Le Roi Lion et sa pâle copie.
Je suis allé au cinéma hier avec mes filles. Nous allions voir Le Roi Lion. Elles étaient impatientes de voir ce que pouvait donner un film de leur enfance « en film ». Intérieurement, j’étais heureux. Non seulement j’allais partager un moment privilégié avec elles, mais surtout j’allais revivre une partie de mon adolescence.
Le Roi Lion, le dessin animé original, c’est un des rares films que j’ai non seulement vus, mais écouté en boucle à partir de mes quatorze ans. J’avais enregistré tout le son du film sur cassette. Pendant longtemps, j’avais programmé le début de cette cassette pour me servir de réveil : le rugissement lointain d’un lion, puis le puissant chant zoulou : « Nants ingonyama bagithi baba » Voici le lion, Père, enfin la chanson.
Impossible d’évoquer cette séquence de son sans revoir les sublimes dessins qu’elle accompagnait. Tous les animaux se précipitant vers le rocher, trône royal pour la présentation baptismale du petit lion.
Ce dessin animé contenait pour moi une multitude de questionnements. Ma tête bouillonnait de pensées et d’émotions.
« Il faut prendre ta place dans le grand cycle de la vie » disait le roi Mufasa à son fils en lui imposant des limites. J’étais à la fois admiratif de l’autorité tranquille et bienveillante du père et compréhensif envers le fils tenté par son oncle dont la délicieuse voix interprétée par Jean Piat fait l’intérêt à la fois du personnage et en grande partie du film.
« Suivez-moi et vous n’aurez plus jamais faim ! » Chantait-il et les hyènes défilaient au pas cadencé, dans une séquence qui me paraissait dire plus des totalitarismes que tous les cours d’histoire et de morale que m’adressaient mes professeurs
« Je veux faire ce qui me plaît, … je voudrais déjà être roi » chantait le jeune Simba. Mon adolescence pleine d’hormones vibrait à l’unisson, je veux faire ce qui me plaît, je voudrais déjà être écrivain.
« Quand le monde entier te persécute, tu te dois de persécuter le monde … Hakuna Matata, pas de soucis » Timon et Pumba incarnaient ma révolte adolescente contre le monde utilitariste des adultes. La seule voie possible, celle de la fuite et du rejet total du monde tel que l’ont fait les adultes.
Puis la rencontre en Simba et Rafiki, que je voyais comme un prêtre, un confesseur. « Le passé, c’est douloureux mais, à mon sens, on peut soit le fuir, soit tout en apprendre. » Et j’apprenais, comme le lion à grandir un peu, à regarder mon passé et mes erreurs en face et à prendre mes responsabilités.
Plus tard, devenu professeur, je jouais en cours de philosophie sur l’interprétation à leur montrer que celle-ci parle plus de celui qui interprète que de ce qui est interprété. Leur montrant, avec force détails, que la cause de l’exclusion de Timon et Pumba était leur homosexualité, je soulevais leurs protestations et me faisait reprocher de « détruire leur enfance ».
Tout cela faisait de ce dessin animé, une grande fresque riche de sens divers, ouvrant la réflexion psychologique, politique, sociale, esthétique. C’est cette richesse-même qui fait de lui un membre de mon panthéon cinématographique.
C’est pourquoi j’ai aujourd’hui de la rancœur contre Disney et ses auteurs. Dans la version filmique, ils ont voulu privilégier le réalisme et la compréhension. Les images, surtout lorsque le film décalque le dessin animé sont superbes et vaudraient à elles seules le déplacement si la volonté de réalisme ne venait pas saper toute la profondeur de l’original. Il faut l’avouer, dans certaines séquences, le réalisme fonctionne, dans d’autres les auto-références ont un effet comique réussi, mais, la plupart du temps, le spectateur que je suis n’a vu dans cette adaptation qu’une simplification maximale et un appauvrissement symétrique. Les paroles des chansons sont modifiées par peur d’une mécompréhension et en détruisent le rythme. La chanson de Scar, sommet de manipulation est coupée pour être plus réaliste et perd toute sa force évocatrice de la politique. Les traducteurs français ont même évité d’utiliser le mot « Maccabées » sûrement par peur de l’inculture biblique des enfants du XXIe siècle.
Ainsi, d’un conte puissant et riche, Disney a fait une belle coquille vide, mais accessible à tous. Elle se vendra certainement très bien mais en sortant du cinéma, c’est une part de mon histoire que j’avais vu piétinée pour quelques dollars de plus.