L’anamnèse 2.0
Une solution digitale pour trouver les maux... et pourquoi pas les plus rares?

L’anamnèse 2.0 Une solution digitale pour trouver les maux... et pourquoi pas les plus rares?

Qu’est-ce que l’anamnèse ?

D’après l’étymologie grecque, l’anamnèse (anamnêsis) consiste à faire « remonter des souvenirs » (ána = remontée et mnémè = souvenir). Le terme désigne le processus qui permet au médecin de reconstituer l’historique médical du patient à l’aide de ses souvenirs et parfois, de ceux de son entourage. Le recueil d’informations sur les antécédents médicaux récents ou anciens du patient est une étape cruciale du processus de diagnostic. Il permet au soignant d’éliminer rapidement certaines pistes et de choisir plus vite un nombre restreint d’hypothèses pertinentes à tester. C’est ensuite la combinaison des informations sur l’historique du patient obtenues lors de cet entretien et de la démarche sémiologique, c’est-à-dire l’étude des symptômes et des signes cliniques qui permet de mener au diagnostic. Une anamnèse bien conduite permet de limiter le nombre d’examens complémentaires et d’accélérer le diagnostic formel. On utilise parfois l’expression « enquête anamnestique », par analogie avec une enquête policière. L’anamnèse désigne autant la démarche médicale d’interrogatoire du patient que le résultat de cette enquête.

Réaliser une bonne anamnèse est un véritable art car le praticien doit être suffisamment directif pour mener l’interrogatoire sans se laisser submerger par des détails, mais pas trop non plus pour ne pas influencer le patient et le laisser décrire au mieux les symptômes qui l’amènent. Il doit également différencier les plaintes des véritables symptômes et pour tout cela, privilégier les questions ouvertes aux questions fermées ou orientées.

Exemples de questions posées lors d’une anamnèse :

- Pourriez-vous décrire vos symptômes ?

- Depuis quand éprouvez-vous ces symptômes ?

- Les symptômes se sont-ils aggravés ou bien sont-ils constants depuis le début ?

- Existe-t-il des cas similaires dans votre famille ?

- Est-ce que vous fumez ?

- Prenez-vous déjà un traitement médical ?

« Écoutez attentivement le malade, il vous dit le diagnostic !” aimait à répéter le médecin canadien William Osler.

En théorie c’est vrai mais dans la « vraie vie » est-ce aussi simple ?

Être à l'écoute des patients et faire preuve d'empathie est fondamental, non seulement pour apaiser mais aussi pour délivrer le bon diagnostic. Mais ce qui fait souvent défaut est quelque chose de bien précieux : le TEMPS.

Dans une étude menée en 2017 par Doctolib, il ressort que les médecins généralistes français effectuent en en moyenne 22 consultations par jour d'une durée moyenne de 17 minutes et dans 75% des cas qu’il s’agit de rendez-vous consacrés au diagnostic, au traitement et au suivi médical. Lors des pics de consultation (épidémies saisonnières, période de forte chaleur ou de grand froid, congés…), les praticiens peuvent effectuer jusqu’à 30 rendez-vous par jour !

Vous l’aurez compris, faire le bon diagnostic dans ces conditions n’est pas une évidence mais une performance qui repose avant tout sur un engagement inconditionnel des soignants et de solides connaissances médicales.

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C’est d’autant plus complexe lorsqu’il s’agit de pathologies polysymptomatiques ou polyorganiques comme le sont souvent les maladies rares. En effet, plus les atteintes sont nombreuses, plus il va être long pour le médecin d’interroger le patient sur ses différents signes cliniques, ses antécédents familiaux et les différents examens déjà réalisés. Il devient alors indispensable d’avoir une approche holistique du patient. Cela constitue un véritable défi pour le médecin qui bénéficie pour cela d’un temps extrêmement réduit, et ce face à une pathologie qu’il ne verra probablement pas plus d’une fois dans sa carrière !

Dans l’enquête ERRADIAG réalisée par l’association Alliance maladies rares en 2016 sur l’errance diagnostique dans les maladies rares, il ressort les éléments suivants :

- 1 patient sur 2 a recherché durant au moins un an et demi son diagnostic et 1 sur 4 pendant plus de cinq ans,

- 1 patient sur 3 estime avoir subi une ou des erreurs de diagnostic,

- et plus d’1 patient sur 2 rapporte des préjudices physiques ou psychiques.

En bref, les médecins généralistes se retrouvent à devoir diagnostiquer des patients avec des pathologies diverses et variées, rares et fréquentes, avec un ou plusieurs symptômes, touchant un ou plusieurs organes, dans un temps toujours plus court et avec une masse d’informations à traiter toujours plus grande.

Il apparaît donc que toute aide serait bonne à prendre. Ainsi des outils synthétisant et analysant les données, des outils permettant d’établir des corrélations, des outils aidant à trier ce qui est important de ce qui ne l’est pas… seraient un soutien efficace pour accélérer et faciliter le diagnostic. L’objectif n’est évidemment pas de remplacer le médecin mais de renforcer ses capacités et de lui faire gagner du temps.

Pour pallier ces manques, de nombreuses sociétés sont en train de développer des outils dits d’anamnèse intelligente. On peut les classer en deux catégories :

- les premières (qu’on qualifie de « diagnostic machine non supervisé »), à destination du grand public, dont certains affirment qu’elles sont plus performantes qu’un médecin pour arriver au bon diagnostic mais qui ont tendance à se tromper dramatiquement (Ex. avec le chatbot d’anamnèse intelligente de Babylon Health qui s’est vu attribué sur Twitter le hashtag #DeathByChatbot (mort par chatbot) suite à un cas clinique gravissime non résolu). Cette première catégorie a d’ailleurs été fortement critiquée dans une publication du Lancet.

- et les secondes qui travaillent main dans la main avec les patients et les médecins (on parle ici de « diagnostic machine supervisé »), et qui aident le patient à mieux préparer leur rendez-vous et le médecin à se libérer du temps pour davantage examiner le patient et discuter du traitement.

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Dans ce dernier cas, je pense notamment à l’application belge Bingli qui permet au patient de prendre le temps pour répondre aux questions et pour aller chercher les informations dont le médecin a besoin (antécédents familiaux, examens réalisés, symptômes…). Le fait de répondre aux questions en amont de la consultation et à la maison est plus agréable, moins stressant et permet d’avoir des informations plus fiables et plus complètes. Pour cela, « l’application utilise des algorithmes de type « Decision making thinking », qui simule la façon dont un médecin réfléchit, basé sur son expérience, ses sentiments. Les questions sont dynamiques et explorent toute la sphère physico-psychique. Le questionnaire n’est pas construit comme un arbre décisionnel. La probabilité du pré-diagnostic change en fonction des réponses, mais jamais rien n’est exclu. Le pré-diagnostic n’est visible que par le médecin et le feedback en fin de consultation permet de nourrir la machine (machine-learning), et aussi améliorer sa pratique. »

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La société française Anamnèse a également développé une solution qui pourrait répondre à ce besoin. Grâce à leur modélisation de la connaissance médicale, leur intelligence artificielle choisie les bonnes questions à poser au patient selon le contexte, les informations déjà connues, et ce, dans la langue de son choix.

Ils ont développé leur propre ontologie médicale décrivant les types de relations entre maladies, syndromes, facteurs de risque, médicaments, examens complémentaires, symptômes, questions, réponses, actes chirurgicaux. Cette ontologie (qu’ils appellent le MKG : Medical Knowledge Graph) est constituée à partir de bases de données fiables, vérifiées par la communauté scientifique (CIM-10, Orphanet, ATC, DSM-5, DRC…) et enrichies régulièrement par des experts du corps médical.

Chaque utilisation d’Anamnèse (réponses patients aux questions + diagnostic retenu par le médecin) permet d’affiner les prévalences (et probabilités conditionnelles) d’une maladie sachant que le patient a tel symptômes et tels facteurs de risque à tel moment de l’année dans telle région…

Anamnèse s’appuie prioritairement sur des techniques d’intelligence artificielle symbolique (type système expert) qui rendent ses résultats explicables à la communauté scientifique. Pour aller encore plus loin, les ingénieurs d’Anamnèse travaillent sur intelligence artificielle hybride qui prendrait également en compte des données de vie réelle. Cette approche permettrait de combiner raisonnement logique et apprentissage automatique, un peu comme un médecin qui compilerait ses connaissances théoriques et son expérience pratique.

On perçoit bien ici l’intérêt d’une telle technologie dans l’aide au diagnostic des maladies rares qui demandent souvent d’analyser et de traiter un grand nombre d’informations relatives au patient et à sa famille. Ces outils d’anamnèse intelligente peuvent être déployés par le biais de simples questionnaires envoyés par mail ou sms en amont de la consultation ou dans la salle d’attente. On peut également imaginer l’utilisation de ces logiciels d’aide au diagnostic via des assistants vocaux (Apple Siri, Amazon Alexa, Google Assistant…), qui en plus des questions, pourraient diagnostiquer des pathologies par la voix.

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La voix pour trouver les maux

Voici ce qu’écrivait Vincent Martin, qui est doctorant en informatique à l’université de Bordeaux, en janvier dernier sur Slate.fr :

« En effet, des maladies telles que la dépression, Parkinson, ou Alzheimer ont un impact sur le fonctionnement neurologique des patients qui en sont affectés, et peuvent modifier la façon dont ils parlent.

Ainsi, en plus du contenu, le « contenant » du discours d'un individu –sa voix– recèle des informations sur son état de santé.

Que la personne parle dans sa barbe, articule moins, parle plus lentement ou encore allonge les voyelles, votre cerveau analyse à votre insu de nombreux paramètres vocaux, principalement divisés en deux catégories :

- D'une part, des paramètres acoustiques, mesurant la qualité de la voix, comme la fréquence, l'énergie, la nasalité ou l'amplitude de la voix. Est-ce que la voix est aiguë, grave, forte, douce ? La voix fait-elle de grandes variations ou est-elle monotone ?

- D'autre part, des paramètres que l'on appelle «prosodiques», tels que la durée des voyelles, la vitesse d'élocution, la longueur des pauses. Ces marqueurs de la qualité du phrasé permettent de rendre compte du rythme de la parole, de la prononciation et de l'articulation du locuteur. Les voyelles sont-elles allongées ? Certaines syllabes sont-elles altérées ? »

Vincent Martin rapporte dans son article que plusieurs études ont démontré l’intérêt d’une telle approche. Dans la dépression, on atteint des scores de bon diagnostic de 74% alors qu’il est de 85% dans une étude à destination des patients atteints de la maladie de Parkinson.

En conclusion, vous l’aurez compris l’anamnèse est depuis toujours une étape incontournable pour diagnostiquer des maladies et le rôle des soignants dans cet exercice restera central pour encore de nombreuses années.

Nous nous trouvons aujourd’hui dans un effet ciseau car le médecin a de plus en plus de données patient à traiter et un temps alloué à l’anamnèse de plus en plus réduit (pour des raisons administratives, organisationnelles, financières…).

Ce constat est d’autant plus problématique pour diagnostiquer une maladie rare car ce type d’affections est souvent multi symptomatique, familiale et complexe.

L’anamnèse intelligente pourrait donc être un moyen efficace pour réconcilier temps et analyse. Il semble donc qu’elle pourrait avoir de beaux jours devant elle notamment dans les maladies rares même si de grosses avancées technologiques permettront de la rendre encore plus efficace et pleinement adoptée par les médecins. La solution par questionnaires écrits reste la plus avancée et la plus fiable, l’analyse de la voix suivra probablement mais il reste encore de nombreux biais liés à cette technique car comment faire si le patient a un fort accent, utilise des mots « jargon », s’il est dyslexique ou qu’il parle du nez à cause d’un mauvais rhume ?

Karine Soulat

Consultante marketing e santé | Experte #therapiedigitale #etherapy #digitaltherapeutics #Dtx | Marketing reference for Human Health #OneHealthPharma | Fondatrice ke-Health #formationdigitale

3 ans

Merci Brice de Kinkelin on se sent plus intelligent après lecture de ton article !

Brice de Kinkelin

Experienced Pharma & Biotech Professional Showcasing Expertise in Marketing, Strategic Intelligence & Sales Across Diversified Therapeutic Areas, Enhanced by an MBA in Digital Innovation

3 ans

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