Le droit à l’erreur en entreprise existe-t-il vraiment ?
Ne voyez pas dans le fait que je reprenne ma plume aujourd’hui le signe d’un confinement proche :-). Finalement on prend de bonnes résolutions pendant cette période de confinement et dès que les retours sur site sont autorisés, je ne sais pas vous, mais je me suis retrouvée à nouveau comme un hamster à courir sans vrai sens dans ma cage. Ce week-end, je me suis rappelée le bien que cela faisait d’écrire et d’aborder un angle d’un sujet qui me tient comme chaque fois à cœur (je vous laisse réagir avec plaisir) : le droit à l’erreur, le droit à l’échec.
Vous me direz l’erreur et l’échec, ce n’est pas pareil et vous aurez raison. Mais dans les deux cas, c’est une question de cadre. L’erreur se commet dans un cadre précis déterminé, processé. Il s’agit d’une méprise, une action inconsidérée ou un défaut de jugement/d’appréciation. L’échec, c’est une situation de non réussite face à une ambition et des résultats attendus. Sans cadre ou sans objectifs, il n’y a donc pas d’erreurs et pas d’échec. Ce qui veut dire que quand on regarde nos entreprises qui se fixent de plus en plus d’objectifs, qui se norment et se processent à l’infini, que mécaniquement, nous allons faire de plus en plus d’erreur et de connaître de plus en plus d’échecs. C’est mathématique !
Une culture de la performance très scolaire
Pour comprendre pourquoi, nous avons du mal à l’accepter, il me semble qu’il faut regarder du côté de la culture managériale de la performance que l’on instaure en France, une culture très scolaire de contrôle et pilotage. Dans certains secteurs réglementés, les équipes ploient sous les contrôles de multiples niveaux. Le Manager, malgré lui, finit presque comme le maître d’école par faire appliquer les consignes.
Nous sommes en France les champions du succès, les managers qui gravissent les échelons sont ceux qui ont des résultats (peu importe parfois le reste et le bien-être des collaborateurs) ou ceux qui n’ont pas connu d’échec.
Deux conséquences immédiates : on entreprend quelque chose quand on est sûr de le réussir ou on entreprend plus rien, comme ça on ne risque rien. Et ainsi la culture de l’innovation en France s’effrite-t-elle petit à petit, par peur de l’échec.
D’ailleurs combien avez vous de comité de pilotage et combien de comité d’innovation autour de vous ? Combien de KPI et de tableaux de reportings, avons-nous ? Combien de temps en réunion passez vous à les commenter plutôt que de parler des soft skills qui font le monde de demain ?
Plus une entreprise sera à la recherche de l’excellence, de résultat immédiat, du zéro-défaut (elle vous parle cette expression ?), plus sa culture va se structurer autour d’une rapport négatif à l’échec ou l’erreur.
Nous sommes aussi responsables de cette posture de bonne élève.
Pourtant pour être honnête, je n’ai vu que très peu de personne se faire placardiser ou se faire licencier pour une erreur ou un échec (Ne confondons pas ici avec une faute). Alors pourquoi sommes nous tétanisés ? Pourquoi chaque jour, je vois des gens avoir peur de se tromper ?
Mesdames, Messieurs les leaders, les managers, vous ne serez pas étonnés : nous sommes les premiers à être responsables de cette culture du premier de la classe. Pourquoi j’irai prendre des risques si je veux faire carrière ? Je voudrais parler de notre obligation d’exemplarité auprès de nos équipes au même titre que le courage ou la bienveillance. La culture de l’erreur, elle commence par nous même. Pas pour nos collaborateurs, mais pour nous. S’autoriser en tant que leader et manager à douter, à faire des erreurs et à échouer.
Nous avons grandi dans un milieu scolaire (vivement la révolution de l’éducation des plus jeunes CQFD) peu propice à l’empowerment, nous vivons dans une société plutôt d’assistance, chacun d’entre nous porte cette culture d’une faible autonomisation depuis (trop) longtemps. Nous avons oublié que pour marcher, nous sommes tombés des dizaines de fois par jour. Nous sommes dans ce mode de management top-down avec encore des systèmes de notations annuels parfois archaïques dans lesquels on félicite encore la performance et…le contrôle.
Combien de fois, parlons-nous à nos collaborateurs de toutes les erreurs que l’on fait chaque jour dans son travail, dans son périmètre, à l’échelle de l’entreprise ? Se rappelle-t-on que « errare humanum est » et que si l’on y regarde de plus près, nombre d’erreurs ont permis parfois de découvrir d’autres chemins de faire ou même les Amériques par Christophe Colomb !
A mon sens, un premier vrai pas vers ce droit à l’erreur et l’échec commence par le fait que vous pouvez vous autoriser à sortir de cette posture de bon élève de la classe. Cela fait partie du self-empowerment nécessaire à chaque manager avant même de faire grandir ses équipes.
Accepter l’erreur ou l’échec mais apprendre toujours.
Nous évoluons dans un monde où la rapidité et l’agilité sont des compétences clefs pour gagner des marchés, satisfaire nos clients, réagir à des crises comme celles que nous vivons. Accepter que dans ces moments de mouvements, nous allons faire des erreurs et essuyer des échecs doit faire désormais partie du quotidien de l’entreprise. Je pense même que c’est un élément essentiel du succès à terme.
Pour deux raisons, la première c’est que si nous cherchons la perfection, nous ne démarrons jamais un projet. Rien n’est jamais assez parfait, rien n’est jamais abouti. La deuxième, sans doute la plus importante, c’est que les erreurs sont utiles pour apprendre et grandir. Accepter l’erreur sans se forcer à en tirer les enseignements serait du laxisme et assurément un manque de discernement des leaders.
Vouloir apprendre de ces erreurs ou de ces échecs, c’est vouloir construire quelque chose de plus stable et durable ; c’est une action collective, pas seulement individuelle.
En matière d’apprentissage, les rituels, les formations des collaborateurs, la communication seront sans doute encore une fois essentiels :
- à titre individuel en formant les équipes à la résilience et au feed-back, à l’agilité collective.
- à titre collectif en instaurant des rituels de retours d’expérience de type Fail/Learn/Succeed par exemple.
- accepter de faire évoluer les process après ces retours et/ou de changer les objectifs ou les ambitions pour éviter l’échec, être capable d’arrêter quelque chose ou le défaire…bref beaucoup de courage collectif.
- Enfin et pas uniquement, culturellement, en instaurant via la communication, des valeurs autour de l’audace, de l’innovation, et pourquoi pas en intégrant comme certains, l’aspect Test and Learn dans l’entretien annuel.
C’est à ce prix, que nous pourrons mettre en mouvement des organisations qui se sont parfois sclérosées dans le « bien-faire ».
Alors même si vous êtes un manager tolérant, humble, bienveillant, ne sous-estimez pas la culture de l’entreprise qui peut envoyer des signaux dissonants à vos équipes. Cultivez à vos niveaux l’audace et l’ambition, acceptez d’avancer en mode dégradé et partagez sans cesse que nous avons presque le devoir de faire des erreurs pour grandir tous ensemble.
« Rappelle toi que le plus grand échec est de n’avoir pas essayé » Proverbe
Directrice Marché Prévoyance Individuelle chez AXA en France
4 anspour se lancer dans la voie du droit à l'erreur, il faut être confiant dans sa capacité de résilience, sinon nos peurs, nos craintes et nos doutes sur "l'après", nous empêchent de démarrer. Comme tu le dis très bien "nous ne démarrons jamais un projet", si en cas d'erreur nous ne sommes pas confiant dans la suite et donc dans notre capacité à apprendre de ses erreurs et de rebondir.
Global Chief Investment Officer
4 ansCorinne, j’adore ta plume et surtout ton audace comme tu le sais ... mais au-delà, ce que je te reconnais c’est la manière de mener un combat comme dans l la légende du colibri... encore bravo et bonne soirée
JEROME MOULIN-FOURNIER EI, Agent général d'assurance exclusif AXA Prévoyance & Patrimoine
4 ansGagner ou apprendre, j'adore. Juste éviter juste de faire deux fois la même erreur! Merci Corinne!!!! #CorinneCalendini #pierre-yvesBlons
Oui bien sûr que le droit à l’erreur existe ! Heureusement ! Sinon comment apprendre ?
Head of Mid-Market APAC & EUROPE
4 ansBravo Corinne toujours très intéressant