Le Mirage du "solutionnisme"​ (technologique)

Le Mirage du "solutionnisme" (technologique)

Cela fait plusieurs jours que je veux partager un point de vue qui n'est certes pas nouveau mais qui se retrouve amplifié par la crise sanitaire que nous vivons. Ce problème est celui du "Solutionnisme Technologique" tellement bien décrit dans l'ouvrage d'Evgeny Morozov en 2013 ou encore dans une ancienne pub de la marque à la pomme invitant à croire qu'il y a une app pour à peu près tout!

NON ! Il n'y a pas une App pour tout ! NON, la technologie n'est pas la solution à tous les maux et problèmes de notre société ! Et encore moins dans l'urgence ! Or c'est bien là que la situation actuelle est devenue très préoccupante : cette situation d'urgence qui pousse un peu tout le monde à se laisser envouter par les promesses du mirage du "Solutionnisme technologique".

En fait, l'urgence, si elle peut être source d'accélération de prise de conscience et de moteur d'innovation (sociale :), elle peut aussi être un catalyseur dangereux de fantasmes poussant à recourir à ce solutionnisme technologique par une transposition quasiment linéaire des problèmes. Or, c'est justement là qu'il faut faire encore plus attention à ne pas céder à la tentation consistant à s'emparer de la technologie comme d'une bouée de sauvetage qui résoudra tous les problèmes. Dans l'urgence, il est encore plus important d'accorder une attention toute particulière aux exigences liées à la nouvelle situation et par conséquent de ne pas foncer aveuglément dans la "promesse" d'une technologie sans avoir pris grand soin à bien définir les usages et la finalité poursuivie. Seulement à ce moment là, une fois les exigences et la finalité bien définie, pouvons nous envisager des moyens afin de mettre en oeuvre un "design" (conception). Et encore, tout design technique doit passer par des étapes visant à assurer des exigences de qualité, de robustesse, de sécurité, etc.

C'est bien là le message que j'ai essayé de faire passer hier soir au JT 19h30 de la RTS en appelant à se poser ces questions de façon critique et ceci aussi bien pour soi-même que collectivement. Deux exemples très récents et à mon avis emblématiques de cette question sont tous deux liés à l'actualité d'urgence sanitaire qui nous occupe. Le premier, sujet de l'interview mentionné ci-dessus concerne les application de traçage de contacts, considérées par les autorités sanitaires de nombreux Etats et donnant lieu à une foison d'approches techniques toutes réalisées dans l'urgence. La Suisse n'échappe pas à cela et nos autorités sont sur le point de lancer une expérimentation en la matière avec une App à installer sur une base volontaire.

Le deuxième exemple concerne l'introduction forcée d'une plateforme de proctoring (surveillance) pour les examens en ligne de la Faculté d'Economie et de Management à l'Université de Genève. Ici aussi, situation d'urgence, aucune réflexion concertée visant à prendre en compte la situation particulière, l'adhésion des étudiants et l'aval du préposé cantonal à la protection des données et à la transparence. Seul objectif s'assurer par tous les moyens (techniques, donc solutions) que les étudiants ne "trichent" pas en recourant à la vidéosurveillance invasive et au consentement contraint au mépris des principes de protection des données et d'humanité de base. Ce deuxième exemple illustre tout aussi bien le biais évoqué par le solutionnisme technologique dans l'urgence. Au lieu de se poser la question d'une façon responsable et durable, le choix d'une plateforme technologique a été fait uniquement en transposant le problème à l'identique par la technique. Ces approches sont non seulement toxiques et anxiogènes pour les étudiants mais sont tellement faciles à contourner que des sites entiers documentent les 1001 façons de le faire.

Depuis plus de 10 ans, presque tous mes cours et la plupart de mes interventions commencent par un préambule dans lequel j'insiste lourdement sur le fait que la technologie n'est qu'un moyen au service de l'humain... Vouloir placer le numérique et la technologie comme une finalité pour résoudre tous les problèmes nous conduira inévitablement dans des murs. Le design (conception) doit être centré sur l'Humain et repose sur trois dimensions : la désirabilité, la faisabilité technique et la viabilité économique et tout commence par la désirabilité !


Ataa Dabour

Consultant | Entrepreneur | Professor

4 ans

Céline Damil next MH maybe!

J’ai vu ton intervention télévisée de l’autre soir ... quel égarement....

Nicolas Vernaz

Cybersécurité et Protection des données - CISO et DPO externe

4 ans

Tellement d'accord !! Ce solutionisme technologique illustre ce que je dit depuis bien longtemps déjà, la Suisse a un tel retard en terme de transition numérique, cette crise n'a fait que mettre en exergue ce retard, et à conduit à des choix de solutions d'urgences qui ne font qu'écorner une confiance numérique déjà si faible en Suisse….

Yves Zieba

Stratège axé sur l'action -Praticien de l'innovation pour la durabilité - CAIO

4 ans

Etonnant tout de même cette envie soudaine de tracer tout le monde encore plus, plutôt que de vérifier les filtres des systèmes de ventilation dans les bâtiments, dans les bureaux, dans les écoles ou dans les transports...

Marie-Pierre Vidonne

Passionnée par l'impact des technologies et du numérique sur la société | Physique et Science des matériaux

4 ans

A lire. Merci Jean-Henry Morin de rappeler que toute solution technologique doit être au service de l'humain.

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