Le courtier d’assurance a le devoir de donner une information exacte aux tiers

Le courtier d’assurance a le devoir de donner une information exacte aux tiers

Jo-Anne Demers, associée sénior, Clyde & Cie Canada S.E.N.C.R.L.

Laurent Durocher-Dumais, avocat, Clyde & Cie Canada S.E.N.C.R.L.  

Dans un arrêt récent, la Cour d’appel confirme que le courtier d’assurance a un devoir d'agir de bonne foi et de renseignement envers un tiers qui, sans être son client, subit les conséquences des informations inexactes qu’il a fournies relativement à un produit d’assurance. Cette décision est intéressante en ce qu’elle reconnaît que le courtier peut avoir des devoirs qui vont au-delà des relations qu’il a avec ses clients.

Dans cette affaire, M. Lefebvre souhaitait acheter la résidence de M. Robinson mais les parties n’arrivaient pas à un accord quant au montant de la vente, une différence de près de 200 000 $ séparant l’offre de la contre-offre. Cherchant une solution, M. Lefebvre consulte un courtier d’assurance qui lui conseille de souscrire une police d’assurance prépayée sur la vie de M. Robinson au bénéfice de la succession de ce dernier. Le courtier transmettra, au nom de M. Lefebvre, une nouvelle offre à M. Robinson comprenant le paiement d’une grande partie du prix de vente à la signature de l’acte, d’une balance payable dans les cinq ans ainsi que la souscription d’une police d’assurance vie de type universelle sur la vie de M. Robinson avec un capital décès indexé et payable à la succession de M. Robinson. M. Robinson accepte cette offre.

Suite aux représentations du courtier et ce, au nom de M. Lefebvre, ainsi que celles de l’assureur à l'effet que les primes avaient été « complètement prépayées » et « prépayées à vie » par M. Lefebvre au moyen d’une rente, M. Robinson renonce à prendre une hypothèque garantissant le paiement des primes d’assurance. Les parties signeront l’acte de vente en 1992.

En 2005, soit une dizaine d’années plus tard, en raison de mauvais rendements des investissements liés à la police, le fonds d’accumulation ne suffit plus à payer les primes et l’assureur exige plus de 200 000 $ pour maintenir la police en vigueur. Le courtier offre alors au comptable de M. Robinson de racheter les droits de ce dernier dans la police pour une somme d’environ 400 000 $ mais sans lui en expliquer la raison. Il ne formulera jamais son offre par écrit tel que demandé. Ce n’est que trois ans plus tard, en 2008, que le comptable de M. Robinson apprendra que des primes sont dues sur la police.

M. Robinson met alors M. Lefebvre en demeure de payer les primes afin que la police soit maintenue en vigueur, le tout dans le respect de leur entente. Vu l’inaction de ce dernier, M. Robinson paie lui-même les primes dues pour éviter la déchéance de la police et il est aussi à prévoir qu’une prime de plus en plus importante sera requise annuellement tant qu’il sera en vie. Il réclame donc à M. Lefebvre, au courtier et à son cabinet le remboursement des primes qu’il a payées et le paiement de l’équivalent du capital décès.

La Cour supérieure[1] conclut que M. Lefebvre n’a pas rempli son obligation de payer toutes les primes tel que prévu à l’offre d’achat et le condamne à payer les dommages réclamés. La Cour reconnaît cependant que son courtier l’a induit en erreur sur la nature de la police qu'il achetait, manquant ainsi à ses devoirs de renseignement et de conseil.

De plus, le Tribunal, s'appuyant sur l’arrêt Bail[2] de la Cour suprême, énonce que le courtier avait un devoir de bonne foi et de renseignement envers M. Robinson et ce, même s’il n’était pas son client. Ainsi, le courtier, a, d’une part, commis une faute en recommandant un produit d'assurance non conforme aux besoins de M. Robinson et, d’autre part, en continuant de fournir des informations incomplètes et inexactes. Le Tribunal a jugé que le courtier avait dès lors l’obligation de fournir une information exacte ou à tout le moins, de s’abstenir de donner des informations qu'il savait incomplètes ou fausses. Le Tribunal considère également que M. Lefebvre et M. Robinson n’auraient jamais souscrit une telle police s'ils avaient su que des primes substantielles pouvaient être requises plus tard afin de la maintenir en vigueur.

Le Tribunal a donc établi que le courtier avait commis une faute extracontractuelle envers M. Robinson et l'a tenu responsable, avec M. Lefebvre, de tous les dommages. Pour sa part, M. Lefebvre avait poursuivi son courtier en garantie et la Cour a déterminé que ce dernier avait engagé sa responsabilité contractuelle envers celui-ci et devait l'indemniser de tout montant payé à M. Robinson en vertu du jugement.

Le courtier, son cabinet et M. Lefebvre ont interjeté appel. La Cour d’appel[3] a rejeté les appels et confirmé que le courtier avait une responsabilité extracontractuelle envers M. Robinson, tout en soulignant que le dossier comportait des circonstances particulières.

En effet, nous croyons également que ce jugement s'inscrit dans le cadre d'un contexte factuel bien précis considérant que le courtier a fait des représentations expresses à un tiers sur un produit d'assurance. Nous retenons néanmoins de cette décision que tout professionnel peut engager sa responsabilité extracontractuelle lorsqu’il transmet des informations incomplètes ou inexactes à des tiers.

[1]Robinson c. Lefebvre, 2014 QCCS 3045.

[2]Banque de Montréal c. Bail Ltée, [1992] 2 R.C.S. 554, 588.

[3]Roy c. Lefebvre, 2016 QCCA 660.

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