Le pouvoir de la parole
L’anedocte
Tel un anthropologue, j’assiste à l’entretien entre un manager et son collaborateur. Ils se sont donné rendez-vous dans un bureau pour leur premier échange. Le manager engage la discussion en demandant au collaborateur comment il se sent. La première réaction est celle d’un enfant pris la main dans le sac, entre peur et surprise. Peu à peu, pousser à s’exprimer, il s’ouvre et fait part de son ressenti, de ses impressions, de ses frustrations, de son envie, de sa motivation. Le manager fait de même.
L’entretien dur ainsi deux bonnes heures. L’organisation, les attentes, les délivrables: tous les sujets y passent. L'échange est à bâtons rompus, tel un rouleau compresseur, la parole dégage et ventile tout ce qui peut être dit, ce qui doit être dit. Les deux en ressortent vidés et satisfaits. Le dialogue était éprouvant, car des choses profondes, sincères et responsables ont été dites, et nécessaire.
Cet entretien, je l’ai trop souvent observé en entreprise à sens unique et sur le ton de l’engueulade. C’est sans doute aussi ce qui a surpris le collaborateur, pour son premier entretien.
Ici, des choses plus crues, plus dures ont été dites, ce qui se lit sur leurs corps, courbaturés par cet échange comme s’ils venaient de mener un combat de boxe ou un duel à l’épée. Sans violence, sans jugement, juste des faits, des actes, des situations. Personne n’est jugé et encore moins condamné. Une situation est exposée, analysée, les acteurs positionnés. Les choses sont plus claires maintenant.
Le dialogue, la parole, le silence sont une arme, au sens où ils désarment les quiproquos, les non-dits et les malentendus, qui sinon finissent toujours en crises.
C’est une sacrée expérience de management par l’écoute active et la facilitation auquel je viens d’assister.
L'analyse
Les mots blessent, les mots soignent, les mots réconfortent, les mots éclairent. Ce sont là des lieux communs et des lapalissades, et comme bien souvent derrière une part d’évidence et de vérité.
Qui n’a pas été touché et transpercé par une parole maladroite ou assassine? Combien de conflits sont nés d’un quiproquo? Combien ont été apaisés et résolus avec le verbe et le mot?
Cette force et cette puissance du langage, un négociateur du RAID m’en parlait encore l’autre jour. L’entraînement physique et mental passe aussi par l’exercice de la parole. Depuis que la négociation a été mise en place, l’immense majorité des crises se terminent sans qu’un coup de feu ne soit tiré.
Le langage est la manifestation de notre cartographie mentale du monde, de notre environnement. Nous y voyons ce qui nous apparaît, ce qui entre dans nos radars, et par négatif, ce qui en est absent. Ce qu’on ne sait pas nommé, ce qu’on n’ose dire, ce qu’on n’arrive pas à exprimer clairement parce que cela reste flou pour nous même. C’est la proposition 7 du Tractatus de Wittgenstien: « Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence » . Ce qu’on ne peut penser ne peut se dire.
Ces cartographies cognitives mettent en reliefs ce qui est important pour nous, nos croyances, nos jugements, nos préjugés et nos tabous. C’est l’explicitation de nos émotions, de nos intuitions, des nos sensations, de nos perceptions. L’interprétation nous ouvre, indirectement, sur l’intention, et à travers elle cet espace non-conceptuel qui n’est pas dit explicitement, mais qui n’en étaye pas moins notre pensée.
Le langage c’est aussi l’armature de notre tissu social. « Appartenir à une culture c’est être prédictible » dit Birdwhistell. Qui nous comprend renforce notre monde, les autres sont des barbares dont les actions, les comportements, les manières de voir le monde nous sont étrangers, incompréhensibles, insupportables: comment quelqu’un peut-il concevoir, percevoir, penser un monde que je ne peux expérimenter? C’est plus cette frustration qui est intenable que la pensée même de l’autre. Ce qui sait que son monde ne peut-être que plus riche en y incluant les conceptions des autres sait qu’il ne percevra jamais l’ensemble de ce qui peut l’être. C’est le sage classique qui sait qu’il ne sait pas tout.
La principale arme de la parole, par conséquent, est le silence. Celui qui parle sans cesse ne pense pas que l’interlocuteur puisse en savoir plus que lui. Il est soit borné, soit terrifié, de découvrir ses propres limites et sa propre finitude.
Celui qui écoute, celui qui écoute vraiment, activement, offre un espace que l’autre peut, veut, s’oblige à combler. Se faisant il déverse sa suffisance ou au contraire affronte sa propre vacuité, ses propres limites et faiblesses: se révèle lui-même. L’un comme l’autre, parler à celui qui écoute est accepter de se mettre à nu. Cet abîme effraye, d’où la nécessité pour le psychanalyste de se dépersonnaliser en ne présentant pas son visage au locuteur, car celui-ci pourrait y lire ses propres faiblesses et se taire.
La fonction du facilitateur, du négociateur, du pédagogue est de faire grandir en encourageant à explorer l’espace ouvert du champ cognitif: oser dépasser ses acquis pour les enrichir. Cela passe par l’erreur, trébucher, se tromper, car c’est ainsi qu’on peut découvrir des pépites et de nouvelles manières de penses son monde. La responsabilisation de l’autre et l’expression de son monde par la parole permettent d’exposer sa conception du monde, ses concepts, la manifestation même de son point de vue, de sa perspective.
Parfois les gens le font d’eux-mêmes, ce sont les écrivains, les artistes, les scientifiques, mais très rarement les gens sont encouragés à le faire. Cette motivation extrinsèque du partage de son propre monde n’est pas naturelle. Écouter l’autre avant de le juger reste étrange et exceptionnel, car suppose une relation de confiance dans laquelle le risque de se dévoiler est accepté et n’est pas dangereux.
Paradoxalement c’est précisément ces cas de crises qui offrent les meilleurs exemples de ce type de confiance partagée. Laisser ou aider quelqu’un à ventiler, à verbaliser, à exprimer, à partager ce qu’il pense, ressent, vit, permet et suffit souvent à dépasser un sac de nœuds conceptuel dans lequel il s’était emberlificoté, oppressé, dans issue ni espoir. Paradoxalement donc, la parole dans sa composante de l’écoute, est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser dans un conflit.
L’écoute active, la maïeutique, la cartographie conceptuelle et cognitive sont des armes qui servent la parole et l’écoute. Au lieu de commencer à parler, commencer par écouter, vous savez mieux que moi la force que cela procure.
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7 ansTouchée par cette parole juste et aiguisée.
Agiliste indépendant
7 ansMerci Benjamin pour cet article qui met en lumière l'importance d'une confiance partagée, d'une parole libérée, d'une écoute sans jugement, pour éviter les conflits. Une fois le conflit installé, la confiance n'étant plus là, l'écoute sera biaisée, d'où la nécessité de nouveaux ressorts de la parole, mais avec l'aide d'un tiers pour permettre aux parties de s'extraire de leurs perceptions "infectées".