Le concept d’armée européenne « unie dans la diversité »
Depuis quelques mois, une ancienne idée est sortie d’un chapeau suite à certaines réactions étasuniennes, revenue sur un plateau porté par la France, critiquée par le député européen de la revue stratégique qui rejette aussi l’OTAN, accompagnée du coin des lèvres par l’Allemagne et refusé par les Pays-Bas qui pourtant étaient curieux et attirés par le dynamisme français : l’armée européenne. Mythe ou réalité comme diraient les grands penseurs ? Faudra-t-il une baguette magique pour gagner du temps dans un futur réaliste et réalisable ?
Par François CHARLES
Président de l’I.R.C.E. et de NOVIAL CONSULTING & INTITUTE SAS, ancien responsable d’affaires industrielles européennes, internationales et OTAN, auteur de nombreux articles sur la défense européenne et l’OTAN
Ses différences font souvent la force de l’Europe sauf que l’on ne sait souvent ni les comprendre, ni les assembler, ni les valoriser. Le concept est possible en tenant compte toutefois de certaines réalités qui sont apparues lors de nos conférences sur les politiques de défense et de sécurité en Europe et nos travaux de plus d’un an et non terminés sur le sujet présent, en amont d’une potentielle décision politique, avec des questions simples et de réalités diverses (identité, capacités, forces, faiblesses, degré d’autonomie, notions de risques et menaces…) à des responsables militaires et diplomatiques de bon nombre de pays européens. Ils menèrent à analyser peu à peu ce projet d’une part dans une gouvernance européenne au sein d’une possible réforme de l’OTAN sans s‘y opposer et d’autre part avec une notion de capacités, d’imbrication, de complémentarité et d’interdépendance des forces. On rappellera que le 10 décembre 2018, l’OTAN et l’Union européenne ont signé un accord par lequel elles s’engagent à coopérer pour promouvoir la bonne gouvernance dans les secteurs de la défense et de la sécurité avec l’apport d’un financement de 2 M€ entre 2019-2002 pour le développement de l’intégrité.
Pour une meilleure compréhension par ses partenaires avec certain échos en retour, E. Macron aurait du commencer par rappeler que la Communauté européenne de défense (CED) était déjà un projet français de création d'une armée européenne, avec des institutions supranationales, placées sous la supervision du commandant en chef de l'OTAN, signé par 6 États, que le 27 mai 1952, ratifié par la République Fédérale d'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, mais rejeté par l'Assemblée nationale française alors opposée au réarmement de l’Allemagne, au grand plaisir des Russes, remettant la défense de l’Europe de facto aux Américains. Il aurait du aussi dire qu’il n’y avait rien de nouveau au niveau des propositions, notamment sur les battle groups, sauf désormais cette volonté politique du chef qui fait avancer les choses comme dans toute organisation, notamment aussi par le fait qu’en France le président de la République est chef des armées de par la constitution, comme il l’a rappelé dans le débat au Parlement européen, et qu’il s’agit de se séparer de l’OTAN après l’avoir réintégré alors que quasi seule la France et nombre de militaires, le réclame.
Bien sûr on avancera les nouvelles réalités de la réorientation des Etats-Unis en Asie, d’où est d’ailleurs venue l’idée de créer l’OTAN après la crise de Corée, et le fait que D. Trump impose une certaine force notamment budgétaire menaçant de se retirer et mettant au défi la France de vouloir faire le job.
J’inviterai le lecteur à lire les constats et analyses, notamment historiques, développés dans « les mots clés de la défense européenne », dans les 78 propositions avec notamment la création d’une DG défense qui avait quasi vu le jour avant que M. Barnier ne s’occupe du Brexit, et dans de nombreux autres articles sur le sujet abordant les notions de bilatéralisme ou multilatéralisme, la position que devrait avoir la France au sein de l’OTAN. Paraitront prochainement des articles sur compréhension et réforme de l’UE et de l’OTAN par la théorie des organisations.
J’ai eu l’honneur de signer le livre d’or de l’Eurocorps, organisme de commandement dédié à l’UE et à l’OTAN, plus décrié en France, où l’on me répondit que cette idée d’armée européenne n’existait plus et où j’ai remarqué que les identités étaient fondues dans un moule, certes nécessaire dans un cadre d’autorité et pour une fois autonome budgétairement, mais perdant peut-être tout sens de la diversité et de la force européenne.
Sans aborder en détail le panorama des capacités avec forces et faiblesses de chaque pays ou groupe de pays qui sera la composante d’un livre blanc européen comme il aurait du l’être dans la revue stratégique française, restons déjà dans le cadre de référence et de certaines réalités qui seront abordées par la suite en utilisant la théorie des organisations avec les différents types de leader, la structure, les membres, la stratégie et l’activité, ceci dans les environnements interne et externe.
Même sans parler de la Pologne, des pays baltes, des pays de Visegrad et des Balkans qui sont des éléments pesant pour l’instant sans concession dans la balance de l’OTAN, qui apportent également des capacités méritant d’être reconnues et nécessitant une étude particulière, ayons par exemple un regard bref sur certaines particularités de quelques pays occidentaux permettant de comprendre qu’une avancée réaliste et réalisable, pourrait être au moins une gouvernance européenne de confiance au sein de l’OTAN, certes considéré par certains comme outil anti russe, mais formidable outil d’intégration, en tenant compte des capacités, des savoirs, savoir faire et savoir être. Ceci va dans le sens d’une responsabilisation demandée par les Etats-Unis sans les voir quitter pour autant le système. La PESCO récente des 23 pays et le fonds Juncker sur l’innovation ne s’y opposent pas puisqu’il s’agit de coopération industrielle, rappelant que la normalisation OTAN est plus européenne qu’étasunienne. Il serait intéressant de se reposer la question de la valorisation de l’OCCAR, se qualifiant d’organisme international.
L'Espagne, bon élève au sein de l'UE et de l'OTAN, déjà dans l’organisation avant de devenir une démocratie avec une interdépendance comme pour l’UE où la situation semble néanmoins plu confortable, engagée au maximum de ses capacités, soucieuse de bien faire son travail, loyale et perfectionniste, présente depuis le début en Afrique avec Atalante, appartenant à l'Eurocorps et plutôt favorable à son ouverture, contribue potentiellement aux battle's groups à la disposition de l'UE en attente d’une volonté politique. Les forces sont réduites mais opérationnelles avec des régiments polyvalents. Les méthodes de travail sont OTAN et non espagnoles, au moins dans l'armée de l'air mais elle ne peut compter sur l'OTAN pour la protection des villes espagnoles d'Afrique du Nord mises en difficulté et sans aide des proches voisins ni sur les enclaves de Ceuta et Melila. Le pays entretient une position géographique clé avec les Açores.
Considérons les Pays-Bas, fiers d’être dans l’OTAN mais indépendants avec la recherche d’accords bilatéraux pour limiter les risques de non application de l’article 5, n’intervenant jamais seuls, le plus grand des petits pays occidentaux avec la Bénélux et le Danemark avec une grande contribution quasiment partout acceptant de faire partie de n'importe quelle coalition mais pas à n'importe quel prix, dont la marine est jumelée avec la Belgique mais l'armée de terre avec l’Allemagne avec un travail bilatéral globalement efficace, avec une menace est focalisée sur la Russie et les migrants, avec des manques sur la logistique, l'artillerie et le renseignement.
Apprenons de la Suède, officiellement indépendante de l’OTAN avec la quelle elle possède une « carte Platinium », plus otanienne que certains pays membres, avec sa devise « défense nationale pour la paix », pays qui semblait près à participer à tout, à la fin de la guerre froide, mais dont les récentes réactions russes imposent une réorientation des efforts avec une baisse des participations aux opérations multinationales et un accroissement du niveau et des accords avec d’autres pays, notamment en privilégiant le bilatéral (NLD, DNK, Pays Baltes, Pologne, USA, UK…) mais peu avec la France peut être trop occupée dans le sud ou par ses aspects historiques, alors qu’elle entretient de relations avec la Norvège, ou peut-être s’agit-il de rivalités et d’incompréhensions stériles. Le pays est dépendant économiquement de l’UE avec si possible son allié britannique à l’intérieur. La Suède entretient une approche spécifique pour la mer baltique, une défense réduite qui oblige des coopérations, une grande expérience d'interventions extérieures (Balkan, Afghanistan en IED, Renseignement) avec un retour aux fondamentaux logistiques suite aux nouvelles tensions.
Considérons la Grande Bretagne, acteur européen clé au sein de l’OTAN sans s’y vouloir top dépendante, dont la devise aurait pu être avant « un pont sur l’Atlantique » et désormais « ensemble si intérêts communs », avec une reconnaissance évidente d’un problème de capacités, ouverte aux approches bilatérales ou multilatérales au cas par cas, qui n’est pas dans l’accord de défense nordique (DEFCO) mais qui aurait sa place, ouverte historiquement aux pays baltes.
Le Portugal est très volontaire à participer mais désormais avec des moyens économiques limités et avec un outil industriel notamment détenu par l’étranger. La base de l'OTAN à Lajes est un point stratégique fondamental. Le Portugal est une référence pour les opérations spéciales avec son expérience en Angola et au Mozambique et affiche son lien historique avec les forces britanniques.
L’Italie entretient un rôle dynamique au sein de l'OTAN, avec un rôle géographique clé avec la base en Sicile et Etat-major à Naples. Les Italiens sont partout, notamment en Afghanistan et avec les Espagnols dans les Balkans et au Liban.
Les Allemands sont davantage dans le consensus et le compromis. La PESCO est différemment comprise en franco-allemand, comme pour bien d’autres termes comme le fédéralisme, avec une France qui veut réagir rapidement avec un petit nombre de pays et une Allemagne qui cherche l’inclusivité. La France voit l'400M français alors que l'Espagne et l'Allemagne le voient multi-nations. Le pays est présent dans l'OTAN sauf pour la marine, avec un rôle stratégique en hausse même en Afrique sans d’ailleurs demander avant à la France.
Et dans une défense européenne, qui pense à la Suisse, véritable laboratoire mais également réservoir, dont la devise est indépendante et neutre, comme le village gaulois dans la loupe mais respectée. Le pays promeut la paix mais est très armé, possédant un nombre insoupçonné de chars en service, avec un esprit de résistance et une obligation de prévoir un coût d’envahissement et des missions de défense du territoire à plus de 300 km. Le pays dispose de mandats ONU, uniquement « peace keeping » ce qui restreint la liberté de manœuvre. Il est partenaire pour la paix avec l’OTAN et n’est donc pas dans l’antichambre mais sur un strapontin avec une indépendance avec l’OTAN, comme avec l’UE. Le pays pourrait être en accord pour une défense européenne avec un engagement dans toutes les missions même sans être dans l’UE pour justement ne pas avoir certaines règles à accepter. Il entretient des accords bilatéraux avec ses voisins mais souffre de solitude, de manque d'expérience opérationnelle et de manque de prise en compte de menaces hybrides.
Pour la comparaison entre UE et OTAN, rappelons que l’Autriche ne fait pas partie de l’OTAN par respect de ses engagements au départ des Russes, que la Finlande n’y est pas pour maintenir le dialogue avec les mêmes et que l’Irlande non plus dans une neutralité partenaire, comme la Suède sans doute dans un ancien esprit français allié de très longue date.
En matière d’Europe, certains penseront aussi à la Turquie mais aussi à Israël, hautement technologique, et valorisable dans la course à l’innovation, et zone tampon entre l’OTAN et ses partenaires du sud dont d’ailleurs l’Algérie, encore française en 54, membre du dialogue 5 + 5, et qui parle de ses ancêtres les gaulois qui sont vraiment venus sur son sol déportés par les Romains.