L’alternative spatiale
Radio VM, Montréal, 31 août, 2020 - La quasi-totalité du trafic Internet passe par des câbles sous-marins en fibre optique. Dans notre précédente émission, nous avons examiné la manière dont les GAFA avaient mis la main sur ce marché. Ce n’est pas la seule nouveauté à signaler dans l’Internet à haute vitesse.
Un nouveau venu est en train de s’inviter dans ce marché en pleine expansion : le satellite. Pas n’importe quel type de satellite. On parle ici de satellite en orbite basse.
Les deux types de satellite : les satellites géostationnaires
Les satellites de communications actuels sont en orbite haute – exactement à 36 000 kilomètres de la terre. Ils sont placés à la verticale de l’équateur et tournent à la même vitesse que la terre, ce qui fait que trois satellites suffisent à couvrir l’ensemble de la surface terrestre…
L’ensemble, enfin, la plupart de la surface terrestre. Plus on s’éloigne de l’équateur pour se rapprocher des pôles, moins le signal est bon.
En plus, il y a un inconvénient majeur : le délai de propagation du signal, aussi appelé latence Vous avez tous remarqué qu’à la télévision, quand la personne interviewée est située au-dehors des studios, il y a un délai d’environ une demi-seconde…
Une demi-seconde, cela ne semble pas très long, mais c’est désagréable dans une conversation. On a envie de recommencer à parler au moment précis où l’autre personne répond.
Quand on parle de communications entre ordinateurs, une telle latence est rédhibitoire. Pour prendre un exemple extrême, pensons à une voiture autonome. Si l’ordinateur de bord doit attendre entre une demi-seconde et trois-quarts de seconde avant de réagir à un obstacle imprévu, que croyez-vous qu’il va se passer?
Un accident.
Tout cela va bientôt être chose du passé.
Les deux types de satellite : les satellites en orbite basse
En effet, l’année dernière, Elon Musk, le propriétaire de Tesla, aussi propriétaire de l’entreprise spatiale SpaceX qui a mis au point des fusées réutilisables – eh bien, Alon Musk a annoncé le lancement d’un réseau de satellites en orbite basse nommé Starlink.
Un satellite en orbite basse, cela veut dire qu’il sera situé entre 200 et 2 000 kilomètres au-dessus de la terre. Les satellites de Stalink seront situés à 550 kilomètres au-dessus de la terre.
Cela supprime le temps de latence. Mais cela signifie aussi que le satellite peut couvrir le tiers de surface terrestre. Le satellite passe au-dessus de nos têtes à grande vitesse et disparaît à l’horizon. Pour maintenir le contact, il faut qu’un autre satellite prenne le relais et ensuite un autre, et ce, sans arrêt.
Le projet Starlink d’Elon Musk
Voilà pourquoi Elon Musk compte lancer 12 000 satellites pour faire fonctionner le réseau Starlink en continu.
12 000 satellites : cela semble beaucoup?
Et bien ça l’est encore plus qu’on peut le penser. Il y a aujourd’hui, 2 600 satellites en orbite autour de la terre. Cela comprend toutes les formes de satellites : satellites de communications, satellites scientifiques et satellites militaires.
Or, Starlink annonce 12 000 satellites. Il s’agit bien sûr de tous petits satellites qui ont la taille d’une boîte de chaussures. En comparaison, les satellites de communications géostationnaires sont des mastodontes. Mais pour communiquer sur quelques centaines de kilomètres, ça suffit.
Aujourd’hui, Starlink a déjà placé 600 satellites en orbite. Le service est déjà testé dans la partie nord des États-Unis et dans le sud du Canada.
On estime que la phase commerciale commencera à la fin de l’année.
Autant dire que c’est une révolution qui se prépare. On estime que 40% de la population mondiale n’a pas accès à Internet. Du jour au lendemain, il n’y aura plus de zones d’ombre sur terre.
Mais Elon Musk n’a pas lancé le système Starlink pour que vous ayez le plaisir d’avoir accès à Internet depuis votre chalet de montagne durant les fins de semaine. Il ne l’a même pas fait pour les Africains ou les Indiens qui n’ont pas accès à Internet ou au téléphone.
Non, ce qui est en jeu est l’Internet des objets. J’ai mentionné au début la voiture autonome. Mais demain, tous les objets seront intelligents, pas seulement la voiture. Il faudra relier des milliards d’objets, mobiles ou pas.
Le satellite est fait pour répondre à cette demande massive.
Les concurrents de Starlink
Voilà pourquoi Elon Musk a lancé Starlink. Mais il n’est pas seul dans l’espace. D’autres joueurs sont également en train de déployer leurs réseaux de satellites :
- Le concurrent le plus direct est le projet Kuiper de Jeff Bezos, le grand patron d’Amazon – l’homme le plus riche du monde. Annoncé ce printemps, le projet consiste à lancer une constellation de plus de 3 2000 satellites.
- Un autre concurrent est OneWeb qui a déjà lancé 74 satellites et compte en lancer 650. Le projet avait déclaré faillite en mars, mais il a immédiatement été relancé par la compagnie de télécommunications indienne Bharti, avec l’aide du gouvernement britannique.
- Enfin, nous retrouvons un acteur bien connu au Canada : Telesat. On se souvient que Télésat Canada était une société d’État lancée par le gouvernement canadien en 1969. Depuis lors, la compagnie a été privatisée et elle appartient maintenant à la compagnie américaine Loral Space and Communications, mais son siège social est toujours à Ottawa.
Le projet de Télésat est de lancer 300 satellites en orbite basse – un seul a été lancé jusqu’à présent et il sert à faire des tests. Le projet prévoit toujours d’entrer en phase commerciale en 2023.
Démocratisation de l’espace
Les grandes manœuvres du satellite font déjà parler de « démocratisation de l’espace ». Jusque-là, le satellite était une chasse gardée des compagnies de téléphone et des États. Comment en est-on arrivé là?
Il y a d’abord la technologie. Les fusées réutilisables de l’entreprise SpaceX d’Elon Musk ont changé la donne en tirant les coûts de lancement vers le bas. Mais ce n’est pas tout. On parle maintenant de fabriquer les satellites en série grâce à des imprimantes 3D. Enfin, et surtout, Northrop Grumman Innovation Systems est en train de tester un remorqueur spatial qui va permettre de réparer les satellites en vol, de les ravitailler en énergie, de modifier leur orbite ou encore de procéder à des mises à jour d’équipement.
Il y a aussi la taille du marché. Morgan Stanley estime à 400 milliards de dollars le marché d’Internet par satellite d’ici 2040.
Quelques détails restent à régler
Si l’avenir semble prometteur, bien des difficultés restent à résoudre.
Les premiers tests effectués sur le système le plus avancé – le réseau Starlink – sont décevants. Alors qu’Elon Musk avait annoncé que Starlink offrirait une vitesse d’accès à Internet de l’ordre de 1 gigaoctet par seconde, les résultats observés en pratique varient entre 11 et 60 mégaoctets par seconde. Nous sommes loin du compte!
Enfin, cette nuée de satellites que l’on lance dans l’espace a eu pour effet de brouiller les travaux des radiotélescopes un peu partout dans le monde. Les astronomes ont tout de suite saisi l’organisme de réglementation américain, du problème.
Résultat : les derniers satellites lancés par Starlink en janvier dernier, ont été peints en noir pour qu’ils ne réfléchissent pas sur terre les rayons du soleil.
Ce n’était toujours pas suffisant pour les radiotélescopes ultra-sensibles comme l’observatoire international ALMA dans la cordillère des Andes ou encore l’observatoire américain Vera Rubin, également au Chili.
La dernière grappe de satellites lancée par Starlink a donc incorporé un système de parasols dépliables pour empêcher la lumière du soleil d’atteindre les surfaces lumineuses du vaisseau spatial, telles que ses antennes.
Reste à régler la question de la vitesse d’accès à Internet. N’oublions pas que le satellite est en concurrence avec la fibre optique. Si Starlink tient sa promesse et offre une vitesse de l’ordre du gigaoctet par seconde, le satellite sera à égalité avec la fibre optique – et il sera nettement plus rapide que le câble coaxial qui équipe encore la majorité des foyers.
Mais rappelons que le satellite en orbite basse a pour ambition de desservir aussi les objets mobiles, les voitures et les camions, les véhicules des services d’urgence et, bien sûr, les téléphones portables – entrant en concurrence directe avec les compagnies de téléphone.
La science-fiction n’est pas loin
Ce n’est pas tout. Au-delà de l’accès Internet, les entreprises comme Starlink ou Amazon parlent déjà de la prochaine étape : placer en orbite non plus seulement des satellites mobiles, mais des centres de données en entier.
Pensons aux températures extrêmement basses de l’espace, à l’ensoleillement permanent : on n’a plus besoin de réfrigérer les serveurs, on a accès à de l’énergie solaire bon marché. Bref, au lieu de parler d’informatique infonuagique, il faudra bientôt parler d’informatique infospatiale…
Quoiqu’il arrive, soyons certains qu’une nouvelle révolution est en cours dans les télécommunications.