Le directeur artistique : un artiste au cœur du business

Le directeur artistique : un artiste au cœur du business

Depuis une vingtaine d’années, le turnover constant des directeurs artistiques dans les Maisons de Haute-Couture est comparable au mercato du football, où jeunes créateurs émergents et grands pontes de la mode se succèdent et s’intervertissent. Ce travail interroge le véritable statut du directeur artistique dans la mode. Pouvant être perçu comme un artiste à part entière par une grande partie des afficionados du monde de la Haute-Couture mais comme un excellent technicien par la majorité de l’opinion publique. Il est intéressant de savoir si un juste milieu existe ou s’il s’agit d’un artiste incompris par la majorité, à l’image du mythe de l’artiste maudit qui traverse les époques. Il est difficile de définir sa position, statuer sur sa prise de parole, ses qualités de créateur alors même que les grandes maisons de mode sont soumises aux lois du marché, et que leur politique est dictée par la rentabilité économique. C’est en partant d’une définition large de « l’artiste » qu’il sera possible de constater son évolution à travers les époques, et de mesurer son image en perpétuel mouvement afin d’en définir sa fonction actuelle. Celle dont l’évolution vacille entre continuité et rupture, preuve d’un système à cent à l’heure que les designers ont du mal à suivre, à tel point que l’on voit se dresser devant nous le spectacle d’une valse des D.A, entre licenciements et démissions.

Ce sont ses contraintes et limites, qui poserons la question de déterminer qu’elles sont les motivations profondes du directeur artistique, comment trouve-t-il sa place entre son métier et ses ambitions personnelles, et si cela fait de lui ou non un artiste légitime.

L’artiste développe sa carrière entre les intérêts du réseau et sa vocation. Il y construit son capital relationnel, tisse des affinités électives qui lui permettent d’étendre son champ d’action et d’aller vers un art total, pluridisciplinaire. Il s’adapte également aux transformations survenues dans son domaine comme dans la société – mutations technologiques, sociales, économiques, ou même juridiques. Il se positionne entre ses modifications et son désir d’autonomie en inventant une forme pour y répondre. Créateurs de langages, d’images et d’imaginaires, porteur de sensibilité et d’émotions, il se veut volontiers provocateur, rompant ou détournant les usages et représentation existants pour proposer de nouvelles visions du présent et du futur. Il refuse la position marginalisée qui lui était proposée et le registre du décoratif. Mais il faut néanmoins faire attention à ne pas confondre création et créativité, dans un monde où le travail artistique perd sa spécificité au profit de logiques purement économiques.

Pour Jean-Jacques Picart, célèbre attaché de presse, la mode et l’art partagent certains points communs : l’artiste et le créateur sont dotés d’une sensibilité exacerbée, ils posent un regard particulier sur le monde et y projettent leur propre vision en ayant à cœur de susciter de l’émotion à travers leurs créations. Ils content tous deux leur époque, rêves et angoisses, dans des récits imprégnés de leur personnalité. A la seule différence que le travail du designer doit être désiré, acheté et porté sous la période pour laquelle il a été conçu. Alors que l’œuvre d’art elle, peut traverser les époques et connaître un succès tardif. Pas une robe. Notant que pour exister, le créateur de mode dépend d’une clientèle, alors que l’artiste n’a pas besoin de reconnaissance pour exercer. C’est là où se trouve toute la différence entre l’art et la mode. Bien que le marché de l’art représente également une industrie. Les artistes contemporains ne régissent pas d’une autorité hiérarchique ou d’un groupe financier quelconque. Ils sont libres d’agir et de créer sans contraintes.

Conséquence de tous ces bouleversements, de créatifs purs les directeurs artistiques se sont mués peu à peu en hommes orchestre au sens du business acéré, contraints d’avoir une vision de marque à 360 degrés et de manager des équipes. Résultat, lorsque les chiffres ne sont pas, ou plus, au rendez-vous, les Maisons de luxe se montrent intraitables et n’hésitent pas à remercier leur directeur artistique.

Si l’on considère le D.A comme étant un artiste, alors sa motivation première est de créer un vêtement, de le réinventer, qu’il soit l’expression de sa pensée, qu’il traduise le courant d’une époque ou d’un mouvement. Le but même de sa démarche ne découle pas d’une attente de reconnaissance, ni d’une attente financière. Le but de l’artiste est de dédier sa vie à la création, indépendamment de toutes contraintes psychologiques, financières, ou matérielles. Néanmoins dans un contexte actuel, où le D.A peut difficilement exercer son activité indépendamment du marché dans lequel il s’inscrit, comment combine-t-il ses ambitions personnelles artistiques à l’envie de construire une carrière ?

Donatella Versace, Septembre 2017, entourée des Supermodels des années 90 ayant permis le succès flamboyant de la maison. Une recette qui marche encore aujourd'hui.

English version

Since twenty years, the constant turnover of the fashion artistic director in the fashion houses is similar to the mercato of the football, where young emergent creators and the strong arm of the fashion follow one another and invert. This work questions the real status of the art director in the fashion. Being able to be perceived as a full artist by a big part of the afficionados of the world of the High Fashion but as an excellent technician by the majority of the public opinion. It is interesting to know if a happy medium exists or if it is an understood artist by the majority, just like the myth of the irate artist who crosses the times. It is difficult to define this position, to rule on the speaking, the creator's qualities even though the fashion houses are subjected to the laws of the market, and even though their politics is dictated by the economic profitability. While leaving of a wide definition of "the artist" it will be possible to notice his evolution through the times, and to measure its image in perpetual movement to define its current function. The one the evolution of which vacillates between continuity and break, proof of a system that the designers can’t seems to follow, to such a point that we see raising ourselves the waltz of the fashion designers, between redundancies and resignations.

They are this constraints and limit, which shall ask the question to determine what are the deep motivations of the fashion artistic director, how he finds his place between his job and his personal ambitions, and if it makes of him or not a legitimate artist.

The artist develops his career between the interests of the network and his vocation. He builds his relational capital there, weaves elective affinities which allow him to spread his radius of action and to go towards a total, multidisciplinary art. He also adapts itself to the transformations arisen in his domain as in the society - technological, social, economical, or even legal. He positions between his modifications and his desire of autonomy by inventing an answer. Creators of languages, images and imagination, carrier of sensibility and feelings, he aims to be gladly provocative, breaking or diverting the existing practices and the representation to propose new visions of the present and of future. He refuses the marginalized position which was proposed to him and the register of the ornamental. But it is nevertheless necessary to pay attention not to confuse creation and creativity, in a world where the artistic work loses its specificity for the benefit of purely economic logics.

For Jean-Jacques Picart, famous press attaché, the fashion and the art share some common points: the artist and the creator are endowed with a heightened sensibility, they put a particular look on the world and throw their own vision there by taking to heart to generate some emotion through their creations. They both tell their time, dreams and fears, in narratives soaked with their personality. In the only difference that the work of the designer must be desired, bought and carried under the period for which it was designed. While the work of art it, can cross the times and know a late success. No dress. To exist, the fashion designer depends on a clientele, while the artist does not need a gratitude to practice. It is where is all the difference between the art and the fashion. Although the market of the art also represents an industry. The contemporary artists do not depend of a hierarchical authority or an any financial group. They are able to act and create without constraints.

Consequence of all these upheavals, fashion art director was a pure creative mind and he is become a one-man bands with a highest sense of business, restrained to lead a vision in 360 degrees and manage teams. As a result, when turnover are not, or more there, Luxury houses do not hesitate to thank their art director really quickly.

If we consider the fashion art director as being an artist, then his first motivation is to create a garment, to reinvent it, whether it is the expression of his thought, if he translates the current of time or of a movement. The purpose of his approach is not to expect some of gratitude, or money. The purpose of the artist is to dedicate his life to the creation, independently of any psychological, financial constraints, or material. Nevertheless in a current context, where the fashion art director can exercise with difficulty his activity independently of the market in which it joins, how does combine his personal ambitions in the desire to build a career ?

 

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