L'avant-projet de loi sur les clauses de non-débauchage dans le secteur de l'intérim doit être retiré
Un avant-projet de loi du ministre fédéral de l'Emploi, Pierre-Yves Dermagne, est actuellement sur la table. Ce texte représente un risque existentiel pour l’existence même du secteur de l'intérim. Il ne s’agit de rien d'autre qu'une intervention imprudente et inutile des autorités sur un marché totalement transparent et concurrentiel, auquel tant les entreprises que les demandeurs d'emploi sont libres de faire appel. Ce secteur est, par ailleurs, déjà extrêmement réglementé et peut compter sur la vigilance des nombreuses inspections de notre pays. En outre, la motivation de cette initiative, à savoir promouvoir une plus grande mobilité sur le marché du travail, témoigne d'une méconnaissance, voire d'une incompréhension, du rôle que joue le travail intérimaire sur notre marché du travail.
Qu'est-ce qu'une clause de non-débauchage ?
Les clauses de non-débauchage dans le secteur du travail intérimaire sont le moyen couramment utilisé pour permettre aux entreprises d'intérim d’être rémunérées pour les services qu’elles fournissent. Sourcing, screening, sélection, recrutement, formation, placement, suivi... des candidats : tous ces services représentent un coût qui doit être répercuté sur les utilisateurs afin que les entreprises d'intérim puissent réaliser une marge raisonnable et être rémunérées pour leurs prestations. Les clauses de non-débauchage fixent la période que doit respecter le client-utilisateur avant de pouvoir engager le travailleur intérimaire en fixe.
N'y a-t-il donc pas de possibilité d'engager l'intérimaire plus tôt ? Si, bien entendu. Le travailleur intérimaire peut toujours être engagé avant l'expiration de la période minimale, à condition que l'utilisateur indemnise l'entreprise d'intérim en conséquence, selon des dispositions convenues à l'avance. Les clauses de non-débauchage sont régies par le droit belge des contrats, qui prévoit l'interdiction de l'abus de droit, et par les principes de transparence, de raisonnabilité et de proportionnalité consacrés par la jurisprudence. Si une clause ne respecte pas ces principes, elle peut être modérée par un juge.
Que prévoit donc l'avant-projet de loi ?
L'avant-projet de loi prévoit qu'une clause de non-débauchage ne peut être conclue que pour les contrats de travail intérimaire d'une durée d'au moins un mois. De plus, la durée de la clause de non-débauchage ne peut excéder deux mois.
Cet avant-projet revient de facto à interdire totalement la clause de non-débauchage et porte fondamentalement atteinte au modèle de revenu du secteur du travail intérimaire. D'une part, parce que dans le secteur de l'intérim, plus de 90% des contrats sont des contrats hebdomadaires et, d'autre part, parce qu'en moyenne, la durée d'une clause de non-débauchage est d'environ 6 mois et diminue proportionnellement en fonction du nombre de jours prestés par l’intérimaire chez l’utilisateur. Supposons que la clause de non-débauchage soit de 6 mois et que l'utilisateur veuille engager l’intérimaire après 3 mois, une indemnité de 3 mois sera alors demandée.
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Une solution à un problème quasi fictif !
Cette manière de procéder existe depuis que le secteur du travail intérimaire existe et a rarement donné lieu à des litiges sur le terrain. De plus, le marché du travail intérimaire est très transparent et concurrentiel, de sorte que des clauses de non-débauchage non conformes au marché n'ont que peu ou pas de chances d’être acceptées. L'avant-projet de loi du ministre Dermagne relève de la pure casuistique. Il témoigne d'un opportunisme imprudent et ceux qui pensent qu’il sera profitable risquent de le voir revenir comme un boomerang. En outre, dans le cadre de l'autorégulation, nous disposons chez Federgon d’un point de contact et d'une charte concernant la rédaction des clauses de non-débauchage, charte que nos membres Intérim s'engagent à respecter.
« Les clauses de non-débauchage ne sont ni plus ni moins qu'un accord équitable entre des parties qui respectent mutuellement leur travail. Dans les rares cas de désaccord, une solution à l'amiable est recherchée et presque toujours trouvée. Exceptionnellement, le droit belge des contrats est l'arbitre ultime. Il est évident que les autorités n’ont aucun rôle à jouer ici. »
Les enjeux sont immenses pour les entreprises et les demandeurs d'emploi...
Si le modèle de revenu disparaît, il n’y a plus de secteur de l'intérim et ce qui reste, c'est un grand vide sur notre marché du travail.
Le secteur de l'intérim employait 744 000 personnes en 2022. La grande majorité des intérimaires, soit 444 000, travaillent sous le statut ONSS classique. A côté de cela, on dénombre 52 000 intérimaires sous le statut flexi-job et plus de 302 000 étudiants jobistes. Du côté des clients, ce sont plus de 160 000 entreprises qui ont recours au travail intérimaire pour répondre à divers besoins. D'après une étude du SERV (Conseil économique et social flamand), il s'agit principalement de pourvoir à des remplacements (53%), de recruter des collaborateurs (55%) et d'absorber des pics d'activité (52%). Le secteur du travail intérimaire est ainsi devenu un acteur essentiel de notre marché du travail, un acteur qui aide les entreprises à répondre à leurs besoins en matière de recrutement et de flexibilité. Examinons de plus près le rôle du travail intérimaire en tant qu'outil de recrutement pour d'autres entreprises. Pour ce faire, nous examinons la proportion de personnes engagées par des entreprises et des organisations qui travaillaient auparavant comme intérimaires dans ces mêmes entreprises et organisations. En d'autres termes, à quelle fréquence une période d’intérim a-t-elle débouché sur un engagement en fixe ? La KU Leuven (en particulier le professeur Struyven) s'est penchée sur cette question. Ce qu'il en ressort ? La part des transitions d'un emploi à l'autre au départ du secteur de l’intérim est de 39 % dans le secteur de la logistique, de 34 % dans le commerce de détail et de 46 % dans l'industrie manufacturière. Dans ces secteurs, l'intérim est donc devenu le canal de recrutement par excellence. La Stichting Innovatie & Arbeid, l'institut de recherche du SERV, avait déjà publié une étude qui a abouti à des conclusions similaires. Toute personne qui connaît bien le marché du travail ne peut ignorer ce rôle essentiel du travail intérimaire.
Un appel au bon sens !
A ce stade décisif de l'examen politique du texte, nous demandons ni plus ni moins que le retrait complet de cet avant-projet de loi. Loin de résoudre les problèmes, il ne fait qu'en créer ! Et surtout, nous demandons ... laissez-nous entreprendre, afin que ces 160 000 entreprises et ces 750 000 travailleurs intérimaires ne restent pas sur le carreau. Nous voulons pouvoir continuer à faire ce que nous faisons le mieux : trouver des solutions. Il est un peu ironique de constater que le Conseil des ministres, sur proposition de la secrétaire d'État à l'Asile et à la Migration Nicole de Moor, a approuvé la deuxième prolongation et extension du travail intérimaire chez Fedasil, au moment même où un avant-projet de loi du ministre Dermagne pourrait porter un coup fatal à notre secteur.
Directrice administrative chez EQUIP by job&talent
1 ansAvant-projet rédigé sans aucune analyse des conséquences et avec une grande méconnaissance du secteur !