rétrospective : LE PENTATHLON DE LA BLESSURE
-------------- Article écrit en septembre 2015 --------------
Ah la blessure… un mal bien (trop ?) connu des sportifs. On a beau toucher du bois– en moyenne l’équivalent d’une forêt amazonienne par année d’entraînement – rares sont ceux qui y échappent.
Après avoir lu quantités d’articles sur le sujet, écouté longuement des récits d’expériences d’autres sportifs, à mon tour de vous en livrer une analyse toute personnelle en 5 phases (la blessure serait elle pentathlète ?).
C’est aussi une sorte de thérapie car rien ne vaut des mots pour concrétiser une idée.
PHASE 1 : la douleur
Aïe … une douleur vive se fait ressentir. Je sens bien que ça n’est pas normal, ma tête veut continuer mais mon corps me dit de tout arrêter. JE M’ARRÊTE.
Cela marquera le début de huit mois de galère mais ça, je ne le sais pas encore. C’est aussi l’ouverture du bal des médecins qui chaque semaine valsent au rythme d’un disque rayé : « on attend cette semaine et on voit la semaine prochaine »* mais moi je veux du concret, et surtout je veux pouvoir répondre à LA question que tout le monde se pose, que tout le monde ME pose, la plus ennuyante, la plus énervante, celle à laquelle personne ne peut jamais répondre : « Alors quand est-ce que tu vas pouvoir reprendre ? » …. Ahh ça ….
Donc pendant 5 mois, je « traîne » sur -mon lieu d’entrainement : l’INSEP. Ce qu’il y a de génial dans le pentathlon, c’est la diversité du sport qui permet de toujours pouvoir s’entrainer dans une épreuve quelle que soit la blessure. Je suis blessée au genou donc Ô joie, je peux toujours nager (ironie de l’histoire car les gens qui me connaissent savent que la natation n’est pas ma discipline de prédilection) donc je nage, je nage, je nage mais mes muscles des jambes fondent comme neige au soleil et au fond, je me dis tout ce travail pour rien … quel gâchis ! En plus je nage mais je ne progresse même pas. Pourquoi ? la tête n’y est pas. Dans ces moments là, on se rend bien compte que le cerveau est aussi important que les jambes. Mais double projet oblige, j’occupe mon temps en préparant mes concours pour une école de commerce et je passe de longues heures chez le kiné qui, désemparé, ne sait plus quels soins me proposer. Alors on teste : ventouse, cryo, chaud, froid, patchs divers , massages, ondes de chocs courtes longues moyennes, proprioception, musculation, repos, ostéopathe … qui sait, la panacée se trouve peut être quelque part par là. **
Pendant ce temps-là, les copines à l’entrainement commencent à se préparer pour les grands championnats, mes objectifs annuels ! J’ai toujours l’espoir d’y participer mais à mesure que les semaines passent, je suis bien forcée de voir la réalité.
Je suis "droguée" au sport et je ressens un manque, je ne supporte pas d’entendre mes amies se plaindre de leur entraînement, je me rêve à leur place -littéralement- la nuit, je rêve que je cours. Mon cœur est toujours à l’entraînement, je me sens seule et incomprise.
*attention je ne blâme pas les médecins que j’ai pu rencontrer au cours de ma blessure. Je constate simplement que la médecine est un terrain bien compliqué lorsqu’il ne s’agit pas d’une simple déchirure, et le temps est un facteur essentiel en médecine dont nous ne disposons pas en tant que sportifs.
** encore ici, je ne remets pas en cause la compétence du kiné qui a été d’un soutien sans faille tout au long de ma blessure.
PHASE 2 : La remise en question.
Au début, les révisions pour mes concours de L'ESCP-EUROPE (école de commerce) sont chronophages, je n’ai pas vraiment le temps de penser à ma blessure et à ses conséquences ; je me change les idées et les médecins soutiennent qu’avec un peu de repos la douleur devrait s’estomper.
Mais bientôt, je me retrouve devant ma feuille d’examen, un sentiment de panique me prend au corps : je n’ai pas pensé à un plan B sur le plan scolaire et ce genou sous la table me lance. S’ensuit une série de remises en question alors que je devrais être 100% concentrée sur mon exam (comme en compet » en somme). Les oraux ne se passent pas très bien non plus. Plutôt de nature vive et enjouée je me sens un peu plus renfermée qu’à l’accoutumée. Je sors de la salle plus désemparée que jamais. « Alea jacta est » comme on dit … on verra bien les résultats.
Il y a une sérieuse corrélation entre le corps et l’intellect car comment expliquer que lorsque j’étais encore en sport-études, mes notes étaient excellentes quand je m’entraînais beaucoup et moins bonnes dès que j’étais blessée (alors que le temps alloué aux révisions était nettement supérieur) ?
PHASE 3 : l’acceptation
Le concours passé, contrainte de rester à l’INSEP pour les séances de kiné, je commence à m’installer dans une routine tranquille. Je prends un peu plus de temps pour faire les choses, je me repose, je lis, je discute avec les gens autour de moi, j’explore Paris … Incroyable je commence à me plaire dans cette vie. Je n’irais pas jusqu’à dire que tout va bien mais disons je m’accommode de la situation. Parfois je me surprends à penser « comment j’ai fait pour m’entraîner autant ? » Hallucinant venant d’une jeune fille qui, même en vacances, ne peut s’empêcher de faire de l’exercice (une drogue vous dis-je !). Le cerveau est incroyablement bien fait.
Je fait même l'experience d'une semaine de jeûne. Coupée du monde, promenades et yoga au programme. Qui l’eût cru ? J’en ressors vivifiée avec de l’énergie à revendre et un regard nouveau sur la nutrition, l’un des leviers de performance du sportif.
PHASE 4 : dans l’engrenage
Le cerveau a beau aller mieux, la blessure est toujours bien réelle car NON une blessure n’est pas QUE PSYCHOLOGIQUE comme certains le prétendent ; ce qui a d’ailleurs le don d’agacer les sportifs qui souffrent bien assez comme ça.
Quelques auscultations plus tard + 3 IRM +3 échographies + 1 radio et 1 arthro-scanner, je me retrouve devant une foule de médecins, kinésithérapeutes et autres professionnels du sport. Il est décidé qu’on m’opère (allongement du tenseur du fascia-lata). J’accepte sans broncher. Comment refuser (enfin) une solution alors que cela fait 5 mois que je suis dans l’attente ? C’est une opération peu courante mais j’eu de bons échos et aux dires du chirurgien, je pourrais courir à nouveau d’ici deux mois. MERVEILLEUX ! C’est la première fois qu’on évoque une date de reprise.
Suit alors l’opération. J’entre dans l’engrenage : un mois de convalescence, les points, les béquilles et les bas de contention... j’ai connu plus glamour pour la plage mais je suis rassurée d’avoir pris une direction précise, tout va bien. J’entamerai ensuite 5 semaines de rééducation au CERS de Capbreton puis reviendrai saine de corps et d’esprit début Septembre. C’est l’année olympique : RIO 2016, j’en rêve et je compte bien mettre toutes les chances de mon côté.
De plus, j’ai réussi les concours pour l’école de commerce dont je rêvais (ESCP-Europe) avec en prime l’opportunité de retarder mon entrée d’un an afin de me consacrer entièrement à la pratique du pentathlon.
PHASE 5 : Retour sur le terrain de jeu
Si seulement c'était aussi simple, vous ne serez pas étonnés d’entendre que la réalité est plus compliquée. En septembre, je m’attends à embrayer sur cette nouvelle année en même temps que mon groupe. Mais comme la bergère qui s’en va au marché, c’est plutôt 3 pas en avant 3 pas en arrière. Je reprends l’activité progressivement, puis on me dit de stopper, reprise encore plus progressive, et stoppée à nouveau … dur dur. Le doute s’installe, j’ai envie de tout arrêter et de rentrer en école de commerce. Mais à 300 jours des Jeux, après plusieurs années de sport de haut niveau, de sacrifices et d’entraînement, c’est impossible. Je dois aller AU BOUT de l’aventure.
Si tous les sportifs s’arrêtaient à la première blessure, il y aurait bien peu de champions.
Finalement, mi-octobre, j’obtiens le feu vert du chirurgien ; c’est jouissif, le mot et faible. Quel agréable sentiment de fraîcheur ! Les gestes techniques reviennent très vite, je retrouve mes mécanismes d’avant et mon envie est décuplée.
Je souhaite à tout le monde de connaître ce sentiment.
Vous l’avez bien compris, c’est mon expérience personnelle mais je serais très heureuse que vous vous retrouviez dans mon récit. Si cela peut aider certains d’entre vous à mettre des mots sur leurs maux, à affronter un blessure malvenue…
Pour les autres, vous comprendrez peut-être un peu mieux ce que beaucoup d’athlètes vivent, ont vécu ou vivront.
Pour ma part, Je ne sais pas si je vais réussir à atteindre un très haut niveau à temps, si je me qualifierai pour les Jeux de Rio, si j’aurais mieux fait de tout arrêter et d’intégrer l’ESCP-Europe pour commencer un nouveau projet qui m’attire tout autant que le sport de haut niveau.
Peut être suis-je partie pour une année de galère car à l’heure à laquelle j’écris cette tribune, une poule semble encore avoir pondu sur le bord de mon genou et je ne peux pas m’entraîner dans toutes les disciplines. Mais je sais que, comme de nombreuses personnes avant moi, je ressortirai plus forte de cette épreuve. Je souhaite de tout cœur que cela se reflète sur mes résultats sportifs mais si ce n’est pas le cas, cela se reflètera dans la personne que je suis au quotidien. Ces longs moments de réflexion dont j’ai disposé tout au long de ma convalescence, à l’heure où les smartphones comblent tous nos moments de solitude (dédicace spéciale au CERS de Capbreton où il n’y a ni réseau ni WIFI -si si ca existe-), m’ont permis de me construire.
Une compétition de pentathlon est éprouvante car il faut garder corps et esprit mobilisés toute la journée. Même si nous rencontrons des phases difficiles au cours de la compétition, rien n’est joué avant l’arrivée. L’important est donc de savoir faire la part des choses pour aller toujours de l’avant. Pour la blessure, c’est exactement la même chose.
Adèle STERN
Ingénieur projets
6 ansRespect, car la blessure, ce n est jamais simple. Comme vous le dites, finalement le plus dur à gérer c est pas la partie mécanique, c est la dimension psychologique, et pour y être passé récemment, c est ce sentiment d attente et de ne pouvoir rien faire impacte tout. Avec une telle analyse et cette envie(et dans votre discipline le penthatlon), de la force de caractère il en faut, je suis convaincu que vous avez rebondi. Vous souhaitant le meilleur pour la suite...
Préparateur physique chez US Seynoise Rugby
7 ansBonjour Adèle, quelle chance d'avoir croisé ta route, 4 ans déjà. Ne t'arrête jamais, au plaisir de te revoir.
Cheffe de projet chez Paris 2024 - Comité d'Organisation des Jeux /ESCP Europe / Ex-athlète de haut niveau
7 ansMerci
Administrateur fonds de dotation
7 ansFélicitations pour votre parcours exemplaire. Philippe