L'ATTENTE
Pour beaucoup, elle est synonyme d’anxiété ou de frustration.
J’ai toujours pris soin d’elle et elle m’a souvent apporté des purs moments de sérénité et de plénitude, m’offrant un merveilleux espace temps m’incitant à y piocher tout ce qui fait les délices du mot « attente » dans les contrées du rêve, de l'espoir et du désir, parfois.
Le fait d'attendre la rencontre a toujours relevé du même plaisir que je prenais à m'installer au soleil parisien d’une simple terrasse, passant de mon journal à la contemplation de la rue, des gens qui passaient, de ces secondes de vies inconnues et juste entraperçues. Des heures pleines à juste laisser s'écouler la vie, la mienne et celle de ceux que mon regard suivait dans ce bref moment qui a vu nos routes se croiser et que je ne reverrai plus jamais. Je me souviens de ces instants comme si, touché par la grâce, j'avais pu ressentir la vie et la joie de l'arbre voisin, en dépit de son environnement bétonné, l'humeur frivole de l'eau de la fontaine croisée sur cette très belle petite place ou la douleur des gravillons sous le coup des boules de pétanque.
Je sillonnais la ville, au hasard des rues, me laissant emporté par mes envies et bercé de musique. Chico Buarque transformant un temps les pavés parisiens en grains blonds et fins de Ipanema ; « O que sera que sera » rajoutant à la magie de l’instant ainsi vécu, tellement ces mots envoûtants restent encore aujourd’hui, pour moi, pleins de ce mystère qui fait de la poésie l’amante tendre et bienveillante de cette attente inspirée.
Ces journées ne passaient pas plus vite, ni ne s’attardaient désagréablement, juste je les sillonnais heureux, presque béat, et surtout attentif à toutes les beautés offertes au regard, comme un apéritif au moment exclusif qui m'attendait au bout de cette chemin emprunté et presque survolé à quelques pouces du sol. Chemin que je vois et ressens, comme bordé d'arbres aux feuilles éclatantes, heureuses elles aussi, à peine traversées de quelques ombres et rayons chauds, caressées par un vent doux et bienveillant. Je sentais ce même vent sur mon visage, sur ma chemise un peu humide du temps passé au soleil et j'aimais cette sensation de frais nouveau.
Libéré de toute attente, de toute anxiété, du lendemain, j’avais alors le temps pour tout en ces instants. Outre mes douces après midi au soleil ou mes déambulations aléatoires et bercées, je lisais beaucoup, écrivais et dessinais. L'esprit libre et l'âme consolée, je m'abandonnais facilement au temps perdu, à la plongée en moi. Je touchais du bout des doigts la moindre émotion ressentie et il me semblait avoir un accès facile et fidèle à celles que je croisais au détour d'une ruelle dans la silhouette furtive d’un passant ou même de son ombre aplatie et suiveuse. Un regard, un sourire, une larme et j’étais alors immédiatement envahi de mots, d'images, de couleurs, qu'il m'aurait été aisé et tellement agréable de coucher sur la page blanche de mon carnet d'Emotions du jour, mais je continuais mon chemin, mon aventure, telle une éponge de mer dévalant une pente humide et se gorgeant de tout sur son passage, avant de trouver le repos et de se repaître du lot de sensations recueillies.
Aujourd'hui, j'expérimente l'attente de quelqu'un avec qui je n'ai même pas rendez-vous, espérant que cette phase supplémentaire m'apporte en amont un autre type d'état de grâce, plus fort même, pourquoi pas ? Attente et attentes, doux mots, tellement j'ai confiance dans le fait que ces dernières sont toujours comblés par surprise, au détour de l’imprévu, d’une rue, d’une lecture, d’une randonnée ou juste d’une simple discussion.
"Méritons le temps de la patience et les jours où rien n'arrive", Tahar B.Jelloun. Nuit Sacrée
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5 ansJe viens de le lire. Cela fait du bien. Merci Carlos. Hélène
Très bel écrit Carlos. Merci.