Le prêt de main d’œuvre et le délit de marchandage : ce qu'il faut savoir !

Le prêt de main d’œuvre et le délit de marchandage : ce qu'il faut savoir !

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Le rapport annuel de l’Inspection du travail à l’intention du Bureau international du travail pour 2013 fait état de 1850 infractions constatées sur le territoire. Elles représentent près 6% des 30 788 infractions constatées en matière de travail illégal, presque autant que l’emploi d’étrangers sans titre de travail (L’inspection du travail en France, bilans et rapport, Ministère du Travail de l’Emploi, de la Formation Professionnelle et du Dialogue Social, novembre 2014, p.129).

En effet, tous les métiers impliquant, en contrepartie d’une rémunération, la fourniture d’une prestation de service ou une sous-traitance qui repose sur une intervention de personnel, peuvent devenir  des délits de prêt illicite de main d’œuvre et de marchandage. Il peut s’agir de prestations intellectuelles, d’activités de conseil, de communication, de publicité, de bureau d’études ou de services informatiques. Il peut aussi s’agir de prestations manuelles, telles que la maintenance, le nettoyage, le gardiennage ou la sécurité.
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Sommaire :
1/Définition du prêt de main d’œuvre illicite
2/Définition du délit de marchandage
3/L’environnement juridique du prêt de main d’œuvre illicite et du délit de marchandage
4/ Comment ne pas tomber dans le prêt de main d’œuvre illicite ou le délit de marchandage ?

1/Définition du prêt de main d’œuvre illicite

Le délit de prêt illicite de main d’œuvre vise notamment à protéger le monopole des sociétés d’intérim qui ont un statut particulier (autorisation ministérielle, caution etc.).

Avant de voir la notion de prêt de main d’œuvre illicite, nous allons voir la notion de mise à disposition des salariés : La qualité d’employeur est reconnue non seulement aux personnes physiques ou morales qui embauchent directement leurs personnels mais aussi à des personnes physiques ou morales qui sont habilitées par la loi à recruter des salariés pour les mettre à disposition de leurs entreprises clientes.

Afin de répondre à une volonté d’externalisation ou à un surcroit d’activité, certaines entreprises ont en effet recours à un prêt de main d’œuvre externe.

Le Code du travail édicte une règle simple :  la location simple de main d’œuvre est interdite en dehors du travail temporaire. Le délit de prêt de main d’œuvre illicite et le délit de marchandage viennent protéger cette règle.

Dès lors, « toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre est interdite. Toutefois, ces dispositions ne s’appliquent pas aux opérations réalisées dans le cadre des dispositions du présent code relatives au travail temporaire, aux entreprises de travail à temps partagé […]» (Code travail, art. L8241–1).

Ainsi, le délit de main d’œuvre illicite est constitué, si l’opération consiste seulement, en elle-même, en une mise à disposition de personnel et cumulativement si l’opération présente un caractère lucratif, c’est-à-dire une contrepartie rémunérée.


2/Définition du délit de marchandage

Cette interdiction posée par le droit du travail, vise une protection de la relation salariée. Elle est instaurée au bénéfice du salarié lui-même, et plus généralement protectrice de la société. Le délit est donc constitué, si cumulativement :

  • l’opération consiste en une mise à disposition de personnel ;
  • l’opération présente un caractère lucratif, c’est-à-dire qu’elle est rémunérée ;
  • l’opération crée un fait dommageable, constitutif d’un préjudice pour le salarié mis à disposition, ou pour la collectivité par le contournement des textes applicables du droit du travail. Dans ce dernier cas, il n’est cependant pas nécessaire de prouver le préjudice.

Ainsi, la mise à disposition contre rémunération, de personnel est interdite, si elle cause, au salarié concerné, un préjudice ou, si elle permet de contourner le droit du travail.

Quoique très proches, les deux délits de prêts de main d’œuvre illicite et de marchandage reposent sur des incriminations différentes. Elles empêchent l’application de la règle « non ibis in idem » selon laquelle un même fait ne peut être reproché deux fois. Les deux délits peuvent donc se cumuler et sont lourdement réprimés.

Un seul des éléments suivants suffit à caractériser le délit :

  • Un prêt de main d’œuvre exclusif effectué dans un but lucratif.
  • Le non-encadrement par l’entreprise d’origine du personnel détaché, la direction et la surveillance étant assurées par l’entreprise utilisatrice.
  • La rémunération du fournisseur de main d’œuvre, notamment lorsque celle-ci s’effectue à l’heure.
  • Le préjudice causé au salarié, par exemple quand il est privé de garanties contre le licenciement, de son ancienneté … Il suffit de démontrer que les salariés ont été privés d’avantages potentiels. Les notes d’information juridiques
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3/L’environnement juridique du prêt de main d’œuvre illicite et du délit de marchandage

Le délit de marchandage et délit de prêt illicite de main d’œuvre doivent être des points de vigilance, dans la rédaction des contrats et dans leur exécution. Dès lors, l’insertion de certaines clauses n’est plus suffisante à protéger les acteurs économiques contre la constatation de l’infraction.

La loi considère aussi qu’une opération de prêt de main d’œuvre ne poursuit pas de but lucratif lorsque l’entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice que les salaires, charges sociales et frais professionnels correspondant au temps de mise à disposition et ne tire aucun profit de l’opération.

Exceptions, les entreprises peuvent notamment avoir recours à plusieurs formules sans être dans un cadre illicite :

  • Travailleurs intérimaires
  • Groupement d’employeurs
  • Association intermédiaire
  • Prêt de main d’œuvre
  • Sous-traitance

La prestation de service ou la sous-traitance correspond à une tâche objectivement définie, dans laquelle la main d’œuvre n’est qu’un moyen, et qui vise à obtenir une certaine valeur ajoutée, un résultat que l’entreprise utilisatrice n’aurait pas obtenu de son personnel par manque d’expertise.

Est ainsi recherchée au travers de la prestation de service (type ESN) ou de la sous-traitance, l’exigence d’un savoir-faire particulier, d’une expertise ou la mise en œuvre d’une compétence technique spécifique que l’entreprise utilisatrice (le client) n’a pas en interne. Sous réserve de ne pas mettre le salarié dans une situation préjudiciable, le prêt de main d’œuvre est alors possible quand il n’est qu’une partie des moyens mis en œuvre, un accessoire, dans cet ensemble plus complexe que constitue la prestation ou la sous-traitance.

Toute la difficulté réside dans le fait que même si l’intention de départ des parties n’est pas forcément celle-ci, au fur et à mesure du temps peut se créer une situation de prêt de main d’œuvre illicite pouvant s’avérer préjudiciable aux salariés.

La jurisprudence a été amenée à préciser les indices qui permettent de distinguer, dans ce type d’opérations, le véritable contrat d’entreprise, indices regroupés autour de trois notions clés :

  • L’exécution d’une tâche spéciale, nettement définie : l’entreprise prestataire doit avoir une activité spécifique bien différenciée de celle de l’entreprise cliente. Il faut que soit définie la prestation à effectuer et non les modalités d’exécution. Bien souvent, c’est une obligation de résultat qui pèse sur l’entreprise prestataire.
  • Le maintien de l’autorité du sous-traitant sur son personnel : les conditions de travail n’ont donc pas à être les mêmes que dans l’entreprise utilisatrice. Les responsables de l’entreprise sous-traitante doivent diriger les travaux et assurer la discipline de leur personnel.
  • Une rémunération forfaitaire de la prestation : les éléments de détermination de la rémunération doivent permettre de dégager des coûts autres que sociaux correspondant à l’existence d’une prestation réelle.

En pratique, les contrats d’entreprise ou de sous-traitance échappent donc à l’interdiction de prêt de main d’œuvre lucratif si le prêt de main d’œuvre qu’ils envisagent n’est pas la seule prestation du contrat mais qu’il s’accompagne d’une prestation de service effective (le service d’entretien ou de maintenance informatique par exemple) ou d’une fourniture de matériel.


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Les sanctions :

  • Amende de 30 000 euros et/ou peine de prison de deux ans pour la personne physique (Code du travail, art. L8234–1et L8243–1) ; en outre, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 € d’amende lorsque l’infraction est commise à l’égard de plusieurs personnes ou lorsque l’infraction est commise à l’égard d’une personne dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur et à dix ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque l’infraction est commise en bande organisée.
  • Amende de 150 000 euros pour l’entité et possible dissolution de l’entreprise, interdiction d’exercer l’activité concernée (Code pénal art.131–39), interdiction d’exercer l’activité de sous-entrepreneur pendant une durée de 2 à 10 ans, affichage ou publication de la décision judiciaire (Code du travail, art. L8241–1 et L8243–1) ;
  • Possible action en dommages et intérêts exercée par des salariés ou par une organisation syndicale (sans qu’elle ait eu besoin d’en recevoir le mandat des salariés lésés) pour réparation du préjudice subi, une requalification de la relation en contrat de travail (Code du travail, art. L8232–3) avec l’application des régimes associés (charges sociales etc.) ; nullité absolue du contrat de sous-traitance ou de prestation service ;
  • Paiement solidaire des impôts, taxes, cotisations et autres rémunérations pour le bénéficiaire qui a connaissance de la situation irrégulière.

Dans la plupart des cas, le bénéficiaire du prêt illicite est poursuivi comme coauteur du délit. En effet, il appartient à l’utilisateur de s’assurer que le prêt de main d’œuvre a bien lieu dans les conditions exigées par la loi.

Enfin, lorsque la prestation de service porte sur un montant de 5000 euros ou plus, l’entreprise utilisatrice est tenue de vérifier que les salariés du prestataire ne rentrent pas dans le cadre du travail dissimulé. A défaut, elle pourrait être tenue au paiement des impôts, cotisations et charges à titre solidaire. Cette sanction s’applique également lorsque le bénéficiaire de la prestation a été informé du travail dissimulé par un syndicat, une institution représentative du personnel ou une association professionnelle.

Un cas sur sept donne lieu à une peine d’emprisonnement (L’inspection du travail en France, bilans et rapport, Ministère du Travail de l’Emploi, de la Formation Professionnelle et du Dialogue Social, novembre 2014, p.149).

4/ Comment ne pas tomber dans le prêt de main d’œuvre illicite ou le délit de marchandage ?

Le meilleur moyen de ne pas tomber sous le coup du délit de prêt illicite de main d’œuvre et de marchandage consiste à se garder de toute similitude entre l’opération de mise à disposition et les conditions de travail salarié dans l’entreprise utilisatrice. Les conditions de travail du salarié mis à disposition pour l’opération, ne doivent pas, dans la mesure du possible, s’apparenter ou être assimilées à celles d’une relation directe de travail salarié avec le client utilisateur : le salarié du prestataire ou du sous-traitant doit avoir un traitement différent des salariés de l’entreprise utilisatrice.

Le lien de subordination et le pouvoir de direction et de contrôle doivent, pour éviter toute qualification du délit de prêt de main d’œuvre illicite et du délit de marchandage, rester au prestataire employeur. En aucun cas, ils ne doivent être exercés par l’entreprise utilisatrice. Ainsi si l’entreprise sous-traitante conserve l’autorité sur son personnel et exerce un contrôle sur la réalisation de la prestation par la présence de cadres sur le lieu d’exécution de la prestation, le délit de prêt illicite de main d’œuvre ne sera pas constitué.

Pourtant, bien appréhendé au démarrage de la prestation ou de la sous-traitance, il ne faudra pas laisser s’installer un faisceau de présomptionscaractérisant une opération de prêt de main d’œuvre illicite, déguisée sous une fausse prestation de service ou une fausse sous-traitance.

Indices dans le contexte et dans l’organisation de la prestation :

  • La prestation n’est pas précisément définie au départ mais se détermine au fur et à mesure au fil des jours
  • La prestation est dans le cœur de métier de l’entreprise utilisatrice ;
  • La prestation effectivement réalisée va au-delà de ce qui a été prévu dans le cadre du contrat ;
  • La sélection des salariés mis à disposition ;
  • Les salariés prêtés exécutent des tâches similaires à celle des employés de l’entreprise utilisatrice ;
  • Les salariés mis à disposition ne sont pas formés et ne présentent aucune compétence témoignant d’un savoir-faire spécifique ;
  • La longue durée de la prestation (plus de 3 ans).

Indices dans de la rémunération versée par l’entreprise utilisatrice à l’entreprise prestataire :

  • La prise en charge des frais de vie par l’entreprise utilisatrice.

Indices dans de le rapport de subordination passé du prestataire à l’entreprise utilisatrice :

  • L’absence ou la faible fréquence des contacts du salarié prêté avec l’entreprise prestataire ;
  • L’absence de manager et de contrôle par l’entreprise prestataire du travail réalisé par le salarié prêté ;
  • L’organisation et le contrôle par l’entreprise utilisatrice du travail réalisé par le salarié prêté ;
  • La gestion par l’entreprise utilisatrice du personnel prêté en termes de congés, de formations ;

Indices dans les moyens mis à disposition par l’entreprise utilisatrice :

  • L’entreprise utilisatrice accueille dans ses locaux les salariés prêtés sans espace distinctif dédié par rapport à ses propres salariés ;
  • L’entreprise utilisatrice fournit les véhicules nécessaires à l’exécution de la prestation par le salarié mis à disposition ;
  • L’entreprise utilisatrice fournit les moyens de communication (téléphones, mobiles) et les ordinateurs équipés des logiciels nécessaires à l’exécution de la prestation par le salarié mis à disposition ;

Indices dans l’intégration aux équipes et au cadre social :

  • Les salariés prêtés ne sont pas identifiés comme prestataires prêtés : présence dans l’annuaire, interconnexion avec les salariés de l’utilisateur
  • Les salariés prêtés se présentent comme membre du personnel de l’utilisatrice dans les relations d’affaires
  • Les salariés prêtés signent sous le logo de l’entreprise utilisatrice ou passent des commandes ou des ordres au nom de l’entreprise utilisatrice ;
  • Les salariés prêtés s’inscrivent dans le cadre social de l’entreprise : horaires, tâches, accès à la cantine subventionnée, congés alignés sur ceux de l’entreprise utilisatrice (fermeture des établissements sans que l’exécution de la prestation ne soit poursuivie en toute indépendance)

Tout d’abord, il convient de définir avec précision la prestation qui devra être exécutée. Pour ce faire, un cahier des charges détaillé devra faire état des besoins du client qui devront être traduits en termes techniques. Il sera utilement annexé au contrat et relayé dans le préambule du contrat.

L’objet du contrat devra lui aussi être rédigé en précisant la nature de la prestation et insister sur ce que le prestataire s’engage à réaliser, notamment en termes de délais et de livrables. Il s’agit ici d’introduire de l’engagement et de la prévisibilité dans l’exécution de la prestation. Le prestataire doit clairement s’engager sur la tâche à accomplir et assumer la responsabilité en cas d’échec ou d’inexécution partielle.

La clause d’objet sera avantageusement complétée par une clause précisant les modalités d’exécution de la prestation. On expliquera que « le prestataire décide des méthodes, des outils et des moyens nécessaires à la réalisation des prestations, dans le respect des éventuelles contraintes techniques précisées dans le cahier des charges ». Il sera explicité aussi les moyens mis en place par le prestataire, les plannings de réalisation, la manière dont sera organisée la réalisation de la prestation, les critères de son approbation définitive par le client. En matière de prix, il est judicieux de remplacer les taux horaires journaliers par des unités d’œuvre incluant les coûts de main d’œuvre parmi les autres frais.

Une clause de gestion du personnel par le prestataire devrait compléter les modalités d’exécution. Relevant plus de l’intention, et même s’il s’agit d’une évidence, il conviendra de préciser, pour des raisons pédagogiques plus que juridiques, que le prestataire demeurera responsable des actes de son personnel.

Les clauses de stabilité des équipes par lequel le prestataire s’engage à faire ses meilleurs efforts pour maintenir les personnes prêtées sur la mission, semblent acceptables.

Enfin, deux clauses au contrat paraissent clés dans la disqualification du délit de prêt illicite de main d’œuvre. Il s’agit des clauses sanctionnant les manquements à la réalisation de la prestation, soit les pénalités et la responsabilité contractuelle. N’en déplaisent aux prestataires toujours soucieux de ménager leurs marges et leur responsabilité, mais il semble que le fait d’être prêt à assumer dans le cadre du contrat, des pénalités ou une responsabilité contractuelle pour manquement dans la réalisation de la prestation, est de nature à démontrer que l’objet du contrat réside plus dans l’engagement pris d’exécuter la prestation que dans les seuls moyens de son exécution.

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Amélie ARNAUD

Article sur Médium

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