Le droit doit évoluer afin de permettre aux actionnaires de déposer en assemblée générale des résolutions climatiques

Le droit doit évoluer afin de permettre aux actionnaires de déposer en assemblée générale des résolutions climatiques

Les recommandations sur les résolutions climatiques que la Commission Climat et Finance Durable (CCFD) de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) vient de publier sont fondamentales.

L’engagement actionnarial est l’outil le plus puissant à la disposition des investisseurs pour exercer une influence afin que les entreprises, et donc l’économie, aient un impact positif sur l’environnement et sur la société. En tant que tel, il revêt une importance toute particulière au sein de la panoplie des modes d’action à la disposition des investisseurs pour mettre en œuvre la conception européenne de la finance durable - gravée dans la loi de l’Union européenne – qui est celle d’une double matérialité faite à la fois de finance et d’impact. L’engagement, doit-on le rappeler, est en parfaite cohérence avec les principes du capitalisme actionnarial qui fait des actionnaires les propriétaires de l’entreprise.

Encore faut-il que les investisseurs aient la possibilité de s’engager et d’exercer cette influence. Les recommandations de la CCFD de l’AMF sur le dépôt de résolutions climatiques en assemblée générale d’actionnaires vont dans ce sens. Malheureusement, le Collège de l’Autorité s’y oppose en affirmant dans sa publication du 8 mars que « les constats, appréciations et recommandations formulées dans cette publication ne reflètent pas une position du Collège de l’AMF ou de ses services, mais sont exclusivement celles de la CCFD ». Sur le fond, il suit en cela l’avis formulé par le Haut Comité Juridique de Place (HCJP) qui estime dans son rapport publié le 15 décembre dernier que « aucune modification législative ou réglementaire n’apparaît nécessaire pour permettre le développement de ces résolutions (climatiques) ».

La raison de cette opposition est de nature juridique : en droit français le principe de hiérarchie des organes sociaux fait relever la détermination de la stratégie de l’entreprise du pouvoir du conseil d’administration et non de l’assemblée générale. Ainsi, selon l’arrêt Motte rendu par la Cour de Cassation en 1946 et qui fait toujours jurisprudence en la matière, « (…) il n’appartient donc pas à l’assemblée générale d’empiéter sur les prérogatives du Conseil en matière d’administration ». Dans cette logique, le conseil d’administration est juridiquement fondé à refuser d’inscrire à l’ordre du jour d’une assemblée générale une résolution climatique qui viserait à infléchir la stratégie de la société. Dans son rapport, le Haut Comité Juridique de Place considère d’une part qu’une résolution climatique ne peut être soumise au vote des actionnaires par le conseil d’administration que sur une base volontaire, et d’autre part que ce vote purement consultatif ne saurait créer d’obligation juridique. De façon corollaire, le HCJP considère que le conseil d’administration est fondé à refuser une demande émanant des actionnaires au cas où le projet de résolution objet de cette demande aurait comme conséquence « une inflexion de la stratégie du conseil ». Le droit français ne permet donc pas à un groupe d’actionnaire de demander, comme cela a été le cas en 2022 pour TotalEnergies, d’inscrire une résolution visant à encadrer la stratégie « pour aligner ses activités avec les objectifs de l’Accord de Paris » et « pour (i) fixer des objectifs de réduction en valeur absolue (...) des émissions directes ou indirectes de gaz à effet de serre (...) et (ii) les moyens mis en œuvre par la société pour atteindre ces objectifs ». Dont acte : les investisseurs sont priés de bien vouloir arrêter de considérer qu’ils pourraient influencer la stratégie climatique des entreprises françaises. Les seules résolutions climatiques qui pourront venir en assemblée générale seront à l’initiative des sociétés et elles n’auront aucun effet contraignant.

Au sein de ce débat, un argument est avancé par certains pour expliquer que la transposition prochaine de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et de ses nomes d’application permettrait de résoudre la question. Cet argument n’a pas de sens. Comme son nom l’indique, la CSRD crée une obligation d’information (de ‘reporting’), pas une obligation de faire, et elle n’aborde ni la question de l’organisation des assemblées générales d’actionnaires, ni celle du pouvoir des actionnaires, ni celle de l’engagement actionnarial.

Par contre, force est de constater que nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation où le droit européen (CSRD) comme le droit français (loi Energie-Climat) créent une obligation de transparence mais où cette transparence ne permet pas aux investisseurs d’agir.  Ainsi, faisant référence aux nouvelles dispositions du Code monétaire et financier résultant de la loi Energie-Climat, le HCJP précise avec un art consommé de la litote qu’ « il paraît néanmoins excessif de penser qu’une disposition réglementaire relative à un dispositif de transparence l’emporte sur un principe aussi fondamental que la hiérarchie des organes sociaux ». Le message ne saurait être plus clair.

Résumons les termes du débat : une jurisprudence de la Cour de Cassation datant de 1946 (arrêt Motte) prive les actionnaires de tout pouvoir effectif pour orienter la stratégie climatique des entreprises. Confrontés à cet état de fait, le Haut Comité Juridique de Place et, on suppose, le Collège de l’AMF estiment que le droit souple (soft law) pourrait permettre de résoudre la question. On constatera avec intérêt, et peut-être une pointe d’ironie, que dans la nouvelle version du code AFEP-MEDEF présentée le 20 décembre dernier (soit cinq jours après la publication du rapport du HCJP) aucun vote des actionnaires, même consultatif, n’est recommandé malgré l’ambition affichée par cette nouvelle version du code de placer la stratégie RSE au cœur des missions du conseil d’administration.  

Que le droit français ne soit pas aujourd’hui adapté au « Say on Climate » c’est un fait, et la Commission Climat et Finance Durable de l’AMF le reconnait dans son rapport, mais le droit est fait pour évoluer et pour s’adapter aux circonstances. L’humanité joue aujourd’hui sa survie et la finance sa légitimité à se dire durable, c’est-à-dire à exercer effectivement une influence positive sur la durabilité du monde. Si le droit ne permet pas à la finance d’agir, la notion même de finance durable perdra son sens. Pourquoi mettre tant d’efforts à développer, comme nous le faisons en Europe, une réglementation prenant en compte l’impact des entreprises sur leur environnement et mettant en place les conditions d’une transparence des sociétés vis-à-vis des investisseurs si c’est pour refuser à ces derniers le moyen d’exercer une influence par le biais du dépôt de résolutions, outil central de l’engagement actionnarial ?

Comme l’historien Arnold Toynbee l’a montré, les civilisations qui disparaissent sont celles qui ne savent pas faire évoluer leurs règles de fonctionnement quand celles-ci s’avèrent inadaptées compte tenu de circonstances nouvelles : « Les civilisations meurent par suicide, non par meurtre ». On a du mal à croire que la France continue à se réfugier derrière une jurisprudence datant de 1946 pour priver les investisseurs de la possibilité d’exercer une influence positive sur les objectifs climatiques des entreprises. Il est urgent de faire évoluer les règles du « Say on Climate » afin de sortir d’une situation où l’information ne débouche pas sur l’action. Il est urgent de légiférer.

 

Thierry Philipponnat

Chef Economiste, Finance Watch

Nicolas Gros De Seta

Consulting, research, rule of law and executive governance in project management macro-meso-micro. “We shall require a substantially new manner of thinking if mankind is to survive.” Albert Einstein

1 ans

Connaissez-vous les Sociétés Coopératives d'Intérêt Collectif ? Cette forme juridique semble répondre aux questions de votre article. https://www.les-scop.coop/les-scic

Jérôme COURCIER

Pdt d'Ethique & Investissement

1 ans

A mon sens, avant de légiférer, il faudrait explorer la piste du devoir de diligence et de prudence (duty of care de la section 180(1) du Corporations Act de 2001) auquel les administrateurs et les dirigeants des sociétés sont soumis. En effet, à partir du moment où les risques associés au dérèglement climatique sont avérés, toute inaction pour le prendre en compte devrait mettre en risque juridique les administrateurs et les dirigeants des sociétés. 

Aleksandra Palinska

Executive Director at Eurosif

1 ans

Quelle domage en ce-qui concerne l'oppositiion du Collège de l’Autorité et le Haut Comité Juridique de Place 

Nathan de Arriba-Sellier

Director of the Erasmus Platform for Sustainable Value Creation at Rotterdam School of Management

1 ans

Très intéressant, Philippe. Je m’interroge sur les limites de cette doctrine étant donné que le fameux « principe fondamental » de hiérarchie des organes sociaux a, à ma connaissance, déjà été remis en question en droit européen par les dispositions sur le Say on Pay. Bien entendu, cela demande une révision réglementaire ou législative pour instaurer un droit similaire à l’égard de la stratégie de transition climatique mais ce changement se conçoit tout à fait, notamment dans le contexte de la (re)découverte du droit fondamental à un environnement sain.

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