Le percepteur... et la perception des impôts
Qu’on veuille bien me pardonner ce pauvre jeu de mots. Il n’en reste pas moins que le récent baromètre du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) ne manque pas d’interpeller sur la distance ou la contradiction entre la réalité des prélèvements obligatoires et la perception qu’en ont les Français.
Certes, 75 % des sondés jugent assez justement que le niveau des impôts et des cotisations sociales est trop élevé… tout en refusant toute baisse des dépenses publiques en échange d’une diminution de ces prélèvements. Si ce sentiment est globalement correct au niveau national, comment se fait-il que les nombreux efforts fiscaux des dernières années ne soient pas mieux ressentis au niveau individuel ? A cet égard, deux explications semblent plausibles.
Tout d’abord, il y a une erreur majeure de compréhension de la part des politiques, qui négligent le fait qu’une diminution des prélèvements n’est perçue (si elle l’est…) que l’année où elle a lieu ! Les années suivantes elle est intégrée dans le vécu quotidien et n’est donc plus ressentie comme un allègement, surtout si d’autres dépenses obligatoires sont orientées vers la hausse. L’exemple le plus frappant est évidemment celui de la suppression de la taxe d’habitation : 18 Mds de recettes évaporées au niveau global ; mais au niveau individuel, à moins de continuer à envoyer à chacun un relevé de la taxe en y faisant figurer un dégrèvement du même montant, qui a encore réellement conscience de l’effet positif de cette suppression sur son pouvoir d’achat ? D’autant que les Français sont convaincus que les allègements en question ne sauront être que temporaires et qu’il faudra bien trouver un moyen de les compenser… ou de les ré-augmenter fortement plus tard, comme le prouve le rattrapage plus que significatif des impôts fonciers à Paris !
La seconde explication tient à l’extraordinaire appétence de nos gouvernants pour les « impôts indolores » : TVA et taxes diverses (alcool, tabac, énergie, essence…), voire, impôt sur le revenu, qui se retrouve de facto dans la même catégorie depuis l’instauration de la retenue à la source. Sauf que… certes, la TVA est effectivement « indolore » car non identifié dans les prix et on peut se priver (même si ce n’est pas facile) de l’alcool ou du tabac ; en revanche, l’ensemble de ces impôts indirects s’est retrouvé intégré dans les dépenses captives incontournables, comme l’énergie ou l’essence. Or, ces dépenses ont fortement augmenté ces dernières années, pesant largement sur le pouvoir d’achat des ménages, en particulier les plus fragiles d’entre eux ; les impôts s’y étant trouvés amalgamés, leur perception est assez logiquement devenue haussière quelqu’aient pu être les mesures d’allègement.
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Il y a d’ailleurs un deuxième effet pervers : c’est le penchant des Français à penser que, compte tenu de la concentration des impôts sur le revenu sur seulement 45 % des ménages, de la coupure des liens entre impôts locaux et principaux bénéficiaires des services locaux et, finalement, du développement des impôts indirects… les impôts, c’est pour les autres, nécessairement plus riches que soi-même ! L’exemple le plus typique, sinon le plus caricatural, est évidemment le rejet très majoritaire de l’impôt sur les successions à comparer avec l’adhésion à l’ISF (ou même à l’IFI). Il n’est pas étonnant dans ces conditions de voir s’accroître la frustration : le même Baromètre du CPO montre que le pourcentage de personnes jugeant que le système est trop distributif progresse régulièrement pour atteindre un tiers des personnes interrogés. Certes, il s’agit encore d’une minorité, mais elle a augmenté de cinq points depuis la dernière enquête.
Il résulte de cette analyse une vérité bien amère : sans effort continu et durable de communication et d’éducation, les baisses d’impôts équivalent à verser de l’eau dans le désert ; pour significatives qu’elles soient, leur effet restera électoraliste à court terme et… ruineux au-delà ! Les mêmes efforts d’éducation et de communication sur les prélèvements obligatoires, sur leur utilité et leur utilisation et sur leur caractère bien plus solidaire qu’on ne le pense, sont indispensables d’une manière générale ; après tout, si on en croit le Baromètre du CPO, 80 % des sondés jugent que le paiement de l’impôt est un geste citoyen. De même, si seulement 3 % estiment qu’ils ne paient pas assez, ce pourcentage s’élève à 20 % parmi ceux qui s’estiment satisfaits des services publics !
Il est peut-être temps de penser les impôts et les autres cotisations en termes non seulement de finances publiques, mais aussi de marketing ; de réfléchir non seulement à comment les percevoir, mais comment leur perception est… perçue !