Le passage d’un Business Plan déterministe à une évaluation quantitative du risque financier dans les investissements en actifs réels

Le passage d’un Business Plan déterministe à une évaluation quantitative du risque financier dans les investissements en actifs réels

Dans l'article intitulé : « Le calcul de la rentabilité financière des projets », je rappelle que pour des projets d’investissement stratégiques, le point de départ d’estimation du risque est le calcul de la VAN (valeur actuelle nette) ou le TRI (taux de rentabilité interne). Ce calcul peut se faire sur plusieurs scénarios, en général trois (optimiste, moyen et pessimiste).

Toutefois, cette approche ne permet pas de répondre à une question importante, à savoir : quelle est la probabilité que mon projet soit un succès ?

Rappelons que financièrement parlant, le projet est un succès si sa VAN est positive (ou son TRI est supérieur au cout d’opportunité du capital, le WACC).

Pour répondre à la question relative à la probabilité de succès, on doit avoir recours à des simulations de type Monte-Carlo.

La méthode de Monte-Carlo est utilisée dans plusieurs domaines scientifiques, notamment lorsque le problème est trop complexe pour qu'une résolution par voie purement analytique soit envisageable, ou est trop volumineux (en particulier, contient un très grand nombre de variables) pour que les techniques d'approximation numérique puissent conduire à un résultat précis en un temps acceptable.

Elle commence d’abord par définir l’éventail de valeurs susceptibles d'être prises par chaque paramètre du modèle ; ensuite, on attribue à chaque valeur une probabilité de réalisation ; puis, on génère des nombres aléatoires situés entre 0 et 1 et simulant ces probabilités.

En générant autant de nombres aléatoires qu'il en faut pour obtenir une réalisation possible de chaque paramètre, on construit une réalisation possible de la fonction simulée.

Enfin, en répétant ce procédé un grand nombre de fois (ce qui est simple en utilisant un ordinateur), la simulation permet d'obtenir un échantillonnage représentatif de la fonction analysée, donc d'en connaître la distribution de probabilités.

Il s’ensuit que, premièrement, la méthode est tributaire d'une modélisation. Ce qui n’est pas un problème puisque nous disposons d’un modèle déterministe de calcul de la VAN.

Deuxièmement, la simulation dépend de l'existence de probabilités à l'intérieur du modèle, indépendamment de la méthode utilisée pour trouver ces probabilités.

Concernant ce second point, il est clair que les probabilités purement « objectives » ne sont pas toujours disponibles dans la pratique. Aussi, on est souvent amené à prendre des probabilités subjectives, une sorte de degré de vraisemblance qui peut être défini comme "la probabilité attribuée à un événement E par un individu I disposant d'un ensemble d'informations K, rendant quantitative la notion qualitative de vraisemblance de E pour I".

 

David Hertz (du cabinet McKinsey & Co) a été le premier à proposer la méthode Monte-Carlo pour l’évaluation financière des investissements (dans un article publié par la « Harvard Business Review » en 1979).

Les incertitudes affectant le succès d'un projet sont quantifiés à travers des distributions de probabilités.

On crée ensuite un grand nombre de scénarios pendant la simulation à partir d'échantillons de ces probabilités, puis on évalue l'issue du projet en fonction de chacun des scénarios. Grâce à cette analyse, on obtient une distribution de la probabilité de la VAN (ou du taux de rendement interne). Celle-ci nous fournit des informations sur la valeur anticipée, l'éventail des résultats possibles et les risques du projet. Si par exemple, dans 70 % des cas, la VAN est positive, on en déduit que le projet a 70 % de chance d’être rentable.

Les hypothèses et les paramètres clé du modèle d’Hertz

Le pari d’Hertz était de saisir quantitativement le risque d'investissement et de permettre au décideur de le visualiser.

Pour cela, il part des distributions de probabilité de chacun des paramètres de calcul des cash-flows de l’investissement. Si ces probabilités ne sont pas observables dans la nature, un modèle subjectif de distribution de probabilité est demandé au décideur.

Les probabilités subjectives s'obtiennent, entre autres, au travers de questionnaires, de prises de position individuelles ou collectives (groupes de travail) ou d'analyses de marché, et s'appuient "non seulement sur des fréquences expérimentales mais aussi sur des facteurs psychologiques tels que l'expérience passée du sujet, son intuition, ses sentiments ou toute autre information, même non quantitative".

Dans sa présentation initiale, Hertz propose neuf paramètres afin de cerner un projet d'investissement qu’il classe en trois catégories :

Catégorie 1 : Analyse du marché

·      Paramètre 1 : Le volume du marché exprimé en unités physiques

·      Paramètre 2 : Le taux de croissance annuel de ce marché

·      Paramètre 3 : La part de marché qui sera détenue par l'entreprise

·      Paramètre 4 : Le prix de vente unitaire


Catégorie 2 : Analyse des coûts opérationnels (OPEX)

·      Paramètre 5 : L’ensemble des dépenses opérationnelles à caractère fixe

·      Paramètre 6 : L’ensemble des dépenses opérationnelles à caractère variable

 

Catégorie 3 : Analyse des coûts d'investissement

·      Paramètre 7 : Les dépenses en capital (CAPEX)

·      Paramètre 8 : La durée de vie de l'investissement

·      Paramètre 9 : La valeur résiduelle de l'investissement

 De facto, ces paramètres se retrouvent souvent, en partie ou en totalité, dans les autres méthodes de calcul des cash-flows. Il est à remarquer que ce n'est pas dans le choix des paramètres que réside le principal apport du modèle mais plutôt dans la manière d'en estimer les valeurs. De plus, Hertz admet que la liste ci-dessus, qu'il qualifie de « proposition 1 », peut être complétée ou modifiée en fonction des besoins spécifiques de chaque projet. Donc, rien n’empêche de l’adapter à la situation qui se présente.

Rien n’empêche aussi de figer certains paramètres, par exemple les dépenses en capital (CAPEX) si l’on sait que ce coût est quasiment fixe et ne présente donc pas de caractère aléatoire.

Une des caractéristiques importantes du modèle d’Hertz, l'indépendance des paramètres, représente un des points les plus faibles de sa proposition initiale. Dans la vie réelle, une certaine dépendance existe non seulement entre les différents paramètres des différentes catégories, mais aussi entre les valeurs que peuvent prendre un même paramètre d’une période à l’autre (c’est-à-dire dans le temps). Par exemple, il est clair qu’un tarif à l’instant t peut tout à fait être, dans certaines situations, imposé en partie par les valeurs qu’il avait prises pendant les périodes précédentes (t-1, t-2, etc.). De même, les coûts opérationnels variables (OPEX variable) ne sont en général pas complètement indépendants du chiffre d’affaire réalisé.

 Pour résoudre le problème, Hertz propose de déterminer une valeur possible de la variable indépendante puis, en fonction de cette valeur, déterminer une distribution de probabilités spécifique de la variable dépendante afin de respecter les interdépendances.

Je pense, une l’on peut dans certains cas réduire le nombre de paramètres, puisque certains seront fortement déduit des autres. C’est là d’ailleurs qu’intervient en partie un autre outil que j’ai évoqué dans mon premier article, à savoir : la réalisation d’arbres de décisions.

Les outputs du modèle d’ Hertz

La méthode d’Hertz permet la construction d'une distribution de probabilités complète du critère de décision (la VAN ou le TRI). Présentée sous forme normale ou cumulative, cette courbe représente en fait le profil de risque du projet d'investissement et répond par là à l'objectif premier du modèle, à savoir l'amélioration de la connaissance de la structure du risque.

Le modèle permet aussi de fournir un ensemble d’outputs complémentaires qui aident à compléter et expliciter la courbe de probabilités du critère de décision au travers d'indicateurs spécifiques du risque. Hertz accorde une grande importance à ces outputs complémentaires auxquels il donne le nom de "selected statistics". C'est ainsi qu'il prône la prise en compte de la moyenne et de l'écart-type de la distribution, la première représentant la valeur la plus probable que prendra le critère de décision lors de la réalisation de l'investissement, le second indiquant quant à lui la probabilité que ce critère s'écarte de cette moyenne. De plus, Hertz préconise également l'évaluation de la probabilité de perte du projet et de la valeur absolue de cette perte, ce dernier facteur traduisant bien la volonté de cerner au maximum le risque du projet.

La mise en œuvre du modèle d’ Hertz

Le premier pas de l'estimation des entrées dans le modèle d’Hertz consiste à oublier le principe d'estimation unique, du type : « le prix de vente unitaire de notre produit sera de tant à l’année N » ou « notre part de marché sera de tant à l’année N».

Au lieu de cela, Hertz propose de déterminer une courbe de probabilités de l'entrée au moyen de la détermination de trois points de cette courbe : la moyenne, le « range » et une idée de distribution des différentes valeurs.

Afin de fixer valeur et probabilité des trois points (min, max, moyenne), on fait appel à la notion de probabilités subjectives au travers d’un questionnaire. Ce questionnaire peut être explicite, c'est-à-dire demander directement au « spécialiste » d'estimer aussi bien la valeur que prendra une variable que la probabilité que cette valeur sera atteinte ; ou implicite, en ce sens que les questions posées ne mentionnent pas expressément la notion de probabilités, mais nous permettent de les déduire.

Ensuite, Hertz propose la construction d'une distribution continue, linéaire simple pour les entrées.

Une fois les distributions de probabilité obtenues, il devient possible de déterminer une valeur aléatoire par variable. Il suffit d’utiliser un générateur de nombres aléatoires qui permet de choisir un nombre au hasard entre 0 et 1. Ce nombre sera utilisé comme l'équivalent d'une probabilité tirée au hasard concernant la variable analysée. Ce qui permettra le « bombardement » depuis l'ordonnée de la distribution de probabilités cumulative inversée d'une variable. Le point ainsi défini autorise à son tour la lecture de la valeur correspondante de la variable au niveau de l'abscisse. Grâce à ce principe simple de « bombardement » via un nombre aléatoire, une valeur possible de la variable analysée a été déterminée en tenant compte de sa probabilité de survenance.

Appliquée de manière similaire à l'ensemble des neuf paramètres du modèle, la simulation de Monte-Carlo permet d'obtenir une valeur possible pour chacune d'entre elles. Ensuite, en combinant l'ensemble des valeurs attribuées aux variables directes, le cash flow du projet pour une période donnée peut être déterminé. Après prise en considération d'une valeur aléatoire possible de la variable indirecte « durée de vie de l'investissement », un cash flow possible du projet pour chaque période peut être déterminé.

Ce faisant, il devient possible de classer les valeurs du critère de décision (VAN, TRI) et de créer un histogramme puis d’en dériver une distribution de probabilités continue.

 

La représentation du critère de décision peut se faire sous la forme cumulative inversée ou sous la forme non cumulée, Hertz présentant les deux variantes au niveau de l'output mais avouant tout de même un certain penchant pour la représentation cumulative qui offre une meilleure clarté.

La méthode permet aussi de sortir tout un ensemble d’informations complémentaires telles que la moyenne, l'écart-type, la probabilité de perte et la valeur absolue de cette perte. Concrètement, cette méthode permettra des affirmations du type « étant données les hypothèses prises, il y N % de probabilité que la VAN soit supérieure à X ».

Pourquoi le modèle d’ Hertz est intéressant ?

La méthode de simulation présentée ci-dessus calcule une valeur possible du critère de décision (VAN, TRI) en fonction de valeurs possibles des variables de base du modèle (part de marché, prix, etc.). Elle équivaut en fait au calcul d'un critère de décision au moyen d'une méthode traditionnelle, à l'exception de la prise en considération des probabilités au niveau des inputs de base.

C'est dans cette seule exception que résident tous des avantages du modèle d’Hertz. En effet, basées sur l'estimation ponctuelle et certaine des variables de base, les méthodes traditionnelles de calcul d'investissement les combinent en admettant implicitement qu'elles vont toutes se réaliser conjointement, donc que la probabilité de survenance de chacune d'entre elles est de 100%. Or, dans la pratique, même si l’on choisit pour chaque variable la valeur Vi dont la probabilité de réalisation est la plus élevée, disons par exemple 70%, et qu’il y a neuf variables indépendantes, la probabilité d’avoir l’ensemble de ces neufs variables conjointement réalisées est 0,7 puissance 9, soit 4 % !

Comme indiqué précédemment, une des limitations apparentes du modèle de Hertz est la prise en compte de l’interdépendance de certaines variables d’entrée. Plusieurs auteurs se sont efforcés de trouver la méthode appropriée qui permette de prendre en compte les interdépendances des variables hertziennes sans pour autant alourdir le modèle au point de le rendre inutilisable.

 Toutefois, il ressort de l’ensemble des travaux réalisés que même si la réalité des interdépendances n'est pas à mettre en doute, la prise en compte détaillée de celles-ci ne modifie que très peu, voire pas du tout le profil de risque du critère de décision final du projet analysé.

C’est pourquoi, si la prise en compte de dépendances doit pouvoir être réalisée dans le cadre d'un modèle de type hertzien, celle-ci doit se limiter à non avis aux interdépendances fondamentales pouvant et laisser de côté les interdépendances mineures, dont la prise en considération ne modifierait pas réellement la distribution finale du critère de décision.

Dire si un projet d'investissement va être rentable ou calculer la valeur future d'une entreprise relève de la même logique dans a mesure où il faut passer par une actualisation des flux de trésorerie futurs à l'échéance et la valeur résiduelle de l'actif créé. Je n'ai jamais cru (sauf cas très particuliers et très rares, par exemple certaines concessions ou partenariats privé-public) que les modèles déterministes puissent suffire, car, comme on le vit maintenant, l'incertitude est intrinsèque au futur et se trouve très souvent masquée dans les hypothèses d'entrée. Seule une approche probabiliste de type Monte-Carlo est sérieuse. Et pourtant les entreprises ont rarement recours à cette méthode. Une approche probabiliste donne uniquement la probabilité de succès d'un projet ou la probabilité que la valeur d'une entreprise soit à un niveau donnée à une échéance donnée. Donc, quand on réalise un business plan, je m'attends à ce qu'on dise (et c'est ce que je fais) quelque chose du type : il y a 70 % de probabilité que le projet soit rentable et non pas que ce projet est rentable et voici son ROI futur !

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