Le journalisme de solution pour les nuls… et les pessimistes
A l’image de l’étude publiée par Harris Interactive en décembre 2014 et que le Blog du Modérateur relayait dans l’un de ses billets, nombre de sondages se font l’écho des plaintes d’un public de plus en plus lassé par la sinistrose ambiante et les gros titres trash diffusés par les médias. Mais si ces statistiques marquent l’émergence d’une défiance face aux Unes scabreuses et aux reportages choc, elles sont loin de relever du changement de paradigme dans le monde de l’information. D’autres stats, autrement révélatrices, prouvent en effet que le public revient massivement vers les faits divers, les drames humains et le sordide.
Les médias seraient donc condamnés à brasser de l’épave fumante et du hard news toute l’année ? La multiplication des canaux de diffusion n’a, malheureusement, pas conduit à diversifier les informations. Chaque directeur de publication scrutant son concurrent direct du coin de l’œil et guettant le mouvement des parts de marché, les offres éditoriales se sont uniformisées, standardisées, et présentent une vision commune (et tronquée) de l’actualité. L’anxiogène fait vendre mais il est loin de refléter l’exactitude
Le journalisme de solution n’est pas une utopie
En 2013, Nicolas Blain, journaliste et fondateur de Courant Positif, lançait un appel en faveur de l’émergence d’un journalisme de solution en France. Publié à l’occasion du tout premier Impact Journalism Day initié par SparkNews, le texte évoquait l’urgence de mettre en lumière celles et ceux qui, dans l’ombre, cherchent et trouvent des solutions aux problèmes de notre temps.
Parce qu’il s’agit bien de cela : qu’on le qualifie de positif, de constructif ou de solution, ce journalisme ne présente pas le monde sous le filtre d’une jolie paire de lunettes roses. Face aux fameux “trains qui arrivent à l’heure” évoqués par de goguenards sceptiques, des rédactions entières évoquent désormais les projets et les démarches de citoyens qui refusent cette absurde attitude qu’est la passivité.
Le journalisme de solution n’occulte en rien les malheurs du monde. Il ne dissimule ni les guerres, ni les morts, ni les ravages de la nature. Il ne réduit au silence aucun spécialiste d’une question mortifère. Il ouvre le débat en présentant les alternatives, les concepts et les réponses constructives apportées par quelques-uns aux problèmes qu’ils affrontent.
Saviez-vous qu’un designer afghan avait inventé une sphère en bambous capable de déminer des centaines de mètres² de terrain grâce au vent ? Etiez-vous au courant qu’une communauté rassemblant des dizaines de nationalités lutte depuis dix ans pour reconstituer les écosystèmes détruits par la main de l’Homme ? Aviez-vous entendu parler de cette association qui contribue à la préservation des squales de méditerranée ?
S’informer, c’est prendre ses responsabilités
Derrière l’émergence et le maintien des médias de solution, ce sont les choix des lecteurs, des auditeurs et des téléspectateurs qui sont en jeu. Loin de la prose habituelle qui veut que le public doit être informé (alimenté en informations serait un terme plus juste) sans bouger le petit doigt, le journalisme de solution appelle à la responsabilisation de ce public. Croiser les sources, refuser le prêt à penser comme le prêt à twitter, proposer des sujets, s’engager dans la vie d’une structure, valoriser des initiatives et des porteurs de projets… S’informer, c’est prendre ses responsabilités intellectuelles et citoyennes.
Certaines voix s’élèvent désormais pour dire que l’information n’est pas un bien de consommation comme les autres. C’est une erreur. L’information n’est absolument pas un bien de consommation. C’est un bien commun, un pilier de la démocratie dont nous sommes toutes et tous responsables. Il nous appartient de la propager, de la préserver et d’en garantir le bon fonctionnement. Mais pour ce faire, il est nécessaire de sortir de la torpeur ambiante, de prendre conscience du potentiel de chacun...
L’innovation éditoriale, au cœur du journalisme de solution
Bousculer les normes, refuser en bloc tout compromis, repenser les codes de l’information, considérer enfin le public comme une somme d’interlocuteurs et non comme une simple source de revenus… Le journalisme de solution se niche aussi bien dans l’éditorial que dans l’approche philosophique des entreprises qui le portent. Le fait qu’une rédaction émerge et porte une coloration éditoriale, une manière de traiter et de présenter l’actualité, un format différent… constitue déjà un apport à la vitalité de l’info. Des structures telles que Sans A, Le 1, La Revue du Crieur, The Dissident, Le Quatre Heures, 8e Etage, Tortuga, XXI, l’Imprévu, La Revue Dessinée et bien d’autres attestent de la vitalité des médias et de l’esprit créatif du monde des médias indépendants.
Jeremy Felkowski,
journaliste, co-fondateur du Zéphyr et rédacteur en chef de Today Magazine.