Le salarié, l'employeur et le médecin traitant - réflexion sur les rapports entre le droit et l'instinct de solidarité

Le salarié, l'employeur et le médecin traitant - réflexion sur les rapports entre le droit et l'instinct de solidarité

Je publie de temps à autres des articles sur la question du certificat par lequel un médecin traitant se prononce sur l'origine professionnelle de l'état de santé de son patient (v. ici pour un spécimen de certificat). Ce sera l'un des sujets abordés lors du colloque annuel de notre cabinet le 14 novembre prochain à Paris sur le thème "Le travail c'est la santé?"

En résumé, les employeurs et leurs conseils estiment - et les instances ordinales leur donnent systématiquement raison - que le médecin traitant, faute d'accès à l'entreprise, n'est pas habilité à établir ce lien entre travail et maladie. La situation peut éventuellement être différente pour le médecin du travail, mais pour le médecin traitant, la cause est entendue : un tel certificat, qui reprend les dires du patient sans pouvoir les corroborer médicalement, est un certificat de complaisance.

Récemment, le Conseil d'Etat s'est prononcé sur l'un des aspects de ce débat, à savoir le droit pour l'employeur d'engager lui-même une procédure disciplinaire contre le médecin sur ce fondement - droit qu'il a confirmé. J'ai diffusé cette décision. Les réactions (de la part de confrères, partenaires de travail, membres de ma famille, amis) m'ont permis de constater que cette jurisprudence, qui redonne de l'espoir à mes interlocuteurs DRH, peut être perçue comme injuste.

C'est qu'entre le droit et le sentiment de justice, il y a une distance qui dépend des délibérations que chacun fait dans son for intérieur.

Je voudrais proposer une interprétation de l'opinion (émise par les contributeurs à mon billet, mais aussi par une partie du corps médical et des syndicats) selon laquelle les médecins doivent pouvoir soutenir par un certificat le salarié qui se déclare maltraité, violenté, pressurisé, "burnouté" par son employeur. Elle s'explique par l'instinct de solidarité. Quelqu'un appelle à l'aide, on tourne son regard vers lui, on veut qu'il soit secouru. Que le médecin puisse apporter ce secours apparaît tout naturel. Etymologiquement, la mission de l'avocat (ad vocatus, appelé vers) s'inscrit aussi dans ce réflexe humain.

Cet instinct renferme quelque chose d'indispensable (le lien sans lequel nous ne serions que des atomes étrangers les uns aux autres) mais aussi quelques risques, lorsqu'il n'est pas guidé par le discernement. Les pénalistes savent bien, par exemple, que l'impression laissée aux jurés par un meurtre atroce peut leur donner envie que quelqu'un paye pour cela, ce qui peut biaiser leur opinion quant à la culpabilité de l'accusé. Les familles de victimes veulent un coupable pour faire leur deuil. Si l'on revient au champ des relations de travail, l'instinct de solidarité peut être déterminé par des convictions personnelles (par exemple celle selon laquelle les entreprises ont tendance à devenir des milieux pathogènes, moyennant quoi un salarié qui se plaint de son employeur a probablement raison).

Tout en reconnaissant la complexité du sujet, je voudrais proposer deux raisons de penser que l'altruisme ne doit pas amener à dévoyer l'usage des certificats médicaux.

1. Il faut distinguer l'homme qui a vu l'ours de l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours 

Si la jurisprudence estime que le médecin traitant ne peut pas écrire "syndrome anxio dépressif consécutif à une agression au travail", c'est parce qu'elle sait que le médecin traitant n'a pas pu constater l'agression.

La pratique du débat probatoire confirme le mérite de cette distinction entre celui qui a vu, et celui qui a entendu celui qui dit avoir vu. Il faut revoir "Douze homme en colère" pour s'en rendre compte.

Et ce n'est pas parce que le médecin traitant est limité dans ses constatations que le salarié sera dépourvu de toute preuve pour établir ses griefs (témoignages de collègues, accident du travail confirmé après enquête de la CPAM, investigation du CHSCT etc.).

2. La santé mentale est plurifactorielle

Vu la part de notre temps éveillé qui est consacrée à la vie professionnelle, il est tentant de penser que quelqu'un qui se déclare malheureux au travail est sans doute malheureux à cause de son travail.

Pourtant, les facteurs individuels, même s'ils sont souvent dissimulés dans le secret médical ou le secret tout court, ne doivent pas être négligés. C'est l'un des enseignements du rapport de l'Académie de médecine sur le burn-out. 

La discussion se poursuivra le 14 novembre prochain.

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