Le dernier voyage
Le train surgit des ténèbres.
Réveille-toi, citoyen capon !
Dans la campagne endormie, la lune est blême ;
Une colère froide blanchit sa figure ;
Son rayon balaie des visages apeurés ;
L’astre pénètre les wagons à bestiaux ;
Il les accompagne à la nuit du tombeau ;
L’innocence funèbre roule vers la mort.
Une mélopée lugubre rythme le convoi ;
La promiscuité d’un univers immonde
Transforme l’individu en troupeau amorphe.
Sous les roues, la ferraille entrechoque
La résistance réfugiée dans la matière.
Les enfants pendent aux basques de l’espoir ;
Leurs pleurs les attachent à l’humain.
Mais le destin suit un train d’enfer
Leurs larmes n’éroderont point les cœurs de pierre.
Le soleil découvre les étoiles jaunes.
Les nuages peinent à cacher l’infâme ;
L’éclair ne déchire pas l’ignominie ;
L’orage ne frappe pas l’opprobre.
La locomotive siffle la camarde
Dans un désert d’humanité.
L’imagination fertile conduit la haine ;
Elle s’arrêtera à la solution finale.
Les wagons vides repartent vers l’oubli.
La bétaillère est derechef peuplée ;
Des bêtes ont remplacé les boucs émissaires.
Six millions ont fait le grand voyage ;
Leur trajet a strié l’Humanité.