Le nucléaire est devenu impossible à financer

Le nucléaire est devenu impossible à financer

EDF doit décider jeudi 12 mai si elle s’engage dans la construction de deux réacteurs EPR en Angleterre. Mais ce projet n’a séduit aucun investisseur, laissant à EDF seule la charge financière. Cette situation est, pour l’auteur de cette tribune, symptomatique du refus des marchés financiers d’investir dans la filière.

David Dornbusch est président de l’ONG Cleantuesday dédiée aux écotechnologies et ancien chef de projet dans le nucléaire (CEA , Areva).


Le vrai sujet derrière les convulsions qui agitent EDF et dont la plus visible a été la démission de son directeur financier est simple : aujourd’hui, le nucléaire est «infinançable». Refuser cet état de fait peut avoir des conséquences dramatiques pour la France à moyen terme.

Rappelons les éléments en jeu à Hinkley Point, lieu supposé de construction de deux réacteurs nucléaires type EPR au Royaume-Uni : le gouvernement britannique a accordé un contrat extrêmement avantageux à EDF avec un «contrat de rachat d’électricité» à plus de 100 € du MWh, trois fois le prix du marché actuel, et ce pour plus de vingt ans. 

Et malgré ce contrat hors de toutes les règles de marché chères à nos amis anglais, aucun investisseur international n’a accepté de participer au projet. La règle générale pour le financement des moyennes et grandes installations dans le monde aujourd’hui est le mécanisme dit de «financement de projet» : les investisseurs ne mettent qu’une partie réduite de fonds propres, de l’ordre de 20 à 30%, leur garantissant la propriété de l’ouvrage, et les banques acceptent de prêter le reste sous forme de dette remboursable, considérant que les risques sont suffisamment limités et qu’elles ont la garantie d’être remboursées. Aujourd’hui, c’est par exemple comme cela que des milliers de projets solaires et éoliens sont financés dans le monde, sans aucune difficulté.

On parle ici de 30 ou 40 fois 12 milliards d’euros 

Dans le cas d’Hinkley Point, rien de tout cela. Aucune banque n’accepte de prêter vu les risques du projet. Les investisseurs se retrouvent donc à devoir engager 100% de fonds propres, soit en l’occurrence des montants astronomiques. Et, circonstance aggravante, aucun investisseur privé occidental n’accepte de fournir une partie des fonds propres. EDF se retrouve donc à en fournir l’ensemble et n’obtient qu’un concours d’argent étatique chinois dans des conditions léonines.

Tout ceci ne doit conduire qu’à une seule conclusion : même avec une garantie de l’État, même avec un contrat ultrafavorable, le nucléaire est infinançable sur les marchés internationaux aujourd’hui. Les quelques réacteurs en construction dans le monde — Chine, Russie, Iran — le sont avec de l’argent étatique.

La conséquence doit être tirée rapidement. D’ici quinze ans maximum, la France devrait commencer à renouveler son parc nucléaire actuel qui dépassera les 50 ans. Quinze ans dans le nucléaire, c’est très peu. Le projet d’EPR de Flamanville dépassera cette durée, comme le projet OL3 en Finlande. Vu le contexte réglementaire, la guérilla juridique et sociale (pensons à Notre-Dame-des-Landes) auxquels ces projets seront soumis, c’est dès demain, peut être dès le lendemain de la présidentielle de 2017, que ces projets devraient être lancés.

On parle ici de 30 ou 40 fois 12 milliards d’euros, de 300 à 500 milliards d’euros. L’État français ne les a pas. EDF vacille sous des montants dix fois inférieurs. Et, on vient de le voir, les marchés internationaux ne prêteront pas un centime.

Disons le très directement, si on refuse d’admettre cette vérité, on va à la catastrophe. Il faut très vite changer radicalement de discours et de stratégie et lancer un EnergieWende à la française.

La filière nucléaire française est dans une impasse. La stratégie technique de montée en d'échelle visant la réduction des coûts se heurte aux impératifs de la gestion des risques maximaux (Tchernobyl, Fukushima,..) et à ses coûts de long terme (déchets). Les ressources de R&D pour éviter cette impasse (filière de Rubia, ..) sont mobilisées sur le projet ITER fondé, lui, sur un double pari très improbable : filière tokamak et marché énergétique à 50 ans. Avec l'émergence des énergies alternatives la question n'est plus la rareté de l'énergie mais son coût total efficace ( direct + ,environnemental et mise en oeuvre). Il faut savoir se couper un bras pour éviter d'entraîner l'ensemble de la filière énergétique française (production, réseau, distribution)

David, Merci pour ce post dont les prémisses (ultra-)libérales appliquées à la filière nucléaire pourraient surprendre ceux qui te connaissent... et les autres ;-)

Luc Traonvouez

consultant at Architects and individuals

8 ans

les centrales nucléaires ont un rendement nominal au mieux de 30%, et en réalité probablement de 20% pour une année moyenne puisque la demande varie beaucoup sur une journée et entre saisons. Que devient le reste? en tout cas on est très proche du rendement d'une cellule photovoltaïque!!

fabrice Arroyo

Program Director of the Advanced Master (MS) in Energy Marketing & Management chez GEM-Grenoble ecole de Management

8 ans

Les "marchés" apporteront certainement de la dette si le risque projet/EPR diminue, alors qu'il est maximal actuellement. Et il ne pourra diminuer qu'une fois éventuellement passée une période d'exploitation sans problème majeur rencontré, sur une période jugée suffisante. EdF y parviendra-t-elle ? (peut-être d'abord sur le 1° EPR construit en Chine...?), et à quelle échéance, coûts...? c'est la question clef à mon avis, et tout l'enjeu des "prototypes" d'EPR actuels, dont fera certainement encore partie le ou les deux réacteurs en projet sur Hinkley point. Mais sans dette, un renouvellement d'ampleur du parc nucléaire français n'est effectivement certainement pas envisageable.

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