LE NOTAIRE ET SES COLLABORATEURS Partie 2 Le clerc de notaire

Le clerc de notaire :

Qu’il soit chevronné ou débutant, diplômé notaire ou 1er clerc ou encore d’un BTS, c’est avant tout un juriste, formé à traduire les faits en termes de droit. C’est la cheville ouvrière d’une étude et quasi systématiquement la personne qui va traiter votre dossier (ici j’emploie ce terme à dessein car vous aurez remarqué que les clercs « trop » proches de leurs clients sont mal vus et se font taper sur les doigts).

Vous vous souvenez certainement de ce que je vous disais lorsque je vous décrivais la journée, stressante d’un clerc qui doit être disponible pour tous ses clients sans distinction et quel que soit le mode de communication. Eh bien, dans les faits, c’est souvent pire !

Dans une organisation traditionnelle d’étude, voici, a minima, les tâches d’un clerc « aux ventes » :

-         Rédiger les actes qu’il s’agisse d’un avant-contrat (certainement une promesse de vente, mais nous verrons cela ultérieurement) ou d’un acte de vente ;

-         À l’opposé, demander toutes les pièces nécessaires à la rédaction dudit acte (ce qui suppose d’être tranquille plus de 2 minutes) ;

-         Bien évidemment, s’assurer que toutes pièces demandées lui soient revenues à temps et qu’elles soient conformes à sa demande (donc complète, valide et confirmant les informations déjà en sa possession) ;

-         Vérifier la centaine de « points de contrôle » que représente les pièces du dossier dans chaque acte ET la cohérence entre chacune d’entre elles, histoire de ne pas affirmer une chose et son contraire dans l’acte (ça fait mauvais genre et c’est déplacé, n’est-ce pas ?) ;

-         Répondre aux mails des clients, confrères, administrations, professionnels et j’en passe ;

-         Répondre aux coups de téléphone des mêmes acteurs avec une nette augmentation du nombre de clients dans ce mode de communication ;

-         Répondre aux visites parfois intempestives des clients ou être présent lors des rendez-vous pris avec ces mêmes clients. Ces rendez-vous se tiennent à majoritairement à l’étude mais parfois, il faut aussi se déplacer chez un confrère. Le temps du rendez-vous et celui de l’éventuel aller-retour, les appels téléphoniques et mails (parfois urgents), ne s’arrêtent pas et votre organisation vole en éclats quasi systématiquement ;

-         Participer aux réunions de service lorsqu’elles existent ;

-         Être présent lors de la fameuse distribution des dossiers (ou essayer de se planquer lorsque l’on est vraiment charrette) ;

-         Se former auprès des instances du notariat ;

-         Lire et encore lire des articles, de la jurisprudence, des lois et des décrets pour tâcher de les appliquer au mieux des intérêts de ses clients…

A être partout, on finit par être nulle part et l’organisation actuelle des études tend à faire des clercs « couteaux suisses » qui utilisent beaucoup d’outils, sans pouvoir se préoccuper des conséquences.

Car elles sont nombreuses ces conséquences, et d’abord pour les clercs eux-mêmes qui se disent « je n’ai pas fait 5 à 7 ans d’étude de droit pour coller des timbres » alors que pendant ce même temps, ils s’interrogent sur éventuelle annexion de parties communes (je vous expliquerai en détail ce que c’est, mais retenez que c’est très mauvais tant à l’achat qu’à la vente).

Pour les clients aussi, car ils ne peuvent comprendre les contraintes de temps surtout que subissent les clercs au quotidien et que la qualité du service rendu en est dégradé.

Pour les professionnels enfin et je pense principalement aux courtiers en prêt immobilier et agents immobiliers, puisque même s’ils avaient l’idée d’interroger les clercs de notaire pour leur expertise, ces derniers n’ont quasiment jamais le temps de se poser pour y réfléchir.

Le constat est accablant, un clerc passe son temps, perd son temps à courir après le temps et éteindre les incendies…et pendant ce temps-là, d’autre foyers se préparent.

Personnellement, j’ai longtemps joué les pompiers de service et je vous avoue que c’est grisant et que cela a flatté mon égo pendant des années. Le revers de la médaille c’est que j’ai compensé et surcompensé un système qui a tendance à s’auto-entretenir et que j’en ai payé le prix à tous niveaux : physique, psychologique, nerveux, familial (je partais souvent avant que mes enfants soient levés et rentrais bien après qu’ils se soient couchés).

J’ai vraiment été aveugle pendant longtemps et n’ai pas pu ou pas voulu voir dans quel engrenage infernal cela m’avait entraîné. Certains de mes patrons ont bien poussé dans ce sens, tant que cela servait leurs intérêts tout en étant parfois sacrifié sur l’autel lorsque cela tournait au vinaigre car certaines décisions relèvent toujours des notaires et, moi qui ai souvent franchi les lignes, celle-ci j’ai tâché de la respecter.

A cette époque, j’ai hérité de surnoms flatteurs comme « Capitaine Flamme » (puisqu’on m’appelait quand il n’y avait plus aucun espoir), ou « Superman », allez savoir pourquoi tant cela me semblait « normal » et naturel ou bien « L’agence tous risques » puisque j’aimais citer dans le texte le personnage d’Hannibal « J’adore quand un plan se déroule sans accroc ».

Des histoires et des anecdotes, j’en aurais beaucoup à vous partager, mais celle qui pour moi a été l’extrême que ce que j’ai vécu consiste en un coup de fil au terme duquel j’ai vomi mes tripes et n’ai pu travailler de l’après-midi.

Afin de respecter le secret professionnel, je ne citerai aucun nom, lieu ou date, de plus je vais aussi modifier certains éléments afin qu’il soit impossible que l’on puisse retrouver les protagonistes de mes anecdotes. De plus, pour avoir échangé avec d’autres clercs, j’ai récolté au fil des années des histoires qui ne me sont pas arrivées personnellement mais m’ont été rapportées par la personne qui les avaient vécues (toujours sous le sceau du secret professionnel).

Ce jour-là, ma standardiste (j’ai toujours eu un bon rapport avec les « petits », les « sans grade » des études car j’ai toujours considéré que sans eux, je n’aurais jamais réussi à faire mon travail comme j’ai pu le faire) m’appelle d’une voix blanche et m’indique qu’il faut absolument que je prenne l’appel, comme c’est la douceur et la gentillesse incarnées, je tique.

Le nom du client m’est inconnu et je sais juste que c’est une urgence. Elle sait pouvoir compter sur moi et quelque part, je suis tout autant agacé que flatté qu’elle ait pensé à moi (le « pourquoi moi ? » mâtiné d’une joie perverse à se savoir puissant).

Je déchante dans les dix secondes de la conversation ! Un type me hurle littéralement dessus et me menace de débarquer à l’étude et de « tuer tout le monde ». C’est l’un de mes points forts, je ne cède pas à la panique lorsque l’on m’agresse et au contraire, trouve une forme de calme intérieur qui me permet de contre attaquer immédiatement. Passé la surprise, je lui explique d’une voix froide que c’est le meilleur moyen pour lui de se retrouver en prison à subir les derniers outrages pendant au moins les vingt prochaines années.

En effet, il faut savoir que les notaires sont des officiers publics soumis à de fortes contraintes, en contrepartie l’État leur octroie une protection particulière. C’est ce qu’on appelle la criminalisation de la peine : le délit est qualifié de crime donc est jugé en cour d’assise et la peine plancher est multipliée par 1,5, alors imaginez un meurtre ou un assassinat d’un notaire.

De plus, certains bureaux de notaires possèdent un « bouton rouge » relié directement au commissariat de police qui dépêche une équipe en quelques minutes.

Un partout…cela me laisse le temps de respirer un grand coup avant d’essayer de reprendre la main sur la conversation. Mais il est tellement sous pression que je n’en ai pas l’occasion car il m’annonce qu’il est armé, dans son magasin et qu’il menace un huissier de justice venu lui délivrer l’acte de saisie de ses biens. Pour bien me faire comprendre qu’il ne plaisante pas, il manipule son fusil de chasse à double canon et je reconnais alors le bruit des cartouches introduites suivi du bruit caractéristique du canon que l’on referme et du chien que l’on arme.

Ma collègue, qui se trouve juste en face de moi me voit blêmir et s’inquiète car elle sait qu’il en faut pour m’impressionner.

Je vous passe les détails de ma négociation avec lui mais je comprends que cet homme a ouvert un commerce, lequel n’a pas généré autant de bénéfice qu’il espérait. Prévoyant et courageux, il vient de vendre un appartement afin de pouvoir honorer ses dettes. Le hic, c’est que la personne en charge de gérer la vente à l’étude est partie car c’était une intérimaire (l’ayant moi-même été, j’ai normalement beaucoup d’admiration pour ces personnes hyper adaptables et opérationnelles dans des temps records) et dont la mission a pris fin. Elle est partie en ayant « juste » oublié de verser le produit de la vente sur le compte de ce client et cela fait déjà trois semaines.

Je demande à parler à l’huissier pour lui expliquer que les fonds sont à l’étude et que par suite de notre erreur, ce client n’a pas reçu l’argent à temps pour régler ses dettes. Afin qu’il sauve sa vie, je l’implore de partir tout de suite, lui donne mon nom et en échange de quoi, je prends personnellement l’entière responsabilité de la suite des événements.

Après plus d’une heure au téléphone, j’obtiens que le client se rende à l’étude, seul et sans arme afin de venir chercher le chèque lui revenant. Je me souviens encore que je tenais le chèque entre mes mains tremblantes et lui confirmais le montant et l’ordre.

Vomi et fin de l’histoire…

Pas vraiment, je sais que cet épisode m’a laissé des marques profondes tant dans ma psyché que dans la confiance que je faisais « au système ».

Je vais alors devenir un obsédé de l’organisation, de la vérification en amont et vais tâcher d’avoir un ou deux coups d’avance car plus jamais je ne veux vivre cela à nouveau. J’ai eu la chance d’avoir une cliente coach en gestion du temps, dont je suis devenu le client et en une seule séance, elle m’a ouvert les yeux ! Je profite de ces lignes pour la remercier du fonds du cœur car sans elle, je crois bien que je serai mort à la tâche.

Le travail à ce point de ma vie c’est gérer les urgences et le tout-venant dans les horaires de bureau et à partir de 18 heures, horaire supposé être la fin de ma journée inscrit sur mon contrat de travail, je peux enfin rédiger des actes. Je marche sur la tête ! S’ensuit une grosse phase de remise en cause de mes priorités et de mon organisation personnelle.

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