un déplacement incontournable…) L’aidant a souvent peu de choix et du mal à les mettre en œuvre
  • Insertion, protection sociale et professionnelle : Je faisais la remarque un peu plus haut, la moitié des aidants sont les enfants de la personne aidée et ils sont souvent encore en activité. Combiner le statut d’aidant à sa propre vie personnelle et professionnelle est souvent mission impossible. Il est primordial pour l’aidant de savoir à quelles aides il peut prendre, comment il peut être soutenu.

Intervenons-nous dans ces quatre domaines ? non, pas à ce jour …. En tout cas, pas de façon homogène, voilà bientôt 14 ans que notre association fonctionne et le nombre de fois où nous sommes intervenus auprès d’aidants en activité se compte sur les doigts d’une main… et pourtant…

Les difficultés d’organisation bloquent la recherche d’informations et l’utilisation des aides 

N’oublions pas un dernier aspect qui n’est pas des moindres, les freins financiers. Ils sont réels pour certains, fantasmés pour d’autres mais ils bloquent l’utilisation des aides possibles. Même si l’accès à certains stages s’avère gratuit, il sous-entend néanmoins, du transport, un renfort de garde auprès de la personne aidée et tout cela est rarement pris en charge !

Les constats que nous faisons tous, quant aux actions d’aide aux aidants que nous mettons en place, restent forts et nous les partageons :

·        Une méconnaissance et une sous-utilisation des aides proposées,

·        Un fort sentiment de solitude pour l’aidant face aux difficultés à affronter,

·        Une résistance à intégrer un dispositif d’accompagnement,

Alors arrêtons les actions où nous passons un temps infini à chercher les rares aidants qui veulent bien les suivre, arrêtons de décider pour eux ce dont ils ont besoin, prenons le temps de les écouter et réfléchissons ensemble aux actions qui répondrons le mieux à leurs besoins !

C’est urgent, n’oublions jamais, qu’un tiers des aidants décède avant la personne aidée.

                                                         Parole d’une aidante / professionnelle de la gérontologie

PS : J’essaierais d’être plus légère la prochaine fois, j’ai bien envie de vous parler du Diktat du « bien vieillir » …

Arielle Gondonneau

Chargée de mission réseau référents handicap / doctorante en sociologie

4 ans

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Arielle Gondonneau

Chargée de mission réseau référents handicap / doctorante en sociologie

4 ans

Oui la question des aidants est majeure, récurrente mais entourée aussi de représentations. La catégorisation elle-même des « aidants » peut être questionnée. Qui sont ces aidants ? Sont-ils tous identiques ? Ont-ils tous le même rapport à l’aide ? De qui parle-t-on ? La sociologie peut apporter un éclairage nuancé et minutieusement analysé sur cette question sociale. J’invite à lire l’article de Vincent Caradec, publié en 2009 « Vieillir, un fardeau pour les proches ? »

Colette Eynard

Consultante en gérontologie sociale ARCG

4 ans

Catherine Mercier bernard Ennuyer il me semble qu'un élément important est généralement passé sous silence: celui de la nature du lien d'attachement qui existe entre l'aidant et l'aidé et qui montre que les situations et la manière dont elles sont vécues sont très différentes. Bernard, rappelle-toi l'étude réalisée en 1987avec toi et Michel Frossard et bien d'autres où nous avions montré qu'il existait plusieurs typologies d'aidants en rapport avec le type de lien et d'histoire qui les unissait. Vincent Caradec a aussi abordé ce thème sous cet angle.

bernard Ennuyer

Enseignant chercheur associé , Centre de Recherche des Cordeliers, Equipe d'accueil ETRES.

4 ans

Bonjour Catherine, plein de constats et de réflexions intéressant(e)s... que je partage sur cette question des "proches aidants" sur laquelle avec d'autres (M. Frossard, A Colvez notamment) nous avons commencé à travailler dans les années 1985. je me demande si votre vision de la famille au XIXème siècle , n'est pas un peu idyllique....certains historiens de la vieillesse (j' en ai lu pas mal, notamment JP Bois et JP Gutton , tout comme P. Ariès) mettent en question le fait que le modèle familial (d'une classe plutôt aisée) que vous décrivez et qui existait , bien sûr, ait été majoritaire, vu les difficultés de beaucoup de familles dans leur survie quotidienne. Or très souvent aujourd'hui les hommes politiques évoquent, pour culpabiliser les familles qui ne sont pas "aidantes"... cette représentation d'un âge d'or qui vraisemblablement n'a jamais existé. Ensuite je tique sur votre dernier constat, qu'on entend souvent , cette question de la disparition prématurée des proches aidants . A ma connaissance , il n'y a pas d'études généralisées rigoureuses qui permettent d'accréditer ces chiffres , avez-vous des sources sur ce sujet? Même si ce chiffre n'est pas fiable , il va de soi que cette situation des proches aidants est souvent très difficile, voire insupportable et que ce n'est pas la priorité des politiques publiques, ni aujourd'hui, ni vraisemblablement demain quand on voit se dessiner les difficultés de financement de la "fameuse " cinquième branche qui nous est promise.. pour demain ou....après demain!!(cf. rapport Vachey..). Amitiés

Laetitia GODIN I.

CGP-CIF ⎥Juriste ⎥Conseil en stratégies patrimoniales indépendant et engagé au service des personnes en situation de vulnérabilité

4 ans

Merci pour ce texte qui notamment replace dans son contexte historique le rôle et la place des proches aidants 🙏. Tout reste à inventer ...

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