Le harcèlement sur Internet, subtile méthode concurrentielle…
L’industrie de la traduction est une vieille maison, avec ses gardiens du temple, ses nobles acteurs et puis ses vils pourfendeurs de l’ordre établi. Sans compter que l’industrie de la traduction présente un panorama très disparate selon les pays. Qu’à cela ne tienne. Comme toutes les industries fonctionnant un peu en vase clos, certains voient toujours la nouveauté et la différence comme des concurrents forcément exécrables. Schopenhauer disait que toute idée était tout d’abord ridicule, puis dangereuse avant de devenir évidente. Je crois que cette formule peut s’appliquer à nombre de domaines en mutation et la traduction n’y échappe pas. Il y a d’un côté les traducteurs indépendants (nous les appellerons ici les A), au rang desquels on trouve un ensemble très disparate de passionnés qui ont le goût des échanges, de l’apprentissage permanent, du réseautage, des outils technologiques, assez flexibles sur bon nombre d’aspects (les A1). De l’autre côté du spectre, il y a les puristes (les A2). On ne traduit qu’à un certain prix, on doit être payé en avance, le client n’a qu’à se débrouiller pour la mise en page et surtout qu’il ne se permette pas de me déranger à 12 h 12 car je déjeune et repose mon esprit. Venez rajouter à tout cela les agences de traduction (les B), dont la mission est de mettre en relation un client final ayant besoin d’une traduction avec la bonne ressource de traduction, capable de gérer les paires de langues recherchées et la spécialité demandée. Bien sûr, dans cet univers, il y a aussi les deux opposés. D’un côté, les agences à très forte orientation commerciale et rentabilité, qui font un peu fi des bonnes pratiques en termes de « commerce équitable » et pour lesquelles seule la marge compte (les B1). Vous vous doutez bien que les A2 détestent les B1. De l’autre côté, il y a les agences, la très grande majorité, qui essaient chaque jour de jongler entre les exigences du client final et parfois d’autres agences, les pressions baissières sur les tarifs [car bien souvent, rappelons-le la traduction est un centre de coût et non pas un centre de profit], la gestion et le sourcing des traducteurs indépendants, leur juste rémunération, leur formation continue, les obligations fiscales des uns et des autres, et j’en passe. Ce sont les B2. Les B2 (gentilles agences) sont les concurrents directs des B1 (agences méchantes) mais les B2 et B1 s’enfichent mutuellement les unes des autres car elles n’ont pas les mêmes visions. Par contre, les A2, qui souvent n’aiment personne, elles, leur combat, c’est les agences, TOUTES LES AGENCES, par principe (encore avant, leur ennemi, c’était la TAO). Ces agences qui exploitent les pauvres traducteurs, tous nuls par définition parce que traducteurs au rabais selon eux. Mais les A2, eux, ils rêvent de clients directs qui les paieront des sommes folles, leur offriront des conditions royales et les déclareront meilleur auteur (oups traducteur) du siècle. Problème : le client final, il a besoin souvent que soient gérées plusieurs paires de langues, dans des délais très courts, à des tarifs raisonnables et soyons clairs, sans les complaintes sur la cherté de la vie et autres débats philosophiques pseudo-qualitatifs. Quoi qu’il en soit, A1 a son marché, tout comme A2, B1 et B2. Si l’histoire s’arrêtait là, on serait tout simplement en présence des forces traditionnelles du marché en interaction. Internet est venu épicer un peu tout ça. Les réseaux sociaux ont donné le même accès et la même tribune aux A1, A2, B1 et B2. Les B1, tout va bien pour elles, too big to fail. Les A1 et A2 ont la possibilité de faire valoir leur approche et ainsi d’étendre leur zone de chalandise, avec leurs spécificités respectives. Puis viennent les B2. Elles, les A2 veulent les bouffer tout cru. Elles font tout mal (sous-entendu moins bien que les A2, of course), elles exploitent tout le monde (les A1 sûrement), elles précarisent l’industrie (en leur prenant des clients qui ne souhaitent pas travailler avec les A2 ?), elles utilisent l’intelligence artificielle (qui ne saurait bien sûr concurrencer leur prose inégalable). Alors Internet est devenu leur tribune favorite car elles peuvent, à moindre frais et dans le confort virtuel de la lâcheté, dénigrer, se constituer en petites meutes de A2 qui s’inscrivent en faux contre cette nouvelle génération, à coups de petites piques ou de partages sur des groupes privés où elles se croient en toute impunité pour diffamer. Au mépris bien évidemment des codes déontologiques auxquels ces purs A2 disent, à qui mieux mieux, s’astreindre.
Au final, c’est un peu l’histoire des taxis contre les VTC…
Les taxis continuent d’exister, les VTC aussi…et la plus belle reconnaissance n’est-elle pas celle du client qui vous plébiscite et partage vos offres de recrutement ?
Traductrice et formatrice en portugais. Expert traducteur près la Cour d'appel d'Aix-en-Provence (traductions certifiées pour les particuliers et les entreprises uniquement)
5 ansMoi, ce que j'aimerais c'est justement être un A2. C'est grave, docteur? ;-)