Le management par l'infantilisation

Le management par l'infantilisation

L’infantilisation est le mode de management du Groupe. L’organisation dicte à ses employés ce qui est bon pour eux, comment ils doivent se comporter, quelles sont les bonnes attitudes à adopter. Un slogan associé à la marque phare affirme d’ailleurs : « La jeunesse n’est pas une question d’âge, mais d’attitude ». Le salarié n’est pas considéré comme un être responsable et autonome mais comme un enfant qu’il faut prendre par la main et éduquer aux bonnes attitudes. Le collaborateur est donc un enfant qu’il faut faire « grandir ». Le guide diffusé au salarié expliquant comment le développer est illustré d’une photo d’un petit garçon dont on arrose la tête, telle une plante devant une graduation symbolisant sa croissance. Le didacticiel agrémenté de l’image d’un petit lapin, tel panpan dans « Bambi », affirmant que pendant la conversation de développement individuel, « on ne parle que de moi », est symptomatique de la manière dont sont considérés les salariés. Ainsi, le rapport managé manageur s’inscrit dans une relation d’enfant à professeur d’école primaire plein de sollicitude et de bienveillance. Il ne s’agit plus d’un lien hiérarchique classique, mais d’un lien entre un adulte sachant, expliquant à un enfant, les efforts qu’il doit encore accomplir pour passer dans la classe supérieure. Le bulletin d’évaluation énonce : « Julien doit être plus dans le partage avec ses camarades, de plus il vit sur ses acquis, il manque de motivation et doit impérativement progresser dans son agressivité pour être plus percutant ». Ou encore « Marine doit encore démontrer son esprit de conquête si elle veut espérer évoluer sur un poste de « catégory manager ». Enfin un « Bravo Mathieu pour cette année, l’année prochaine sera celle du changement si tu continues ainsi ». Le gentil hiérarchique est le juge des attitudes de son collaborateur. Cette infantilisation est d’autant plus grotesque quand le collaborateur a l’âge d’être le père ou la mère du managé, ce qui n’est pas rare.

Ces jeunes managers ont été choisis justement pour leur capacité à appliquer scolairement tous les process. Leur manque d’expérience et souvent de maturité les poussent d’autant plus à suivre les guides sans aucun recul. Ils récitent les leçons apprises lors des formations de management pour les nuls de façon caricaturale. Certains ayant une plus grande maturité, souvent grâce à des expériences de vie personnelle, s’en sortent bien et parviennent à adapter leur discours. Ils font la part des choses et prennent de la distance. D’autres, très sûrs d’eux ou voulant masquer leur manque de légitimité, se montrent arrogants et condescendants. Cette infantilisation des collaborateurs est institutionnalisée par l’organisation. Elle permet de s’assurer de leur obéissance docile. Dans ce système, le supérieur hiérarchique est « un méprisant qui souffre d’un complexe de supériorité : il se veut supérieur, mais voit de la valeur dans l’autre et il pense que la valeur d’autrui diminuera la sienne ». Ce management puéril, déresponsabilise les collaborateurs qui finissent par se comporter effectivement comme des enfants. En effet ces derniers se convainquent qu’ils ne sont pas ou plus en mesure de décider, de juger et s’en remettent aux adultes, aux chefs. Ils attendent d’eux leur sollicitude et leur approbation. Workplace participe grandement à ce processus. Il est, en effet, par excellence, un outil de la satisfaction immédiate du désir de reconnaissance qui permet aux salariés d’exposer leurs belles réalisations et en attendent des félicitations sous forme de petits cœurs ou de commentaires élogieux. De la même manière, que l’enfant cherche le compliment et l’encouragement de ses parents ou du maître d’école pour son beau dessin. Julien s'est surpris dans cette attitude d’attendre avec impatience le retour de ses posts.

Cette quête de reconnaissance immédiate est un outil puissant pour s’assurer de la parfaite collaboration des salariés à la stratégie. Les enfants ont besoins d’être valorisés pour se développer jusqu’à ce qu’ils prennent suffisamment d’assurance et de confiance pour devenir autonomes. L’entreprise maintient cet état de dépendance en distribuant les colifichets de la reconnaissance que sont les « likes », « smiles », « love » et autre podium virtue l comme le fait la maîtresse d’école avec les bons points.

Franck Montignac

Ingénieur système AIX & Linux - Formateur chez Capgemini

1 ans

Ah oui, ces "managers" qui veulent faire "grandir" leur "collaborateurs", comme si nous n'étions pas déjà des adultes. Tous ces mots qui masquent nos conditions de travail participent à le vider de son sens.... Et après on s'étonne du turn-over, de la souffrance au travail (pardon de la "QVT")

Myriam Bruguerra

Généraliste des RH chez SOSMART

3 ans

Tres intéressant cet article. C'est marrant a lire mais, il ne s'agit pas de management bienveillant, ni de développement personnel. A mon sens nous sommes dans un autre répertoire... celui du management né de ces générations d'enfants rois nourris au net et intolérants à la frustration...une génération d'individus fragilisés d'avoir été "projet" projetés dans la vie sans y être préparés... C'était une sacrée transition et je peux vous affirmer que c'était pas simple a gérer.

ANTOINE Chaignot

Enseignant Éco-Droit chez MINISTERE DE L'EDUCATION NATIONALE ET DE LA JEUNESSE

4 ans
Gregory-alexandre ANNE

Entrepreneur - Faciltateur et HORSEMANSHIP ma quête : initier des démarche collaborateurs pérennes.

4 ans

Le plus grave c'est que ce type de management soit transmis en école de management. L'appliquer est une gageure mais en être le formateur est encore plus méprisant et en dit long sur ce que pense ces professionnels des humains. Dans l'idée de l'incompétence inconsciente, on atteint ici le paroxysme avec tant de mépris pour les personnes.

Christine COUTANT

Co-founder & CXO ARANSI – 🚀Empowering managers & leaders worldwide through self development | 🤝Link maker

4 ans

Un phénomène managérial de dé-responsabilisation des collaborateurs qui s'inscrit hélas dans une évolution du monde du travail depuis plusieurs décennies comme l'explique avec clarté Danièle Linhart... En tout cas, une réflexion très intéressante ANTOINE Chaignot autour de l'importance de l'autonomie et de la responsabilisation globale dans les organisations. Cela m'évoque surtout un déséquilibre soutenu des rapports, peu propice à construire une relation d'adulte responsable à adulte responsable.

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