Leçons pandémiques. Face à un risque, faut-il prévenir ou guérir ?

Leçons pandémiques. Face à un risque, faut-il prévenir ou guérir ?

Le fait pandémique

L’Extrême-Orient a remarquablement géré la protection de sa population face au danger de la pandémie (voir mon post sur ce sujet) ; il s’est – par contre - beaucoup moins concentré sur le volet vaccination : à fin mars 2021, l'Australie et la Corée du Sud avaient vacciné moins de 3% de leur population, le Japon et la Nouvelle Zélande, moins de 1% ; et Taïwan, moins de 0,1% ; ce qui a fait écrire au New York Times "These countries did well with Covid. So why are they slow on vaccines?". L’Occident a fait l’inverse : il a complètement raté la protection a priori de sa population mais il vaccine plus et plus vite.

Cette dichotomie illustre un contraste culturel frappant : face à un danger, l’Extrême-Orient se préoccupe de prévention a priori et l’Occident se concentre sur le traitement a posteriori. L’un empêche qu’il ne survienne et l’autre le traite une fois survenu.

Ce contraste est culturel, donc profond. Dans la médecine chinoise traditionnelle, les médecins étaient, parait-il, payés pour maintenir les patients en bonne santé et les soignaient gratuitement quand ceux-ci étaient malades, car la maladie était considérée comme un échec de leur mission. Nos médecins ne sont payés qu’une fois que nous sommes malades et pour nous guérir. Depuis toujours, dans beaucoup de pays asiatiques, on enlève ses chaussures avant d’entrer chez soi pour ne pas salir son intérieur. En Occident, on marche chez soi comme dans la rue et on utilise ensuite des désinfectants pour nettoyer les microbes qu’on y a fait pénétrer. Dans son livre Diplomatie, Kissinger parle au sujet des USA de "tradition dans laquelle on résout habituellement les problèmes une fois identifiés, en déployant de grands moyens".

Ce contraste en cache un autre : l’horizon vers lequel on regarde. La prévention oblige à anticiper, donc à analyser les risques avant que ceux-ci n’arrivent. Elle oblige à se tourner vers le futur. Or, c’est bien le cas des cultures extrême-orientales : en Corée, un enfant qui naît a déjà un an car il entre dans sa première année qui est devant lui. En France, quand on mesure l’âge, on regarde le passé : on attend que cette année soit achevée, donc derrière lui, pour considérer qu’il a un an. Ceux qui ont arbitrairement placé la « ligne de changement de date » en plein milieu du Pacifique étaient des visionnaires : aussi bien chronologiquement que culturellement, l’Extrême-Orient entre dans l’avenir avant l’Occident.


L’enseignement

Qu’est-ce qui vaut le mieux : prévenir ou guérir ? La question ne se pose pas uniquement à l’échelle des Etats, mais aussi des entreprises ou même d’un individu.

Il n’y a pas besoin d’une longue démonstration pour affirmer que la prévention a priori d’un problème comme une pandémie de Coronavirus est immensément moins énergivore que son traitement a posteriori. Il est tout aussi évident qu’a contrario, on gaspille son énergie à chercher systématiquement des solutions à tous les problèmes – même mineurs - susceptibles de survenir. On peut aussi se demander dans quelle mesure un danger existant, déjà matérialisé, stimule davantage l’inventivité par l’obligation dans laquelle on est de lui trouver une solution ; la saga des vaccins à ARN en est une illustration : la recherche traînait depuis plus de 10 ans et, nécessité faisant loi, elle a brillamment abouti en quelques mois de pandémie.

En fait, la question mérite sans doute d’être traitée sous l’angle de l’analyse de risque :

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Les situations en priorité 1, comme un risque de pandémie, doivent être traitées sur le mode « prévention » (voir ici la bonne analyse de risque de la pandémie actuelle) et celles en priorité 3, sur le mode « traitement ».

La réponse est moins évidente pour les priorités 2. Confronté à un risque de priorité 2, on optera pour la prévention a priori ou pour le traitement a posteriori au cas par cas, en tenant compte de ses moyens disponibles, de sa sensibilité au risque et de ses objectifs stratégiques.

Mais, dans tous les cas, il faut en passer par cette phase d’analyse du risque qui, elle, doit être faite préventivement. Puis élaborer des réponses préventives à toutes les situations potentielles identifiées en priorité 1, sans attendre leur survenue. Sans oublier de réévaluer l’analyse régulièrement pour y inclure d’éventuels nouveaux dangers.

Pour réaliser ce travail, les Etats devraient donc disposer d’un Centre d’Analyse et de Prévention des Risques. Les entreprises devraient l'inclure dans leur stratégie et, sans doute, se faire aider de conseils extérieurs (mais en existe-t-il ?).


Illustration en entreprise : où placer le niveau de qualité d’un produit ?

Une entreprise que j'ai dirigée a été confrontée à un problème de solidité d’un compresseur de matelas de prévention d’escarres utilisé en EHPAD et en hôpital. Il arrivait que le compresseur, mal manipulé par le personnel soignant, tombe et endommage les vannes d’air mécaniques, mettant l’appareil hors service. Or, pour un patient âgé alité immobile, une escarre peut survenir en quelques heures à peine.

Le service qualité de l’entreprise a immédiatement préconisé de prévenir le risque a priori, en remplaçant, dans la nomenclature de fabrication de tous les appareils, les vannes mécaniques par des électrovannes beaucoup plus solides mais quatre fois plus chères, donc avec un fort impact sur la marge brute.

Or, l’analyse de risque a révélé que le risque de non fonctionnement du compresseur suite à une chute était « improbable » (rare : une dizaine de cas par an sur un parc installé de 10 000 compresseurs) et que la gravité, fonction de la réactivité des intervenants et de l’état du patient, allait de « moyenne » en EHPAD et « très grave » en hôpital. Donc priorité 2. Un calcul financier a par ailleurs démontré qu’il était bien moins coûteux de renvoyer en express un nouveau compresseur gratuit en cas de panne en EHPAD, voire d’en offrir un en « rab préventif » dans les hôpitaux, que d’augmenter le prix de revient de tous les compresseurs.

Dans ce cas précis, la décision a donc été un mélange de traitement a posteriori du risque chez certains clients et de prévention a priori chez d’autres (mais en aucun cas par de la sur-qualité).

Fabrice JACQUET

Entrepreneur chef d'entreprise PME

3 ans

Sun Tzu a beaucoup insisté sur la nécessité de la préparation et de l'anticipation. Il a certainement participé à en faire des traits culturels profonds en Extrême-Orient. Voici, en plus de celui que vous avez fort opportunément cité, quelques autres extraits de son Art de la Guerre qui vont dans le même sens : - Celui qui excelle à résoudre les difficultés le fait avant qu’elles ne surviennent. Article III - Une armée victorieuse remporte l’avantage avant d’avoir déclenché la bataille ; une armée vouée à la défaite combat dans l’espoir de gagner. Article IV - Savoir garder un ordre merveilleux au milieu même du désordre, cela ne se peut sans avoir fait auparavant de profondes réflexions sur tous les événements qui peuvent arriver. Article V - Avant d’en venir à un combat définitif, il faut que vous l’ayez prévu et que vous y soyez préparé depuis longtemps ; ne comptez jamais sur le hasard dans tout ce que vous ferez en ce genre. Article VII - Si vous voulez n'être jamais effrayé par la multitude de vos travaux et de vos peines, attendez-vous toujours à tout ce qu'il y aura de plus dur et de plus pénible. Article VIII

Ghislaine Loze

Banquier Privé CIC Lyonnaise de Banque

3 ans

Sun Tzu dans "l'art de la guerre" - puisqu'on a parlé de Guerre pour la Covid- a dit: "Généralement, celui qui occupe le terrain le premier et attend l'ennemi est en position de force; celui qui arrive sur les lieux plus tard et se précipite au combat est déjà affaibli" Un livre de stratégie opportun pour décideur/entrepreneur et qui permet aussi une bonne compréhension de la pensée politique chinoise actuelle, qu'en pensez vous?

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