Le monde se divise en deux catégories...
« Blondin (Clint Eastwood) : – Tu vois, le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Et toi..., tu creuses ! Tuco (Eli Wallach) : – Où !? » Sergio Leone, Le bon, la brute et le truand, 1968 (1966).
« Tout véritable rapport de domination comporte un minimum de volonté d’obéir, par conséquent, un intérêt, extérieur ou intérieur, à obéir. » Max Weber, Economie et société, « Les types de domination ».
« Clôture épistémique (CE) Si X sait que p, et sait que p implique q, alors il sait que q. Savoir, c’est savoir que l’on sait (KK) K p ® K K p » Pascal Engel, Va savoir !, 2007.
PLAN
Introjection.
1. Petite anthropologie de la totalité sociale.
2. Petite socio-anthropologie de la totalité sociale.
3. Petite sociologie de la totalité sociale.
4. Petite sociologie sexuelle de la totalité sociale + Note sur le nu.
5. La consommation de la société.
6. « If Trump Loses, I am Fucked! » + Note sur le « complautisme ».
Le tract de 1998.
Introjection.
En 1998, avec mon camarade Marc C., je rédigeais quelques lignes polémiques à partir de mes premières lectures de Ludwig Wittgenstein et d’une réplique culte du film ouest-germano-hispano-italien Le bon, la brute et le truand. Fond (ou double-fond) et forme, donc. A la fin de ce texte, je glisse le tract distribué alors.
Je viens ici reprendre cette formule railleuse et western après avoir longtemps réfléchit sur la science-fiction ; car je conçois désormais la supériorité critique-artiste (Boltanski) du western américain pourtant — ou justement — réactionnaire (« conservatoire »). Je réaffirme* donc ici la supériorité critique du western, surtout depuis que l’Avenir a été privatisé par les imaginaires du capitalisme en général et en particulier privatisé par les milliardaires chinois et californiens de la Big Tech. Pour leur part, les westerns al italiana ne furent jamais réactionnaires et toujours sarcastiques envers les différents types de domination (Weber).
Je n’ai pas d’autre introduction à faire, car ne lirons ces quelques six paragraphes successifs, mais autonomes, que les plus curieux. (Bien qu'autonome, ce texte est toutefois le chapitre 1 de La communication (symbolique) pour les Nuls... à venir.)
1. Petite anthropologie de la totalité sociale.
Tu vois, le monde se divise en deux catégories : ceux qui se chargent de la société sacrée ou du monde sacré et ceux qui creusent dans la société profane ou le monde profane. La distance ou le décalage entre ces sociétés est le sens même de toute société — et ce sens est inégalement partagé par les individus et expliqué à ceux-ci.
Il s’agit d’abord d’une société hautement pure (sans mélange, sans dégradation, noble) et d’une autre société aboutée plus vulgaire et impure (quotidienne, mélangée, dégradée, ignoble). Ces deux sociétés, dans leurs diverses formes de vies, face-à-face et aboutées, affirment et accomplissent les catégories de l’invisible et du visible, du pur et de l’impur, de l’homme et de la femme, de l’immatériel et du matériel, de l’unique et du répétable, du caché et du dévoilé, du haut et du bas, de la droite et de la gauche, du devant et du derrière. Et, par conséquent, tout ce qui est comme or et comme plomb nomment et baptisent, organisent et garantissent la mentalité et le comportement des êtres invisibles (divinités, demi-dieux, olympiens, etc.) et visibles (sujets sociaux, animaux, objets, excréments, etc.). Ainsi ces deux mondes, dans leur diversité, c’est-à-dire dans leur séparation et leur organisation propre, définissent-ils et encadrent-ils les moindres goûts, dégoûts et couleurs à la fois sociaux-collectifs et psycho-individuels. Tout devient alors à la fois immédiatement psychoculturel, personnel, et idéologique, collectif.
Tout l’univers de ces sociétés face-à-face et aboutées — ou la totalité sociale — est ainsi qualifié, structuré, « primitivement » rationalisé par les catégories du visible et de l’invisible, c’est-à-dire des catégories intelligibles et appréhendables (quoiqu’illusoires), car socialement organisées et supportables par les individus. Ces mondes sont reliés par des rapports d’oppositions pragmatiques précisément définitoires. On (re)connaît bien alors le visible et l’invisible, et on a bien confiance en sa connaissance (quoiqu’illusoire).
Le monde sacré se divise lui-même en deux catégories : la société hautement pure ou le monde faste et la société hautement impure ou le monde néfaste. Toutes les divinités y symbolisent et y célèbrent les pulsions animales et sociales (humanisées). Et le monde profane se divise également en deux autres catégories : le « bien pratique » (contextuel) et le « mal pratique » (contextuel) assez directement issus des catégories du monde sacré, source invisible légitime (valable, autorisée) de l’organisation sociale des comportements visibles et des choses profanes.
2. Petite socio-anthropologie de la totalité sociale.
Le Gestell (Heidegger) ou l’arraisonnement (une certaine gauche parle d’« idéologie extractionniste »), c’est le management du monde profane et du sacré. Le management appartient aux sciences de la gestion du monde et du dépouillement du sacré. Il s’agit de demander au sacré et au monde profane de travailler pour la Raison instrumentale (d’abord) occidentale : c’est-à-dire de devenir raisonnable et sacrément marchandise. Le devenir-marchandise (Debord) du monde, c’est ça ! En d’autres termes, le management, c’est la mise en signes et en scène, et au boulot (c’est-à-dire en équipe nerveuse et en tension créative) du monde invisible (microphysique, physique nucléaire, aérospatiale, génétique, etc.) et du monde parfaitement visible, perçable, ouvert. Tu vois, le management divise le monde en deux catégories : ceux qui dépouillent le sacré de son ancienne toute-puissance et ceux qui creusent dans le monde profane (sciences de la gestion, force de dépouillement du sacré, signes, scènes, créativité, excitation, libido, etc.).
3. Petite sociologie de la totalité sociale.
Tu vois, le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont les moyens d’agir (consommation) et qui possèdent l’économie et l’argent véritable, le Capital en action (production, distribution, destruction), et ceux qui n’ont guère les moyens que de regarder l’économie et l’argent véritable en action, c’est-à-dire de regarder le Spectacle (Debord) de ceux qui ont les moyens. Parfois, ces derniers se chargent de les premiers plagier via une consommation approximative, artificielle, profane.
4. Petite sociologie sexuelle de la totalité sociale.
La vie sociosexuelle (Illouz) de toutes et tous en âge de procréer regorge d’intérêts bio-culturels ou psychophysiques (Gramsci) : des intérêts doubles, c’est-à-dire à la fois animalesques ou animaliques (Elias) et symboliques, singuliers et collectifs, selon les catégories sociales-morales du visible et de l’invisible*.
Dans la vie sociosexuelle, les individus se sentent et s’apprécient ou se rejettent violemment ; les hormones travaillent et la Culture présélectionne/détermine nos relations hormonales avec untel ou untelle. La Culture nous prive alors de certains et de certaines, et nous recommande d’autres sujets sociaux, sinon nous oblige (contrainte sociale-morale) à les fréquenter et à les préférer. Cette règle est la construction psychoculturelle des moindres groupes socio-sexuels et l’explication générale de la xénophobie culturelle. Les effets symboliques des intérêts animaliques et matériels (patrimoine) se font sentir ici aussi. Le biologique déjà présélectionné d’un groupe entretient la psychoculture de ce groupe, de cette famille, lignée ou dynastie, et la psychoculture (héritage) entretient le biologisme de cette famille (hérédité). Tout se répond, s’entretient et s’entraîne ; on nomme cela la reproduction sociale (Bourdieu), donc une reproduction symbolique (signes en scènes) et une reproduction animalique (bénéfice pour l’espèce).
Tu vois, le monde se divise en deux catégories : ceux qui se partagent le monde animalique et symbolique — ou jouissement —, et ceux qui creusent.
* Il y a une difficulté avec le nu occidental : le nu y est historiquement un signe sacré dans les scènes picturales sacrées et y est un signe profane dans les scènes sociales profanes. Assez rondement, on peut avancer ici que les mises en scène artistique (picturale, photographique, cinématographique, etc.) sont comme le commentaire de la mise en scène de la vie quotidienne ou de nos cérémonies de base. Ce commentaire est alors une mise en abîme (visuelle) de nos comportements et comme le premier degré de recul sur nous-mêmes, un dézoom artistique. Pour revenir au nu, le renversement économique et moral concernant la photographie de nu et l’industrie porno-photographique, puis porno-cinématographique, a chamboulé le nu historiquement sacré dans les scènes sacrées et profane dans les scènes profanes. Dans notre société, tout est devenu égalitarisme féministe, monde sacré, et « bordel mondial », monde profane.)
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5. La consommation de la société.
Sur Terre, qu’est-ce que l’humanité, sinon un phénomène essentiellement démographique et plutôt transformateur, besogneux ? Qu’existe-t-il concrètement sur Terre, sinon « l’adaptation longue pour la survie », que l’on nomme humainement développement de la population mondiale et du labeur humain ?... Mais, que signifie cette formule en italique, sinon la trajectoire ascensionnelle ou la mondialisation bio-culturelle du Travail dans l’Histoire, donc de l’économie mondiale, c’est-à-dire, in fine, la mondialisation bio-culturelle de la Conscience sur Terre ? Car l’animal politique (Aristote) ou l’être social (Marx) est un être-là fondamentalement saisi par ou plongé dans la politique (cité-Etat) et la culture (cité-monde) = un animal symbolique = un être bio-culturel = un phénomène psychophysique, c’est-à-dire un animal autoconscient, c’est-à-dire conscient du plaisir, de la douleur et de sa mort, de la finitude. Tous nos intérêts animaliques et symboliques s’y manifestent : se manifestent dans la procréation et le Travail, et leur critique radicale : l’érotisme (Bataille) ou l’érotisation/désaliénation du monde. (La procréation et le Travail sont des rapports (de force et de domination), quand l’érotisme et l’érotisation/désaliénation sont des relations humaines au monde.) Les trajectoires collectives liées, de la démographie et de l’économie mondiales, tournent autour de la conscience de notre discontinuité, de la mort collective et individuelle : tout tourne culturellement et sexuellement autour de cette conscience. Tout tourne autour de la vie sociosexuelle et de la vie érotique ou du jouissement de classes et des classes de jouissances. C’est-à-dire qu’il s’agit de se séparer du monde profane, donc tant de jouir de son corps que de son esprit, mais dans des contextes et des cérémonies de signes ou des scènes spécifiques valorisantes et valorisées. Ce qu’observe la sociologie du spectacle social ou la sociologie de la société du spectacle.
Dès lors, si ces prémisses sont vraies, l’humanité peut se définir par ses manières de procréer et de s’érotiser (jouir sans procréer) et de transformer brièvement la Nature, c’est-à-dire de transformer sa propre nature et celle de la Nature. Arraisonnement, dirait Heidegger, ou management de la totalité, disions-nous.
L’humanité se définirait donc essentiellement par ses habitudes culturelles-sexuelles et par sa force de travail transformatrice : des habitudes de reproduction et de plaisir physique + des habitudes de force de production, de distribution et de consommation de la société et du monde. Ainsi la Conscience d’une seule et d’un seul provient de la Conscience de toutes et de tous. Ainsi la Conscience collective est-elle le jouissement collectif de l’Univers. Et ainsi la conscience « simplement » singulière est-elle le produit du long travail historique de transformation des habitudes et des intérêts animaliques en scènes et habitudes et intérêts symboliques, c’est-à-dire les cérémonies de l’érotisme et de l’érotisation du monde, ce que je nomme : la consommation de la société.
L’amour fou est l’exact synthèse diversement culturelle des impératifs démographiques et du travail collectif ; seul l’érotisme exact est une critique du travail, de la famille et de la patrie ; sauf lorsque le capitalisme en fait un grand marché... Tu vois, le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont conscience de ce jouissement et de cette consommation suprême, et ceux qui creusent.
6. « If Trump loose, I am Fucked! »
Le monde se divise en deux catégories : ceux qui se demandent « Pourquoi encore mourir au XXIe siècle ? » et ceux qui meurent — sans trop pouvoir s’interroger. Pourquoi mourir ?, en effet, disputent les nouveaux Grands de la modernité tardive et particulièrement les milliardaires US de la Big Tech ?
Le 2 novembre 2024, sur France Culture, vers 11h00, j’entendais la célèbre animatrice parler de l’« angoisse existentielle » d’Elon Musk face à la finitude et j’entendais un calme intellectuel qualifier l’afrikaner naturalisé américain de « pragmatiste » ou de « pragmatique » pour parler de ses succès et de son rapport à la politique (Poutine/Trump) et de l’économie (« homme le plus riche du monde »). Elon Musk, un « pragmatiste » ? Que nenni : le physicien est un entrepreneur schumpetérien traditionnel, c’est-à-dire un opportuniste, et le « champ unifié » des techniques et des métiers californiens, dont il parle, est l’autre nom fashion de l’ancienne concentration verticale de la vieille économie et des économies d’échelle dont parlèrent Alvin Toffler (1970), Zbigniew Brzezinski (1971) et Nicholas Negroponte (1978), avant que, dans les années 90, Bill Clinton et Al Gore ne fissent verser 200 milliards de dollars pour le développement des industries étatsuniennes de l’Internet... Mais, depuis les années 40, on sait que l’Histoire s’est motorisée (Adorno, Horkheimer) ; rien de plus, sinon le nombre de milliardaires (2700 en 2023 ; et entre 2002 et 2022, la fortune des ultra-riches français a été multiplié par 6,7). Et la culture complautiste** ou « post-truth » de « l’hyper-vitesse », comme disent d’autres intellectuelles dans cette même émission, n’est jamais que la vieille propagande et les vieux concepts routiniers de manipulation (de nos propres préjugés/croyances) et d’influence par d’autres moyens. « Le rapport au réel devient de plus en plus lointain et... irréel » dit un autre expert, avant de parler de ses travaux récents en neuro-économie. Je souriais alors en pensant à la toute première thèse de La société du Spectacle éditée en 1967 : « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. » (À la toute fin de cette émission, une des participants de l’émission parla même du livre de Guy Debord.) Les carottes sont cuites.
** Le complotisme est, avant d’être une idéologie offensive, une idéologie de défense de certains intérêts réels (survie) et symboliques (croyances anxieuses, partage de valeurs, socialisation entre pairs) contre d’autres intérêts plutôt lointains, mercantiles et géopolitiques. La Raison des Lumières n’entre pas totalement en jeu dans les phénomènes sociohistoriques des complots et du méga-complot (mondial) : la foi ou les croyances s’associent plutôt à une critique autistique ou panique ou paranoïaque. Car « It’s jungle out there. » (Chanson issue du générique de la série MONK.) Si ce n’est guère rationnel (esprit de la science), le message est toutefois historiquement logique : l’exploitation abusive du monde et des richesses et l’inégale distribution du pouvoir existent bel et bien, mais analysé de manière oblique (jalousie, ironie, humour) et hégélo-paranoïaque (sens destinal de l’Histoire, téléologie). Voilà pourquoi j’entends toujours ce mot comme je l’écris : COMPLAUTISME.
* Pièce-jointe : Tract original, en l’état, des Editions Idéaux Carrés de 1998. Titre : HISTOIRES DE TRACTS. DEUX CATEGORIES.
« Tu vois, le monde se divise en deux catégories. Ceux qui ont un pistolet chargé, et ceux qui creusent. Toi... tu creuses... »
(Sergio Leone, 1968, Le Bon, La Brute et le Truand.)
“ Le monde se divise en deux catégories ”.
1. “ Ceux qui ont un pistolet chargé ” (et le font savoir :)
1.1. Les militaires, policiers, gendarmes et terroristes, les chasseurs et collectionneurs.
1.1.1. Ceux qui sont propriétaires des moyens de fabriquer le pistolet et la pelle. (Les politiques & les banquiers)
1.1.2. Ceux qui pensent l’ordre de tenir le pistolet chargé (les politiciens)
1.1.3. Ceux qui donnent l’ordre de tenir le pistolet chargé (les officiers).
1.1.5. Ceux qui exécutent les ordres (cf. 2.2 ).
1.2. Les pirates, mercenaires et bandits.
1.3. Les révoltés, régicides et révolutionnaires.
2. Et ceux qui creusent ( qui sont :)
2.1. Ceux qui le font contraints (les aliénés, les prisonniers, les Chinois).
2.1.1. Ceux qui ont pensé le trou et la pelle (les inventeurs de religion, les savants).
2.1.2. Ceux qui ont appris à penser le trou et la pelle (les techniciens, les informaticiens).
2.2. Ceux qui le font pour leur maître (les mammifères, les domestiques en livrée ou non, le salariat élargi).
2.2.1. Ceux qui ont fabriqué la pelle pour creuser (le prolétaire, l’affamé de tous les pays).
2.3. Ceux qui le font dans leur intérêt (les esclaves free-lance, les professions libérales).
2.3.1 Ceux qui ont dit qu’il fallait penser le trou et la pelle, que c’était bon pour “ la richesse des nations. ” (les philosophes anglo-saxons).
Et vous, où en êtes-vous ?
Distribué de façon mécanique et aléatoire à 1000 exemplaires, le samedi 17 Avril 1998 à Nantes, lors de la manifestation de soutien aux déboutés du Droit d’Asile de Loire Atlantique. RENSEIGNEZ-VOUS !