Le défi du confiné
Je sais, c’est un peu iconoclaste mais, au fond, je sais que je ne suis pas le seul à penser que nous vivons un moment exceptionnel pour nous mêmes. Cette époque de télétravail et de « restez à la maison » est un laboratoire, à nous de tirer profits de cette situation d’isolé.
Les agendas, après s’être vidés, ouf, c’était bon, zut, ils se sont vite remplis de réunions virtuelles guère plus utiles que les anciennes réunions physiques ou les anciennes réunions en conférence calls où l’araignée au centre de la table essayait, en vain, d’être un octopus pour mixer personnes en présence et personnes en télétravail.
Nous ne sommes pas en test, ni en représentation, mais tout de même si l’on ne règle pas sa caméra ou son micro ou son background ou son apparence, ça en rappelle les règles non? Impossible de se débarrasser des convenances sociales.
Les mails non plus ne sont pas taris, au contraire, ils ont eu une poussée de fièvre.
Les amis et la famille, que l’on pouvait tenir à l’écart pour ces moments de solitude dont on a toujours besoin, se manifestent maintenant à toute heure pour prendre des apéros, prendre des nouvelles, donner des leurs, bref bavarder. Mais comment leur faire comprendre qu’une réunion apéro en Zoom ou en HouseParty n’est pas comme une réunion de travail et n’a rien à voir avec de vrais apéros. Où sont nos apartés, nos signes non verbaux, nos embrassades, nos coups de coude, etc. Et pourquoi untel doit il pérorer en rappelant qu’il était juste rentré de Wuhan quand tout s’est déclenché, encore un de ces millions d’individus qui ont « presque » été là au moment d’un événement. Croient ils impressionner? Et pourquoi telle autre se sent obligée de nous rappeler qu’il faut se laver les mains après une livraison à domicile, devenue en outre essentielle d’après elle pour assurer la variété, si l’on veut manger sain et arrêter les pâtes et le riz à tous les repas. En fait, c’est souvent étouffant un apéro digital. De grace ingénieurs, inventez nous un respirateur pour apéro !
Et tous ces consultants et vendeurs divers qui supposent, sans preuve, qu’on serait disponible parce qu’on est confiné. Ils se disent que la distanciation sociale doit nous conduire à mieux les écouter, qu’ils sont désormais l’épicentre potentiel pour nous aider à vaincre notre solitude. Qu’en savent-ils? Qu’ils aillent plutôt faire du sport à domicile ou du jogging, ou mieux encore qu’ils se fassent mettre en chômage partiel.
Alors il a fallu réagir, mettre le portable sur silencieux, trier encore plus fermement des appels, répondre par sms pour dire que là vraiment je suis trop occupé par le travail ou les enfants, oublier de répondre aux mails, etc. Bref se protéger différemment. Et ça a pas mal marché. On a fini par se retrouver un peu avec soi même, par sortir une heure par jour pour avoir une vraie récréation dans une ville sans pollution, par prendre du temps volé aux transports, aux réunions inutiles. Bon pour certains c’était stressant et ils souffraient du FOMO (fear of missing out). Tant pis pour eux. Ils n’ont qu’à soigner les symptômes de leur dépression en installant Petit Bambou en apprenant à mettre leur smart phone en « ne pas déranger ».
Alors quoi, il va falloir retourner dans un monde où les obligations sociales, la réunionnite, les excuses de n’être pas libre devraient redevenir celles du monde d’avant? Et en plus du bon vieux masque social, il faudra aussi y porter un masque comme le personnel soignant? Ressembler non plus à des pingouins mais à des pangolins ne pouvant sortir la langue? Non, pitié. Qu’on ne fasse pas de nous des déconfinés; faites de nous le plus vite possible des reconfinés. Interdisez les autorisations de sortie ! Annoncez le report de tout événement impliquant plus de deux personnes.
Bon je sais, la récession qui vient sera plus terrible encore mais comme de toutes façons tout le monde s’en fiche (l’Etat paiera non?) mieux vaut laisser sortir nos quintes de toux, montrer notre détresse respiratoire en espérant que cela fera penser à une deuxième vague. Et comme la Chloroquine n’a pas encore fait ses preuves, que le dépistage ne marche pas, on devrait réussir à renouveler cette période bénie, qui nous évitera de faire des stages en réanimation et d’alimenter les statistiques morbides qui elles-mêmes alimentent les conversation ennuyeuses des apéritifs virtuels.
Bon, allez, je vais goûter mon vin blanc tout juste livré, à votre santé !
Signé : Dom T.