LE DROIT COMME REFERENCE COMMUNE

Comme je m'y suis attaché dans ma thèse de doctorat en procédure pénale, comme je l'ai enseigné à nombre d'étudiants qui eurent à subir mes longues (et j'espère intéressantes) heures de cours en droit dans les facultés où je suis intervenu (car mon objectif et ma détermination furent bien de leur transmettre l'amour du Droit et la curiosité de s'ouvrir à ce qui l'entoure), j'aime revenir à l'essence des choses, aux principes philosophiques et politiques qui sous-tendent les règles forgeant l'armature du procès répressif.

L'article préliminaire du code de procédure pénale, longtemps débattu, entre esthétique et cosmétique (si on le compare à la qualité de rédaction, bien meilleure, des principes directeurs dans les 24 premiers articles du code de procédure civile, quoique largement subvertis, eux aussi, par le modèle européen du procès équitable), n'accorde pas tout le monde (ni des parlementaires dont la propension à le compléter, depuis la loi du 15 juin 2000 à celle du 23 mars 2019, traduit la perfectibilité, ni du juge qui éprouve besoin de l'éclairer voire de le compléter par l'effort et les lumières de son interprétation, parfois même contra legem).

Il aura, toutefois, ce mérite de nous rappeler, par ses dimensions programmatiques et emblématiques, les traductions juridiques des préceptes philosophico-politiques en fixant les bornes de la capacité de nuisance de l'Etat (les limites qui rendent acceptables le monopole que l'Etat tient de punir).

Mais, ce retour aux sources ne peut faire l'économique des acquis de la discipline historique, philosophique, politique et sociologique pour confronter à la légalité procédurale de la société de l'Ancien Régime (la plupart des lois criminelles de l'époque étant des lois de procédure, malgré un ordre juridique coutumier et des pratiques secrètes arbitraires) la légalité criminelle qui naîtra sous l'effort des LUMIERES (un droit pénal contemporain syncrétique), et du célèbre pénaliste italien BECCARIA.

Au-delà du classique "nullum crimen, nulla poeana sine lege", il convient d'associer "nullum judicum sine lege".

En effet, je crois utile de rappeler que si toute procédure juste peut conduire à une solution injuste, toute procédure injuste ne peut jamais atteindre l'idée de justice.

Un procès ne peut être tenu sans des règles de forme définies par la loi et un juge ne peut retenir comme crimes ou délits que ce que la volonté législative a érigé comme tels.

Le droit lie chaque acteur : l'accusé lié à un acte qu'il définit et à une innocence présumée, le juge lié à la règle de droit et le jugement à une peine déterminée.

Le droit donne à chacun une référence extrinsèque, attribue une forme au procès et au jugement.

Une forme qui soit reconnue comme valable par tous et pour tous. Une forme valant presque "erga omnes", à l'égard de tous.

Nous arrivons alors sur ce qui est crucial : l'idée de procès équitable.

Ce dernier est une construction qu'il faut replacer dans une évolution politique.

Celle par laquelle la Révolution a transformé les sources du pouvoir et du droit, de la souveraineté, hier royale, aujourd'hui nationale.

Les statuts ont changé : de sujets, nous voici devenus citoyens, conscients non seulement d'être libres mais encore d'être auteurs de notre propre liberté.

Avec cette transformation fondamentale du bonheur individuel et collectif par l'idée de liberté naturelle, émerge le concept de "personne" dont découle la notion de procès équitable, désormais pierre angulaire de notre procès (largement façonné par le juge européen de STRASBOURG).

Sous la monarchie, seule la vérité issue de la volonté arbitraire du prince faisait loi tandis qu'en démocratie, seule l'autorité fondée sur la raison et le pacte social viennent à créer la référence commune de la loi entre les hommes.

Le penseur HOBBES ne disait rien d'autre quand il affirmait "auctoritas non veritas facit legem".

La règle désormais devient loi commune, rationnelle et impersonnelle que les Grecs appelaient "nomos" et dont le juge n'est autre qu'un simple dépositaire.

Toutefois, pour saisir la subtilité par laquelle le Droit s'est imposé comme référence commune, il est nécessaire de sillonner les méandres de la philosophie politique.

La démocratie puise ses origines dans une histoire lointaine.

L'historien E. KANTOROWICZ n'a pas manqué, en cela, de réfléchir autour de la théorie des deux corps du Roi (un corps physique fait de chaire et de sang et un corps mystique dans lequel s'incarne ce que l'on appelle aujourd'hui "Nation").

Marcel GAUCHET a lui-même fort réfléchi sur le processus de dédoublement du corps royal dont il écrit que la position de pouvoir doit être inoccupable en personne, et demeurer humainement vide afin, précisément, que la volonté collective se projette dans ce lieu vacant et s'y reconnaisse pleinement.

Une case vide, théorique, abstraite. Le lieu du pouvoir est changé, le physique laisse place au spirituel.

La loi devient maintenant inanimée, ne correspond plus au Roi animé.

La mise en accusation du Roi puis son exécution publique signera l'arrêt de mort de la monarchie, et spécifiquement, achèvera le dédoublement du corps du Roi.

La Souveraineté devient une et indivisible.

Le droit se transforme autant que ses sources, et devient la forme vide du même pour tous.

A la faveur d'une théorie juridique libérale de séparation des pouvoirs, la force exécutive du monarque n'atteint jamais les individus que par la médiation des agents élus du peuple (acte de foi du catéchisme républicain) et devient la maxime fondamentale du gouvernement des Hommes pour les Hommes par les Hommes.

Les fonctions d'arrêter le délinquant et celle de le juger sont remises entre des mains diverses.

La relation de réciprocité qui s'applique dans la société, le procès équitable la reproduit dans le théâtre de justice.

Des lois identiques donnent au juge les moyens de ne plus à avoir à rechercher, comme il le devait jusqu'à alors, les conditions incertaines de la vérité.

Le juge fait comparaître devant lui un sujet de droit, pour ne point dire, un être doté de droits dont il argumentera le pourquoi de sa condamnation.

Qu'il l'innocente ou le condamne, le juge s'en justifiera dans ses motifs (si chers à VOLTAIRE et à chacun de nous) et, de la sorte, se préservera de toucher à l'intimité de qui il condamne.

Dans l'espace procès, nous le voyons, le Droit a crée une distance que le juge observe et qui lui permet de juger tout en protégeant, de reconnaître tout en punissant.

Bref, le procès équitable est bien sensible aux mutations politiques et sociales de son temps.

Mehdi HJIRA-MORIZOT


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