Le recyclage, ce mal-aimé
Certainement attiré par son titre accrocheur, j’ai lu le livre que Flore Berlingen, à la veille de quitter Zéro Waste, consacre au recyclage.
Très franchement, j’en ai apprécié la lecture accessible et y ai vu une prolongation, synthétique et sans fioriture, du plaidoyer et des positions habituelles de l’association, telles que nous les avons souvent échangées elle et moi, autour de tables rondes, de réunions de concertation publiques, ou par médias interposés. Aussi séduisant que soit pour certains un tel appel à un "au-delà" du recyclage, j’aimerais rappeler quelques réalités, poser les faits et montrer des évolutions que le livre passe sous silence. Pour plus de précisions, je vous renvoie au livre que Citeo a publié au Cavalier Bleu l’an passé, Recyclage : en finir avec les idées reçues.
Quand en 1992, les entreprises s’organisent pour développer la solution recyclage, elles changent définitivement notre rapport à nos emballages et, ensuite, à nos papiers. De déchets, ils deviennent ressources. Les entreprises imaginent, organisent et financent désormais la fin de vie des emballages et des papiers qu’elles mettent sur le marché. À travers ce nouveau principe de responsabilité, elles font progresser une nouvelle façon de concevoir, produire puis recycler ou réutiliser les emballages et les papiers. On sort d’une logique linéaire pour entrer dans une logique d’économie circulaire.
Sans cette innovation de la REP, nous ne pourrions même pas aujourd’hui nous interroger pour savoir si la performance du recyclage est suffisante en France, si l’économie circulaire est réellement une solution dans un monde fini ou comment innover en faveur du réemploi et de l’éco-conception. Ces sujets n’auraient pas existé.
1,6 millions de tonnes de CO2 en moins, 23 milliards de litres d’eau économisés. Vous appelez cela un échec ?
Bien sûr, les entreprises ne se sont pas organisée seules, mais dans un dialogue permanent avec les pouvoirs publics et surtout, avec des collectivités locales dont les élus visionnaires ont compris le bénéfice pour leurs villes, de mettre en place une collecte sélective principalement financée par les entreprises. Ces fondamentaux restent pertinents. Leurs résultats : une seule ville qui trie, Dunkerque, en 1992, à un tri généralisé partout en France depuis 2004, pour un taux de recyclage en 2019 de 70 % pour les emballages et de 58% pour les papiers. 1,6 millions de tonnes de CO2 en moins, 23 milliards de litres d’eau économisés. Vous appelez cela un échec ?
Aujourd’hui, le monde a changé et notre approche aussi. De nouvelles solutions naissent, correspondant à de nouveaux besoins économiques, environnementaux, sociétaux.
Ce que nous faisons pour les entreprises, c’est inventer et promouvoir ces solutions. J’ai appelé cette stratégie "100% solutions" : chaque emballage et papier doit bénéficier d’une solution d’éco-conception (réduction, simplification, substitution) et d’une solution de nouvelle vie, recyclage ou réemploi. "100% solutions", c’est aussi un état d’esprit : c’est le sens de l’innovation, le goût d’avancer, la volonté d’agir, la capacité à sortir des difficultés et parfois, des embûches. "100% solutions" c’est donc l’imagination, le dialogue, l’opiniâtreté, de nouveaux modes d’action pour répondre à l’urgence économique, climatique et environnementale.
Nous sommes des créateurs de solutions
Nous ne sommes pas les gardiens du bac jaune. Nous sommes des créateurs de solutions. Le recyclage en fait pleinement partie et a toute sa place dans la construction d’un monde circulaire plus respectueux de nos ressources. Il est indispensable pour accompagner la consommation réelle (et non souhaitée) des Français et leur permettre d’agir concrètement. Il est indispensable pour créer ces boucles matières dont nos entreprises ont besoin pour intégrer des matériaux recyclés dans leurs produits. Il est indispensable pour limiter notre dépendance en matières premières et maintenir emplois et activités dans nos territoires. Et enfin, pour limiter les pollutions liées aux déchets sauvages, ce risque écologique majeur.
Le recyclage n’est pas une abstraction sur laquelle on débat entre experts, c’est une réalité tangible, qui représente 111 650 emplois dans toute la France en 2019 (source : Ademe) et un geste de tri adopté par 9 Français sur 10. Nous investissons chaque année plusieurs millions d’euros en R&D, pour l’écoconception, dans les matériaux d’avenir, dans l’allègement des emballages, leur traçabilité et l’information du consommateur. Avec nos partenaires collectivités locales, nous investissons aussi dans la simplification du tri et la modernisation des centres de tri. Et nous lançons des innovations en matière de collecte ou de réemploi, en particulier dans les zones urbaines, notamment avec les Trilib' à Paris et des expérimentations à Marseille, Bordeaux, Besançon. En matière de réduction, de tri, de réemploi et de recyclage, comme dans toute activité économique, il n’y a pas d’évidences ni de solutions toutes faites. Analyser, comprendre, puis concevoir, tester, déployer, parfois tâtonner, sont des étapes indispensables pour être efficaces et éviter les effets de bord possiblement désastreux.
Nous savons que les attaques contre le tri et le recyclage ont un effet principal : celui de décourager le geste de tri.
Ce qui m’importe, c’est que le tout linéaire soit derrière nous. Ne faisons pas croire que les entreprises n’aient pas pris la mesure de ces changements, de leurs impacts sur leurs clients, et qu’elles ne soient pas engagées de multiples manières dans cette évolution. Ce serait faux et cela peut même être dangereux, je crois. Nous savons que les attaques contre le tri et le recyclage ont un effet principal : celui de décourager le geste de tri. Comment maintenir dans un climat de défiance un geste qui est fondé sur la confiance ? Pourquoi dénigrer l’effort consenti par ces millions de trieurs, volontairement et gratuitement, leur refuser cette fierté, dont on sait qu’elle est le meilleur moteur de l’action ?
Le geste de tri doit être en permanence conforté, soutenu, favorisé. L’économie circulaire, c’est une chaîne de responsabilités. Sans le consommateur, elle s’effondre. Mon souci permanent est de contribuer à cette éducation citoyenne du consommateur qui est la meilleure garantie de son geste et au-delà, de ses choix pour un monde plus durable.
Sustainability consultant
4 ansJean Hornain Merci pour votre article qui rappelle les progrès effectués depuis 1992. Cependant permettez-moi deux questions : Avez-vous travailler main dans la main avec l’association Zero Waste France pour encourager les consommateur.rice.s et les industriels à réduire la consommation et la production d’emballage ? Si oui, pourquoi ne pas communiquer davantage sur la réduction des déchets à la source en parallèle du geste de tri ?
Founder @ Positive Powerfulness Institute | MBA, SyPoDe ©
4 ansJe pense que pour motiver, il faut insister sur la finalité (produits résultant de la circularité) et montrer que cela peut servir l'économie. C'est dans cet esprit qu'une start-up israélienne a développé une technologie et un savoir-faire uniques, permettant de recycler le plastique pollué et polluant (celui qui finit dans les déchetteries et/ou dans les rivières et dans la mer, où est incinéré) de façon immédiatement circulaire (sans passer par la phase de production conditionnement et logistique des granules), directement en produits finis de qualité pour la construction et l'agriculture. Cela permet de faire d'une pierre 4 coups : 1- Augmenter drastiquement la quantité de plastique recyclé, 2- permettre aux clients finaux de ces produits finis de faire des économies car ces produits sont beaucoup moins chers que ce qui se fait habituellement sur le marché, 3- Rendre la circularité encore plus écologique et économique, 4- Créer une nouvelle filière industrielle porteuse d'emplois.
Directrice commerciale France Collectivités Locales GROUPE MINERIS
4 ansMerci M.Hornain pour tous ces éléments 👏👍 que certains ont tendance à « oublier »... « La critique est facile ...mais l art est difficile.. »😊
Co-fondateur de Take a waste | Expert en prévention et gestion des déchets
4 ansD'accord avec vous sur les acquis de la REP emballages en termes de tonnages recyclés et globalement le "chemin parcouru" depuis 1992, mais dommage que vous ne répondiez pas du tout à une critique forte du livre de Flore Berlingen sur la gouvernance de cette REP : plus précisément l'incapacité de Citeo à empêcher la mise sur le marché d'emballages non recyclables. Qu'en pensez-vous ?
DESIGNER, CONSULTANT CRÉATIF EXPERT EN ÉCO-CONCEPTION DES EMBALLAGES - AUTEUR D'OUVRAGES - ÉLU LOCAL À COMBLOUX
4 ansLE JUSTE EMBALLAGE, C’EST LA VOIE DU MILIEU… J’ai envie de répondre à Flore d’explorer la voie médiane. Effectivement elle a raison de combattre celle de l’excès, celle qu’elle a connu depuis sa naissance et qu’elle a sans doute hérité de ses ainés dans un pays où nous vivons comme des princes avides de plaisirs matériels. Devons-nous alors nous contraindre à « l’austérité » comme forme d'ascèse pour atteindre le nirvana. Un certain Gautama Bouddha nous suggère un autre chemin noble et vertueux : la voie du milieu. Cette voie du milieu signifie donc qu'il faut éviter les extrêmes pour atteindre l'illumination. C’est celle que je tente de mettre en œuvre et que je qualifie de juste emballage. S’il vous plait, en pleine crise sanitaire, nous avons vu que les oppositions de nos chers scientifiques étaient plus stériles que salvatrices…