Le bien-être enseignant: "Job crafting"
En ce mois de juin, nous tirons, collégialement, les leçons d’une année compliquée, confinée, aussi dressons-nous le bilan de comportements révélateurs d’un mal-être latent chez des étudiants de BTS et de CPGE affectés par ces temps atypiques.
Nous constatons en équipes pédagogiques le non-respect de la règle, des horaires, le non-respect du travail demandé, de l’interdiction de l’usage du téléphone. Ce constat relatif à la ponctualité, de l’assiduité, à l’addiction au numérique révèle une motivation déclinante de nos jeunes. L’orientation par défaut en BTS, une dévalorisation chronique « Je suis nul, je n’y arriverai jamais », une persévérance anéantie par le syndrome du « A quoi bon ? », « A quoi bon passer 4 heures à travailler un devoir, quand je sais que je n’aurai pas la moyenne ? », une attention volatile, happée par le portable tellement plus satisfaisant quand l’intention et la manière d’agir font défaut… sont autant de causes qui génèrent un immobilisme, dû à ce qu’appelle Carol Dweck «Fixed mindset »: "Si je ne réussis pas d’emblée (mon orientation, ma scolarité…), je suis bon à rien."
D'un autre côté, cette attitude de nos élèves fait écho à la nôtre d’enseignants, qui généralisons souvent leurs traits de caractères comme définitifs. « Ils sont mal élevés, ne respectent pas la règle, ne font pas le travail, sont incapables de laisser le portable dans le sac... » Ce présent de vérité générale cristallise un état de fait qui semble « fixed », figé, péremptoire, difficilement modifiable, même avec la meilleure volonté du monde. «Ils sont comme ça, que faire ? Pas grand-chose… outre les punitions, les sanctions. » Nous nous engluons souvent dans des croyances limitantes car elles nous apportent le bénéfice secondaire du « connu », moins inconfortable que « l’inconnu ». Dresser un portrait générique de nos élèves nous rassure temporairement car il nous offre un moment de connivence mais finalement nous déresponsabilise et cultive le fatalisme. Chercher à creuser ce qu’un ressenti nous dit de nos besoins peut être un travail délicat car cela exige de nous une introspection courageuse. Cette conscientisation de nos manières d’agir occasionnera peut-être une remise en question de nos savoir-faire... mais dans la quête de solution. Posons-nous la question suivante: Que souhaitons-nous: appréhender les difficultés comme des leçons à tirer, traces de notre faillibilité d’humains, ou accepter un inconfort professionnel, qui nous dépossède de tout contrôle?
Or, si l’on convoque la théorie incrémentielle de l’intelligence ou « Growth Mindset », toute expérience nous enseigne une leçon, si l’on est attentif. Elle développe ce que Victor Frankl nommait l’espace de liberté entre le stimulus et la réponse, qui peut nous offrir une nouvelle perspective sur notre métier. Ces observations courageuses faites dans le cadre de notre profession nous interrogent sur nos propres motivations d'agir : quel est le sens que nous donnons à notre travail ? Et si, au lieu de déplorer ces manquements à la règle, et de n'avoir que la punition comme solution, nous placions « éduquer » devant « enseigner ». Notre rôle d’enseignant s’enrichirait alors de la mission d’apprendre à nos jeunes la ponctualité, l’assiduité, l’attention par le plaisir et les circuits de récompense, la réussite pour réussir à nouveau. Nous estimons trop souvent que ces mal-nommées « soft skills » ou savoir-être, doivent aller de soi tandis que, dans les faits, ils sont rarement des pré-requis aujourd'hui, bien que cruellement indispensables à l’estime de et la confiance en soi. Cette nouvelle façon d'envisager le métier ou « job crafting » enseignant peut effectivement recadrer notre action et lui donner un sens plus noble, plus essentiel, et donc un contrôle sur les comportements et accomplissements de nos jeunes, sans occulter pour autant la punition, si les règles ne sont pas respectées.
La sidération face à une question épineuse demande traitement: agir ou consentir ? Si nous ne faisons que déplorer, nous consentons et devons accepter un inconfort insupportable. Si nous changeons de perspective sur ces constats et retrouvons notre responsabilité de pédagogues, nous agissons. Il est en définitive illusoire de vouloir faire rentrer des jeunes dans le rang quand le sens de leur action leur échappe. Quand l’engagement n’est pas signifiant, les mobiles d’agir n’existent pas... pour les étudiants comme pour les enseignants. Assumons un rôle où l’apprentissage de savoir-être relève de notre responsabilité d’enseignants, sans la sous-traiter aux familles. Construisons des critères d’évaluation qui en tiennent compte pour valoriser les efforts dans ce sens. Nous en tirerons des satisfactions bien plus grandes si les objectifs sont accessibles mais exigés. Le choix de la constitution de nos équipes, le choix des techniques proposées (îlots, classe inversée, contribution responsable de chacun à un projet collectif), le choix des délais imposés peuvent nous offrir le sentiment d’auto-détermination, le sentiment d’auto-efficacité et le sentiment d’appartenance, tous trois indispensables au bien-être enseignant. Tout cela est en notre pouvoir.
La transparence dont nous avons fait preuve en constatant ces écueils est la preuve que nous pouvons sans jugement mais avec réalité objective traiter les données factuelles de nos gestes professionnels pour en tirer des leçons collectivement. Nous pourrons ainsi mener des actions conjointes pour un meilleur climat de classe et un climat scolaire plus serein. Aller assister à des cours de disciplines différentes peut être un des leviers à exploiter pour apprendre les uns des autres. L’accueil des élèves, la vérification du travail personnel et sa valorisation, les consignes, l’engagement actif de chacun, la considération des contributions et de l’impact de chacun, l’élaboration collective des bilans de séances (Ce que j’ai appris ? ressenti ? Ce que je peux faire ? ce que j’aurais pu faire ?) peuvent générer un sentiment d’appartenance fort, chacun se sentant entendu, vu, et considéré. Solliciter de l’aide et encourager la pro-activité peuvent devenir des habitudes. Comme les enseignants, les étudiants peuvent apprendre que chacun a un rôle à jouer, à sa façon, dans l’efficacité du collectif.
D’un constat de mal-être, nous pouvons donc mettre au jour, grâce à un changement de paradigme, les besoins de sens de chacun et ainsi élaborer des stratégies pour nous engager tous pleinement dans des actions efficaces et épanouissantes.
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Il n’y a pas d’innovation sans erreur potentielle, pas de collaboration sans conflit potentiel. Ayons le courage de proposer des idées, aussi saugrenues soient-elles. Osons la friction intellectuelle sans friction émotionnelle car au fond nous recherchons tous la même chose: que nos élèves s’engagent volontiers dans leur apprentissage, grâce à un climat scolaire propice.
Sandrine Bauchet, Académie de Limoges
Conseillère Technique de Service Social, responsable académique chez MINISTERE DE L'EDUCATION NATIONALE ET DE LA JEUNESSE
3 ansJ ai toujours autant de plaisir à te lire!! Chaque phrase fait écho en moi Un grand merci pour ce partage 👏