Le digital, une nouvelle classe d'actif patrimonial: approche juridique et fiscale

Le digital, une nouvelle classe d'actif patrimonial: approche juridique et fiscale

Le cybermarchand dispose-t-il d’une clientèle propre susceptible d’être cédée ?

 Quels sont à l’instar d’un fonds de commerce classique, les moyens permettant d’assurer le ralliement de la clientèle vers le cybermarchand ?

 Quel sont les critères permettant de déterminer la valeur d’un fonds de commerce en ligne ?

 Telles sont les différentes questions que nous soulevons dans le cadre cet article, ceci dans le but d’inviter les acteurs à réfléchir et à partager leurs solutions sur des problématiques auxquelles feront inéluctablement face un certain nombre de start-up du e-commerce dans les toutes prochaines années.   

 Historiquement, les valeurs immobilières constituaient les actifs les plus significatifs du patrimoine des particuliers et même des entreprises. Cependant elles ont peu à peu laissé de la place à d’autres types d’actifs tels que les valeurs mobilières (actions, obligations), les fonds de commerce, les biens intellectuels…

 Aujourd'hui avec le développement du numérique, nous assistons à l'émergence de ce qu'il est convenu d'appeler les "actifs digitaux" qui viennent quelque peu repousser les frontières des biens patrimoniaux. Ces actifs immatériels sont protéiformes, c’est le cas notamment du fonds de commerce électronique, des logiciels, des applications mobiles…  

Tenant compte de cette nouvelle donne, les Etats-Unis ont décidé depuis juillet 2017, sur recommandations du US Bureau of Economic Analysis (BEA), d’intégrer dans le calcul de leur PIB, la valeur des actifs immatériels. Il s’agit assurément d’un changement de paradigme au plan économique et social, induit par la révolution numérique du 21ème siècle.  

Parmi ces actifs, le fonds de commerce électronique et le nom de domaine soulèvent de nombreuses questions liées à l’existence d’une clientèle propre, à la valorisation et à l’imposition de ces nouveaux types d’actifs.          

 Les plus grandes entreprises évoluant dans ce secteur sont d'origine américaine et européenne, c'est le cas notamment d'Amazon (135 milliards de dollars de C.A), JD.COM (26,99 milliards de dollars de C.A), Apple Inc (24, 368 milliards de dollars de C.A), de Casino...

Face à ces mastodontes, l'Afrique joue les petits poucets et s'illustre de plus en plus par le foisonnement de start-up qui ont fini de se déployer dans l'écosystème du commerce en ligne (Jumia, Afrimarket, Africashop…..) 

 La présence soudaine des actifs digitaux dans le patrimoine des entreprises nécessite une analyse de leurs contours juridiques (1/2), sans occulter la problématique de leur valorisation et partant de leur imposition (2/2).

  I.           Quels sont les contours juridiques de l’actif digital : cas du fonds de commerce en ligne ?

 Juridiquement, la clientèle est l’élément sans lequel il n’existerait pas de fonds de commerce. Tous les autres éléments (nom commercial, enseigne, droit au bail…) ne sont que des moyens permettant d’attraire cette clientèle vers le commerçant.

·        Dès lors, le problème juridique est de savoir si l'exploitant d'un site de commerce en ligne dispose d'une clientèle propre? Ce qui dans l'affirmatif a pour conséquence de permettre la valorisation et donc la cession distincte de cette clientèle spécifique.

 S’agissant du fonds de commerce électronique, toute la difficulté réside dans le rattachement effectif de la clientèle au cybercommerçant dans la mesure où celle-ci est par essence volatile et qu’aucun élément tangible (localisation) ne permet d’en assurer le ralliement vers le commerçant. Aussi lorsqu’un commerçant exerce conjointement ses activités dans une boutique en ligne et dans un fonds de commerce classique (ex : orca, yum yum, graine d’or…) aucune clientèle propre à l’activité en ligne ne se dégage. Les ventes en ligne ne constituant que l’accessoire de l’activité principale qui se déroule chez le commerçant. 

 Pour réfuter l’existence de cette clientèle « digitale », une certaine doctrine a pu procéder à un raisonnement par analogie sur le fondement de la jurisprudence des « exploitants de buvettes d’un hippodrome » qui ne peuvent pas se prévaloir de l’existence d’une clientèle propre appartenant en réalité à l’hippodrome et ne pouvaient par conséquent exiger le renouvellement du bail[1]. De cette même manière, la clientèle du cybermarchand appartiendrait, selon cette doctrine, à l’hébergeur du site internet (ex : OVH) ou au fournisseur d’accès à internet et non au cybercommerçant.

 D’autres soutiennent en revanche que si le site propose des biens et services qui ne sont commercialisés qu'en ligne, ou que le site serve de plateforme entre le vendeur et le consommateur final (expat dakar, Africashop…), ou encore que l'entreprise utilise internet pour élargir son champ d'action géographique dans des contrées ou elle ne dispose pas de point de vente, alors dans ce cas la clientèle en ligne devient bien distincte et par voie de conséquence cessible indépendamment de la clientèle de la boutique physique.

 Par ailleurs, certains éléments justifient avec force l’existence de cette clientèle digitale :

·        existence d’un référencement (Ex : Google),

·        signalisation du site internet,

·        constitution d’un fichier client comportant des données personnelles (références bancaires, e.mail, nom et prénom…). 

  ·        La seconde question non moins importante est de savoir quels sont les moyens d’attraction de la clientèle d’un fonds de commerce électronique ?

 S'agissant du fonds de commerce classique, l'emplacement, les signes distinctifs (l'enseigne, le logo, le nom commercial …) sont les principaux moyens de ralliement de la clientèle. C'est ce qui justifie la protection particulière dont bénéficie le commerçant en matière de renouvellement du droit au bail.

Il en est différemment du fonds de commerce électronique qui a comme unique moyen d'attraction de la clientèle le nom de domaine qui assure "l'orientation, le fléchage du client vers le commerçant et donc sa fidélité à l'instar de ce qui est observable dans le commerce classique", tels est l’avis des notaires de France qui se sont exprimés en ce sens en 2009 lors du congrès des notaires relatif aux propriétés incorporelles de l’entreprise.

 C’est dans ce même ordre d’idées que l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) a indiqué que « Les noms de domaine ont été conçus pour assurer une fonction technique d’une façon conviviale pour les utilisateurs de l’Internet. L’objectif est de faire en sorte qu’une adresse soit facile à mémoriser…. C’est cependant précisément parce qu’ils sont faciles à mémoriser et à identifier que les noms de domaine ont acquis peu à peu la fonction de signes distinctifs des entreprises ou des particuliers. »[2].

 Nous constatons donc qu’en dépit de l’absence de localisation géographique du site de commerce en ligne, celui-ci peut, grâce à son nom de domaine, -moyen d’attraction de la clientèle-, au référencement et à la détention d’un fichier comportant les données personnelles des clients et prospects, se prévaloir de l’existence d’une clientèle propre susceptible d’être cédée. Reste donc à déterminer la valeur de cet actif digital, question qui sera traitée dans notre prochaine publication sur notre site.

 Ibrahima DIALLO

Ingénieur Patrimonial

Directeur Associé CGP AFRIQUE

Ibrahima.diallo@cgpafique.com


[1] Ass. Plénière, C. cass, 24 avril 1970 – N° pourvoi 68-10914

[2] Rapport final de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI-WIPO) publié en 1999 qui dans son § 10

 



Ba Ibrahima Tandjan CISSE

Juriste , Droit notarial et Gestion de Patrimoine

6 ans

C'est tres intéressant...

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