Le grand débat, terre à l'horizon

Je ne sais pas si cela vient de mon activité professionnelle dans le domaine de l’innovation, mais les éléments de langage de La République en Marche et de ce gouvernement, clairement inspiré du marketing disruptif, m’agacent. J’ai l’impression de voir Steve Jobs essayer de me vendre de l’huile de foie de morue, la magie n’opère pas. Avec le grand débat national, c’est maintenant le management agile qui fait son entrée en politique. En fait non, Ségolène Royale, Benoit Hamon et Jean-Luc Mélanchon y ont déjà eut recours, mais politique disruptive oblige, le grand débat est une grande première de la République En Marche. 

Comme pour les initiatives de management agile en entreprise, si vous dites que ces de la poudre au yeux et une perte de temps, les partisans vous opposent que vous êtes trop négatif. Pendant que vous, vous restez prostré dans votre attitude de Schtroumpf grognon, eux au moins agissent pour faire bouger les choses. Si quelqu’un prétendait qui si nous sautions tous de la falaise cela résoudrait tous les problèmes des Français, serait-il absurde de refuser d’essayer ?

Mais bon, il me semble malgré tout important d’expliquer pourquoi ce Grand Débat National n’est pas une solution et pourquoi je n’y participerais pas.

Avec le recul de ces 20 dernières années, la politique me fait penser à un grand bateau pirate. Nous sommes tous coincés dans un grand bateau, en pleine mer avec que de l’eau à l’horizon, voguant tant bien que mal dans l’espoir d’atteindre la terre promise. À la barre un capitaine, droit dans ses bottes, qui sait, lui, comment il faut manœuvrer la barre et qui exige une confiance pleine et entière de l’équipage sur ses décisions. Seulement voilà, le temps passant, aucune terre n’apparait à l’horizon et la confiance de l’équipage en ce capitaine s’érode inexorablement. Finalement les matelots se révoltent, le capitaine est passé par la planche et l’équipage doit s’en choisir un nouveau. Chaque candidat explique que lui seul sait dans quelle direction il faut tourner la barre pour prendre la bonne direction. Le plus crédible est choisi et après un grand coup de barre, le cirque recommence. Le cycle se répéte inlassablement : choix d’un capitaine convaincant, grand coup de barre, perte de confiance, supplice de la planche…

Mais voilà, au fur et à mesure le scepticisme gagne l’équipage et les capitaines sont de moins en moins convaincants. Un jour un jeune capitaine, sentant le supplice de la planche s’approcher, lance une grande idée pour essayer de prolonger ses jours. Il propose d’organiser un grand débat avec tout l’équipage pour décider de la direction dans laquelle manœuvrer la barre. L’équipage ayant toujours eu à suivre les dictats de capitaines incompétents est bien évidemment enthousiaste. Mais bon, après une longue cacophonie une décision est finalement choisie puis mise en œuvre, après quelque temps la terre ne pointant toujours pas son nez à l’horizon, le jeune capitaine est finalement passé par la planche, et le cirque peut reprendre.

L’échec du grand débat est facile à comprendre. Si tout l’équipage est là pour échanger et débattre de l’action à accomplir, tous les matelots ne partagent pas la même opinion sur la position actuelle du bateau, son cap et la position de la terre promise. Parmi les membres d’équipage, certains ont raison, c’est-à-dire que leur choix de décision est cohérent avec leur perception de la situation. D’autres se trompent, leur choix de manœuvre ne permettrait pas d’atteindre la terre promise si leur vision de la situation était juste.

Indépendamment de cela, certains choisissent la bonne décision, celle qui permettra réellement d’atteindre la terre promise compte tenu de la situation réelle, alors que les autres ont faux. Finalement parmi ceux qui ont raison certains proposent la bonne solution, mais ceux qui se trompent sur la situation en proposent probablement une mauvaise (une horloge arrêtée donne l’heure juste 2 fois par jour). Et parmi ceux qui se trompent, certains proposent également par hasard la bonne proposition, mais pour de mauvaises raisons.

Au milieu de ce brouhaha, le choix reste guidé par la crédibilité des orateurs, et rien ne garantit que le choix de l’équipage se portera sur la bonne décision. La majorité n’a pas toujours raison, peut être que celui qui ne rassemble que 6 % des suffrages est dans le vrai. Mais finalement, l’action à mener sur la barre n’est pas la chose importante sur laquelle l’équipage doit s’accorder.

Pour pouvoir avancer sereinement il faudrait commencer par déterminer la position et le cap du vaisseau ainsi que s’accorder sur la destination que l’équipage souhaite atteindre. Il sera alors possible de naviguer vers cette destination en démontrant au fur et à mesure que l’on se rapproche de la cible. Il ne serait dès lors plus nécessaire de réclamer la confiance, elle se gagnerait en se rapprochant de la terre promise.

Alors aujourd’hui, même si beaucoup en doute, il est clair que nous ne savons pas où nous sommes. Au vu des discussions sur le « mariage pour tous », « l’avortement », « la laïcité », « la gestion de la crise des migrants », « le réchauffement climatique » je doute que nous soyons tous en phase sur ce que veux dire être Français et sur l’état de ce pays. Je doute que nous soyons tous en phase sur le chemin que nous arpentons et j’ai de plus grands doutes sur le fait que nous poursuivions le même idéal. Alors, comment espérer que le Grand Débat National se termine avec autre chose qu’un capitaine sur la planche ?

Nous avons besoin de faire un travail de fond, pas de participer à un atelier agile. 


En fait, vous êtes en train de nous expliquer que nous sommes immortels !!! Ils auraient débattu sur le radeau de la méduse ? Ou pas ? Cette question n'ayant pas de réponse, je vous propose d'en débattre... ou pas.

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Marc Despland

  • Thank you Docker !

    Thank you Docker !

    Docker has decided to change their product subscription. Of course they are totally free to do it and I haven't yet…

  • Covid-19 detector powered by FIWARE

    Covid-19 detector powered by FIWARE

    To illustrate a bit my work around IoT solutions and FIWARE, I have decided to build a Covid-19 detector for the…

  • Fiware, la révolution SmartCity est en marche

    Fiware, la révolution SmartCity est en marche

    Dans le business des nouvelles technologies, il est de bon ton de parler de « révolution » ou de solution « disruptive…

    1 commentaire
  • Les chiffres ne mentent pas !

    Les chiffres ne mentent pas !

    L’histoire se déroule en Bordurie extérieure, à peu près à la même époque où ils ont tenté d’infiltrer le colonel Oscar…

  • Le DevOps, une question d'organisation

    Le DevOps, une question d'organisation

    Depuis près de 20 ans, je travaille dans le domaine de la recherche et développement logiciel, dont une grande partie…

    5 commentaires
  • How to get away with socket ?

    How to get away with socket ?

    With modern architecture like "micro-services", the use of REST API and Cloud Computing the place of the network grow…

  • Et si les sondages ne s'étaient pas Trumpés ?

    Et si les sondages ne s'étaient pas Trumpés ?

    Dans mon précédent article "Pourquoi Marine Le Pen sera la prochaine présidente" j'annonçais la victoire de Sarkozy au…

  • Pourquoi Marine Le Pen sera la prochaine présidente Française

    Pourquoi Marine Le Pen sera la prochaine présidente Française

    Cela faisait des mois que j’annonçai que Donald Trump serait élu président des États- Unis, cela me semblait logique…

    2 commentaires

Autres pages consultées

Explorer les sujets