Le financement participatif ou la naissance d'un capitalisme communautaire
Pedro Ribeiro Simões / Jean Hélion

Le financement participatif ou la naissance d'un capitalisme communautaire

Malgré ses limites, le financement participatif signe l'émergence d'un nouveau modèle économique, sorte de "juste" milieu entre libéralisme institutionnel et libéralisme individuel.

Le crowdfunding

Le financement de nouveaux projets fait aujourd’hui largement appel à la technique du crowdfunding — ou financement participatif. J’en rappelle brièvement le principe : le crowdfunding est le fait de demander à un nombre potentiellement important de personnes, à travers une plateforme, de contribuer au financement d’un projet, sous la forme d’un don, d’une participation aux fonds propres de l’entreprise porteuse du projet, ou encore d’un prêt.

Pour nous situer, je signale qu’en France, pour l’année 2014, les sommes collectées dans le cadre du crowdfunding se sont réparties comme suit :

  • Don : 25 % ;
  • Prêt : 58 % ;
  • Participation aux fonds propres d’une entreprise : 17 %. 

Au-delà de ces éléments techniques, le crowdfunding présente un intérêt majeur en raison de l’évolution culturelle, économique et industrielle qu’il induit :

  • Il stimule l’esprit d’entreprise — tout porteur d’une idée, concept ou projet peut prétendre se faire financer ;
  • Il offre aux concepts les plus variés la possibilité d’éclore ;
  • Il encourage la culture de l’investissement — aussi bien individuel que collectif ;
  • Il réduit sensiblement le temps de mise sur le marché — une opération de financement se bouclant si nécessaire dans un délai court (de quelques heures à 60 jours).

Le business serein... un peu trop, même !

Bref, autant dire que le crowdfunding paraît se mouvoir dans un environnement idéal, propice au business serein. Un peu trop serein, même, car hormis la forme la plus désintéressée de crowdfunding qui s’attache à la collecte de dons, il convient, s’agissant d’equity-crowdfunding ou de lending-crowdfunding, de considérer le goulot d’étranglement au financement que le législateur, par prudence ou conviction, n’a pas manqué d’instaurer. En effet, un investisseur ne peut allouer que 1 000 euros maximum par projet, lorsque celui-ci produit un intérêt — et 4 000 euros sans intérêt. Et même si la loi prévoit que chaque projet pourra recevoir jusqu’à 1 million d’euros — ce qui n’est pas négligeable — ce verrouillage de l’investissement individuel annule toute espérance de gain significatif.

Dans ces conditions, le crowdfunding, superbe mécanique, est finalement peu attractif pour l’investisseur, sauf en ce qui concerne la satisfaction intellectuelle et morale — certes, pas négligeable — d’avoir contribué à la naissance d’un projet. Il aurait pourtant la légitimité d’être l’outil privilégié nous faisant passer d’un libéralisme institutionnel, pesant et souvent assez peu éthique, à un libéralisme individuel, plus agile et plus équitable. Cependant, ce mouvement est considérablement ralenti par les limites d’investissement dont je viens de parler.

C’est d’ailleurs à se demander si lesdites limites ne tiennent pas au fait que le crowdfunding, compte tenu de son efficience, de sa légèreté de construction (dans le bon sens du terme) et de la convergence qu’il suscite entre l’individu et son groupe, n’est pas jugé comme un peu trop efficace pour rendre obsolète un système libéral — auquel un certain nombre d’acteurs économiques et politiques, toutes orientations et sensibilités confondues, ont fini par s’habituer.

Je note, au passage, que la souplesse et la réactivité du financement participatif seraient particulièrement bien adaptées au tissu des très petites à moyennes entreprises, centre d’une nouvelle — ou d’une autre — croissance. Encore faudrait-il que le financement participatif se libère de ses entraves…

Le capitalisme communautaire

Bref, si ces limites disparaissaient, émergerait sans doute un capitalisme communautaire — écosystème géant ou encore écosystème des écosystèmes —, où ce seraient d’abord ceux qui contribuent à créer la richesse, une élite laborieuse en quelque sorte, qui en bénéficieraient. Et la boucle serait bouclée, puisque capitalisme communautaire et mouvement collaboratif joueraient, tout compte fait, une partition identique :

  • Le financeur et le porteur de projet ont des objectifs et des besoins homogènes, voire communs — l’un ne réussit pas au détriment de l’autre ;
  • La notion d’intérêt partagé est le fondement du système — l’indicateur de performance se situe au niveau individuel et collectif, et non à celui de la seule réussite individuelle ;
  • L'ensemble des acteurs sont actifs — porteurs de projet, contributeurs, clients —, sans oublier que ces mêmes acteurs changent de rôle en permanence.

Pas de liberté sans richesse

Il s’agit d’un programme assez alléchant qui conforte ma conviction : pas de liberté d’entreprendre sans réelle possibilité de financement — autrement dit, pas de liberté sans richesse.

Je ne nie pas, pour autant, la difficulté d’aboutir à un tel principe de fonctionnement. Mais, il n’est pas interdit de considérer que le principe du financement collaboratif, avec ses failles et ses faiblesses, représente une avancée déterminante par rapport aux circuits classiques — lesquels ont démontré leur froide efficacité (enfin, pas toujours…), mais aussi leur manque préoccupant d’éthique, et ce avec une constante régularité.

Pour aller plus loin sur le sujet, on pourra lire Le manifeste du faire — Design making : un nouveau modèle économique pour aller de l'idée au marché paru en janvier 2016 chez Fyp éditions.

Xavier DEGROOTE

International Marketing Wines & Spirits Consultant

8 ans

Changer par la "revolution", c'est à dire nier et détruire ce qui existe n'a aucune chance de réussite ... car les intérêts personnels en place sont les garants et maintiennent ce qui est en place. Par contre, le financement participatif est un moyen de bénéficier des outils en place et ouvrir une ere nouvelle. Celle de l'accès de beaucoup ( plus ) au pouvoir, à la richesse crée, au futur développement? ... et cela évitera de casser dans la douleur au benefice des concurrents étrangers. Et cela sera une garantie de croissance pour les années qui viennent .. meme pour les "Happy Few" aux rennes des pouvoirs. Le capitalisme doit devenir communautaire. C'est le seule voie de croissance. Mais certains outils restent à modifier pour le bien de tous.

La façon dont sont menés les campagnes de crowdfunding ne sont pas faites pour intéresser des investisseurs qui cherchent à s'enrichir. Ce n'est pas un défaut au contraire une qualité, car c'est à la fois l'importance du projet et sa crédibilité qui sont dans la balance et non sa rentabilité et cela est la qualité essentielle du crowdfunding. Limité l'investissement permet de protéger cet esprit, mais je crois pas qu'une loi soit mise en place "juste" pour protéger "l'esprit" d'une démarche, se serait naïf de ma part de penser ça.

Séverine TOUSSAINT

⏳Grain de sable qui aide à faire grandir les organisations et les personnes 🌱! 🎯Glocal developer (international inspiration / local application)

8 ans

Je constate un peu plus chaque jour, et avec beaucoup de désolation, que le "système" fait en sorte que rien ne change vraiment malgré toutes les bonnes initiatives...

Jean-Baptiste Vidal

Dealer de vins et de cholesterole

8 ans

Cher Monsieur, concernant l'equity crowdfunfing, votre article, fort intéréssant par ailleurs laisse planer le doute sur un plafond d'investissement à 4000 euros, ce qui est inexact en l'état actuel des textes. il n'y a pas de plafond individuel contrairement au crowdlending. Néanmoins et vous avez raison sur ce point, le montant maximum injectable dans chaque projet est d'1 million d'euros...tout du moins jusqu'à maintenant, Emmanuel Macron ayant annoncé le relèvement du plafond à 2 500 000 lors des assises de la finance participative 2016. bien à vous.

Emmanuel DA COSTA

Gérant Associé RISE ASSURANCE Garanties Financières et Cautions

8 ans

Merci pour cette analyse ! Le crowdfunding est encore balbutiant mais comme vous le soulignez pour les TPE c est un atout ... Il y a partout en France des petits projets générateurs d emplois c est a nous de faire !

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