LE MAIRE ET LES COMMERCES NON ESSENTIELS

LE MAIRE ET LES COMMERCES NON ESSENTIELS

LE MAIRE ET LES COMMERCES NON ESSENTIELS

Certains maires ont adopté de manière spectaculaire des arrêtés municipaux autorisant l’ouverture de certains commerces dont la fermeture a été prononcée par le décret du Premier ministre imposant le « confinement » (Décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire).

Sur le plan juridique, les choses sont malheureusement plus simples (1°) mais il existe cependant des possibilités de contestation (2°).

1°) La question est ici celle de savoir si un maire peut, au titre de ses pouvoirs de police rendre moins sévère la réglementation locale vis-à-vis de la réglementation nationale. Autrement dit introduire localement une dérogation à une règle nationale.

En premier lieu, l’articulation classique entre les pouvoirs de police administrative générale de l’État (Premier ministre ou préfet) et ceux du maire fait obstacle à ce qu’il soit dérogé à une mesure restrictive générale par un maire sauf texte contraire. À ce titre, le maire ne peut normalement qu’aggraver les mesures de police à la vue des circonstances locales et non l’inverse (CE, 18 avril 1902, Commune de Néris-les-Bains)… Bien évidemment si la mesure nationale autorise le maire à aménager ces mesures, c’est différent (c’est le cas de la limitation à 70 km/h en agglomération qui peut être décidée par le maire par exemple).

En second lieu, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, la législation a prévu un régime spécial et exceptionnel de police. En ce cas, le Conseil d’État a jugé qu’il n’appartient qu’à l’État d’adopter les mesures requises et non aux maires. La compétence du maire en matière de police administrative générale. est ici résiduelle et ne peut s’affranchir des textes nationaux (CE, 17 avril 2020, Commune de Sceaux).

Par voie de conséquence un maire ne peut prendre légalement un arrêté allant à l’encontre des mesures nationales anti-covid sauf si celles-ci prévoient une telle situation, ce n’est bien évidement pas le cas.

Cette posture est donc purement politique et médiatique et se trouve être profondément erronée en droit. Il y a là un comportement dangereux et irresponsable.

Dangereux et irresponsable car les autorités politiques concernées ne prennent qu’un risque très limité qui sera assumé par la commune. Il ne s’agit que de faire le « buzz » en faisant risquer aux commerçants le prononcé de sanctions multiples (fermeture administrative, poursuites pénales, etc.).

Dangereux et irresponsable sur le plan sanitaire car si les autorités d’État imposent des mesures restrictives, ce n’est sûrement pas par plaisir mais dans un but de sauvegarde de la santé publique.

2°) En réalité, si les édiles locaux (ou les citoyens) veulent contester ces mesures il existe trois possibilités légales d’action.

En premier lieu, il est possible de contester, devant le Conseil d’État, la légalité du Décret « confinement » y compris par voie de référé (et d’ailleurs le Conseil d’État a admis le bien-fondé de certaines demandes en ce sens : CE ord., 6 juillet 2020, CGT, SOS Racisme et autres, n°441257) même s’il reconnaît une large marge de manœuvre au Premier ministre. En référé-liberté, la réponse du juge intervient à très bref délai (quelques jours). Cette voie est purement juridique.

En deuxième lieu, il est possible de formuler un recours gracieux auprès du Premier ministre en lui faisant valoir des solutions alternatives. La discussion peut être alors sur le plan du droit ou sur celui de l’opportunité. Nul doute que les élus locaux, les associations d’élus (ARF, ADF, AMF, etc.) ou les partis politiques peuvent intervenir à ce titre.

En troisième lieu, il est possible de solliciter du Parlement qu’il modifie la loi pour imposer l’ouverture, la fermeture ou des mesures spécifiques pour chaque commerce. Ici, le droit futur ne résulte que d’une discussion de nature politique qui peut initiée par tout citoyen (chacun est libre à tout parlementaire), groupes de citoyens (association, société civile, etc.), collectivités territoriales ou même tout élu local ! N’oublions pas que l’initiative de la loi s’exercice directement (projet ou propositions de loi) ou indirectement (amendements) aussi bien par le Gouvernement que par les parlementaires.

Il est bien entendu possible de combiner les trois actions…

On s'inclinera devant cette analyse juridique imparable. On restera en revanche totalement réservé, cher Rémi-Pierre, sur le jugement moral porté quant à "l'irresponsabilité" du maire. Car si on se lance dans cette voie "morale" au coeur d'un article juridique imparable, on pourrait alors se demander s'il n'est pas tout aussi "irresponsable" au nom de la sécurité sanitaire : d'une part de dynamiter l'avenir de centaines de milliers d'emplois et d'entreprises face à un virus; d'autre part d'obliger 65 millions de Français à cesser toute vie familiale, amicale, sociale, sportive, culturelle. A l'arrivée de cette dictature du confinement combien de ménages ruinées, de locataires expulsés pour loyers impayés, de personnes âgées moralement détruites par l'isolement, d'artisans et commerçants en liquidation judiciaire ? Combien de structures culturelles et artistiques détruites ? Combien de dépression chez des personnes fragiles qui ont besoin d'une vie sociale ? A la différence des énarques et autres technocrates parisiens vivant en vase clos dans leurs univers ministériels aseptisés, ne prenant jamais un métro, n'allant jamais acheter eux-mêmes leur baguette de pain et leur poulet rôti, les maires sont des hommes et des femmes de terrain qui vivent aux côtés de leurs administrés. Et qui voient de près in situ, en live, mourir leurs villes. Pour ma part je considère que tous les élus municipaux, qui ont fait le choix d'affronter la dictature sanitaire imposée par des technocrates désincarnés, sont non pas des irresponsables mais des Etres humains qui pensent et agissent avec leur coeur et leur âme. Des êtres humains qui refusent de voir mourir toute vie sociale, culturelle et économique dans leurs communes. Vient un temps où la peur obsessionnelle de la mort et de la maladie doit être réévaluée à l'aune d'une question essentielle : qu'est ce que VIVRE ? Vivre (au plan biologique) n'est pas un but en soit. Et j'ose dire en toute lucidité que 600 000 morts (1% de notre population) ne seraient peut être pas pire que des millions de chômeurs, d'entrepreneurs ruinés, de gens expulsés, de personnes dépressives voire détruites au plan psychique. Ce vers quoi nous allons désormais au grand galop.

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Rémi-Pierre Drai

Autres pages consultées

Explorer les sujets