Le CPF, une illusion continue depuis 2014
Si le CPF est depuis 2014 une piètre réponse administrative aux besoins de formation des travailleurs la tentative actuelle des pouvoirs publics de le relancer via une miraculeuse application mobile relève de la croyance en un miracle éducatif
1) Qu’est-ce que le CPF et pourquoi ça ne marche pas ?
Le CPF est le faux successeur du Droit Individuel à la Formation (DIF)
Tout comme le DIF il donnait droit à la réalisation d’un nombre d’heures de formation (24 heures par an pour le CPF contre 20 h pour le DIF), tout comme le DIF il pouvait être cumulé pendant 120 heures (DIF) ou 150 h (CPF) et être réalisé sur ou hors temps de travail
. Là s’arrêtent les analogies car le CPF a d’abord été conçu par le MEDEF comme la porte de sortie pour une promesse infernale des partenaires sociaux (loi de mai 2004) : rendre la formation simple, équitable, financée et accessible à tous les salariés durant leur contrat de travail.
Cette promesse, malgré les retards et tergiversations, aurait pu être tenue (en traînant les pieds mais tenue) par les employeurs car le DIF relevait de la codécision du patron (concerné par le développement des compétences) et de son salarié (motivé et responsable de son employabilité). La crise de 2008 (dont nombre d’entreprises vieillissantes ne se sont jamais remises) aura malheureusement emporté à la fois la promesse d’une formation équitable et universelle (pour les seuls salariés il est vrai), les budgets formation de nombreuses entreprises (quand une crise surgit le budget formation est l’un des premiers à en subir les contrecoups) et même la majorité politique qui avait lancé la formation tout au long de la vie et le DIF (François Fillon, Ministre du travail en 2004).
Le CPF version 2014 (en heures de formation) différait du DIF sur 2 points essentiels
- Il n’est plus une dette formation de l’employeur envers son salarié (pour le flux annuel de 20 ou 24 heures mais aussi et surtout pour le stock d’heures cumulées) mais une pseudo-dette collectivisée par l’OPCA et bientôt de la Caisse des dépôts (avec une « valorisation » de 14,28 € par heure de CPF/DIF non consommée)
- Il n’est plus de la responsabilité de l’employeur qui peut se désintéresser totalement du développement des compétences en renvoyant son salarié vers un CPF externalisé (et incapable)
Le CPF version salarié est un formidable et triple échec de l’Etat, des partenaires sociaux et du Parlement depuis 2014
- Moins de 1 % des salariés l’utilisent chaque année (du fait de sa complexité de mise en œuvre mais aussi de la faiblesse des fonds disponibles, assis sur une micro-cotisation payée par les seules entreprises de plus de 10 salariés)
- Les entreprises se sont désintéressées du dispositif et désinvesties massivement du champ des formations non obligatoires. Moins de 40 entreprises (sur 3,3 millions) auront signé un accord CPF et l’auront mis en œuvre de 2015 à 2017 selon un rapport de l’IGS.
- La Caisse des dépôts a totalement raté son système " moncompteformation.gouv.fr » mais elle est à nouveau sollicitée pour déployer une application (magique et mobile) pour téléphone intelligent.
Ce système national de comptabilisation n’a pas eu d’effet positif sur la formation des salariés mais l’Etat récidive en confiant une nouvelle fois le bébé CPF (en euros désormais) à la Caisse des dépôts qui devra organiser les formations (en 2 clics) et les payer (en 1 clic).
- Le CPF est devenu une rustine formation pour pôle emploi qui pioche dans les compteurs CPF des chômeurs pour les envoyer en formation (en contribuant à faire du chiffre CPF)
Pour relancer un CPF fort mal en point les Pouvoirs Publics tentent, via la réforme de 2018, une désespérée et désespérante opération de sauvetage
- Transformer les heures de formation en euros de formation (soi-disant plus parlant pour les salariés)
- En finir avec les « usines à gaz ave une –miraculeuse- application formation mobile pour Smartphone qui permettrait de se former en 2 clics et en direct (du producteur -organisme de formation- au consommateur –heureux titulaire d’un CPF garni d’euros)
- Rayer de la carte les intermédiaires qu’étaient les OPCA en laissant seuls (ou presque) les salariés choisir leur formation, les contenus, les modalités, le prix, la durée…
L’application formation CPF reste un leurre conceptuel, organisationnel et éducatif
1) La formation n’est pas de la consommation et si l’Etat est fier d’aligner ses millions de jeunes bac + X années de formation, en matière de formation continue ce n’est ni le nombre d’années, d’heures ou d’euros d’études qui comptent mais l’alternance et l'éclairage de la formation par le travail, ses besoins et ses développements (que seule l’entreprise maîtrise et peut promouvoir)
2) La formation n’est pas l’école avec son organisation nationale de salles de cours sur tout le territoire. Elle est d’abord une prestation de services commandée par une entreprise en fonction des besoins du travail, pas la planification fantasmée de cours nationaux qui attendraient leurs clients
3) Une formation a besoin d’intermédiation (efficace) : le management qui autorise et négocie avec le salarié le départ en formation (de là l’intérêt de la démarche conjointe du DIF autrefois), l’employeur qui, s’il est doté d’une GPEC, peut adapter les compétences de ses salariés aux besoins futurs du travail, de professionnels de la formation (les OPCA et les OF) qui instruisent les dossiers, gèrent les demandes, font le tri entre les fantasmes et la réalité et peuvent évaluer, conseiller et accompagner les salariés et leurs employeurs.
Ce qu'il indispensable de développer sur Smartphone : le passeport formation (que la loi de 2004 promouvait déjà).
Depuis mai 2004 le législateur préconise de développer un passeport individuel de formation (sur le modèle du passeport européen des compétences) qui appartiendrait à chaque travailleur et lui permettrait de faire le point sur ses compétences, ses stages, ses apprentissages et ses besoins de formation. Ce passeport formation sur mobile, promu par nombre de spécialiste (François Taddei entre autre) permettrait à chacun de tracer son parcours éducatif, de connaître son capital formation disponible, mais surtout de comprendre que la formation, comme l’éducation, se bâtit jour après jour, que la professionnalisation passe par la réflexion et la mesure du parcours, des expériences, des besoins de l'individu au sein du collectif Travail qu'est l'entreprise.
Plutôt que de tenter de développer à grand frais pendant des années une application CPF pour Smartphone (qui décrédibilisera un peu plus l’Etat et ses institutions) les Pouvoirs Publics seraient mieux inspirés d’abandonner les compteurs formation et leurs fantasmes consuméristes pour déployer
- Un chèque annuel et individuel de formation non cumulable (le bénéficiaire tout comme l’employeur cotisent chaque année)
- Un passeport européen formation sur mobile afin de tracer les parcours, les projets, les compétences et connaissances pour conserver une trace et une preuve des apprentissages de chacun au sein d’une économie devenue celle de la connaissance et de la mobilité
Le pouvoir politique souhaite (à juste titre) remettre en marche la formation des Français ça ne sera pas avec une fantasmée carte de fidélité formation, même mobile et sur Smartphone qu’il y parviendra.