Lancement réussi pour Clear Fashion, le « Yuka de la mode »

Le 17 janvier 2020 – Paris – Le monde de la mode et du luxe bouge sur les problématiques environnementales et sociales. Au fur et à mesure de mes rencontres, je vous propose de partager des initiatives et des projets qui m’ont enthousiasmée.

Lancée il y a quatre mois, Clear Fashion est une toute nouvelle application qui note les marques de mode selon quatre critères affichés sur le site : « environnement, humain, santé et animaux ». Une des deux co-fondatrice fait le point à l’aube de l’année 2020.

2019 : l’année où le consommateur a basculé vers l’écologie pour ses achats mode ?

Il y a trois ans, quand les co-fondatrices, Rym Trabelsi et Marguerite Dorangeon rencontraient les marques de mode pour leur projet d’application, celles-ci répondaient généralement que l’écologie était une demande des consommateurs très rarement traduite en acte d’achat… alors, pourquoi s’en préoccuper - vraiment ?

En quelques mois, on serait passé d’un enjeu de communication à un enjeu économique. Le Fashion Pact présenté au G7 à Biarritz en août dernier pourrait en être une autre manifestation. Politiques et consommateurs semblent pousser les marques à s’engager dans le changement écologique.

Clear Fashion, un très beau démarrage

Lancée en septembre 2019 pour aider le consommateur à acheter ses vêtements de manière plus éthique et plus écologique, Clear Fashion totalise 40 000 téléchargements sans jamais avoir payé de pub.

Les utilisateurs de l’appli reviennent six fois plus que la fréquence moyenne d’achat française. La fonctionnalité la plus utilisée est la demande par l’utilisateur d’ajouter une marque non encore notée. Aujourd’hui, on peut dire que l’application sert avant tout comme outil d’engagement des consommateurs pour faire changer les acteurs du secteur vers une mode plus écologique et plus éthique.

Une équipe de six personnes a été mise en place pour gérer l’ensemble. Une de leur grande réussite est d’avoir su s’entourer d’experts compétents et indépendants, gage de sérieux dans la méthodologie d’évaluation des marques.

Plus de 90 marques sont à ce jour répertoriées et la priorité de l’équipe est d’augmenter rapidement ce nombre. L’évaluation d’une marque demande un jour et demi de travail pour une personne. Aujourd’hui, 15 marques sont traitées chaque mois. Il y a encore du pain sur la planche car 300 marques sont demandées par les utilisateurs de l’application!

Jouer collectif pour changer la mode

« Ca ne sert à rien d’épuiser des forces pour faire la même chose en moins bien. Il faut essayer de s’allier ou de trouver comment être plus complémentaire », déclare Rym Trabelsi qui affiche un esprit collaboratif et voit Clear Fashion comme une forme de lobby pour faire évoluer le secteur de la mode.

Dès le départ, l’équipe s’est interrogée sur le maillon manquant pour faire changer l’industrie de la mode. Il existe déjà des labels comme Cruelty Free, GOTS (Global Organic Textile Standard) etc, qui font des audits sur le terrain des pratiques et des marques. On trouve aussi des cabinets capables d’authentifier les informations données par les marques comme Bureau Véritas ou PETA. Mais qui agrège toutes les données pour les rendre disponibles aux consommateurs de manière centralisée ?

Une autre application, anglophone et australienne, Good On You, s’est aussi essayée depuis 2017 à la notation des marques de mode. Aujourd’hui, Good On You compte 150 000 utilisateurs connectés chaque mois et référence 2000 marques. L’approche est différente, plus journalistique et « lifestyle ». L’application ne cherche pas seulement à noter les produits mais met aussi en avant des marques, propose des articles sur la mode éthique et fait le lien avec des offres promotionnelles de marques promues.

Issues d’AgroParisTech, les deux fondatrices de Clear Fashion entendent proposer une approche scientifique et rigoureuse de la notation telle qu’elle existe déjà dans le secteur alimentaire et l’appliquer à terme non seulement aux marques mais également aux produits.

Alimentaire 1 / Mode 0

Quand on va sur l’application en tant que consommateur, on aimerait en savoir plus sur tel ou tel vêtement et en remonter le processus de fabrication. Un rêve ? Noter les marques c’est bien, noter les produits ce serait mieux. Néanmoins, comme la plupart des acteurs du secteur, Clear Fashion pointe aussi que l’information n’est pas disponible : « Les échanges d’information ne sont pas matures. La mise en place d’un fichier Excel avec les fournisseurs de rang 2 serait déjà une bonne première étape » pour la plupart des marques souligne Rym Trabelsi. Quant à une traçabilité telle que la blockchain, Rym Trabelsi estime qu’elle ne sera pas possible avant « 10 ans » ! Chez les distributeurs alimentaires, ces échanges d’informations entre producteurs et distributeurs existent déjà depuis longtemps.

Noter, entre rigueur scientifique et parti-pris culturel

Pour établir sa notation, Clear Fashion rassemble les informations données par les marques et évalue les labels selon leur degré d’exigence. Mais elle ne compte pas dévoiler son barème ce qui conduirait, selon elle, à des conflits d’intérêt. L’équipe cherche à noter en étant le plus fidèle possible à ses valeurs. Ce n’est pas sans soulever des dilemmes. Pour illustrer sa pensée, Rym Trabelsi prend l’exemple du bien-être animal à propos duquel aucun indice n’existe aujourd’hui. Qu’est-ce qui est acceptable ? Pour la majorité en France, ébouillanter les vers pour obtenir de la soie est acceptable tandis que tuer un renard pour sa fourrure est inacceptable. Cette hiérarchie des espèces n’est en revanche pas présente dans l’indice de Clear Fashion qui cherche à être en accord avec ses valeurs et sans doute aussi à anticiper celles de demain. Dans les prochaines années, plus l’information sera disponible, plus les critères de notation devraient s’affiner.

Trouver un business model pour accélérer la révolution du secteur

Améliorer l’expérience utilisateur à travers de nouvelles fonctionnalités comme les favoris, l’historique de recherche et le scan du code barre des vêtements est le principal chantier pour 2020. Cette année, l’application pourrait aussi se déployer sur d’autres marchés francophones. « Et, même au delà de la zone francophone, tant la demande est forte », explique Rym Trabelsi.

De la même façon que Yuka lancé en janvier 2017 arrive tout juste aujourd’hui à l’équilibre financier et cherche encore son business model, Clear Fashion doit aussi trouver comment gagner de l’argent tout en gardant son indépendance. La source de revenus la plus prometteuse est la vente des notations de Clear Fashion aux marques comme outils de communication pour renforcer leur crédibilité éthique et environnementale.

Est-ce une nouvelle forme de label ? Comme un particulier devient « Super Host » chez Airbnb, les marques deviendront « Super Bien Noté » chez Clear Fashion ?


Un grand merci à Rym Trabelsi, co-fondatrice de Clear Fashion, pour l’interview qu’elle m’a accordée le 7 janvier 2020. Autres sources : presse / site Good On You.

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