Le secteur de la construction face à sa révolution numérique

Le secteur de la construction face à sa révolution numérique

L’innovation s’est installée comme la force centrale de nos moteurs économiques, elle est plus de que jamais valorisée comme le signe vertueux de notre modernité, est devenue l’un des marqueurs de notre époque, portée en particulier par les vagues successives des révolutions technologiques, dont la dernière, celle du numérique, promet de dépasser par son emprise et sa vitesse de propagation toutes les vagues précédentes.

Le pouvoir de transformation des innovations numériques n’est pas nouveau en soi, étant à l’œuvre dans de nombreux secteurs industriels ou de services depuis des décennies, son impact sur le grand public : consommateurs, usagers et citoyens, s’étant accéléré au tournant des années 2000, il y a près de 20 ans déjà.

Jusqu’à très récemment pourtant, le secteur de la construction en était resté pour l’essentiel à l’écart, notamment dans les phases de conception, réalisation et exploitation du bâtiment. La raison est simple à analyser : il s’agit en effet dans la rencontre entre ces deux industries (la construction et le numérique), d’un choc de culture et d’un choc de temporalité. La culture assez conservatrice d’un secteur, celui de la construction, très règlementé et financiarisé est un premier facteur. Opérant sur des cycles longs, dont l’objet est de produire des biens avec une valeur économique prédictible, le secteur de la construction est confronté à l’arrivée du numérique, un secteur à cycles courts, voire très courts, ou l’innovation est le moteur de la croissance et de la création de valeur, avec en corollaire cette part d’incertitude et de remise en cause permanente des acquis. Bref un secteur « immobilier » face à un secteur « d’hyper mobilité », le temps long face au temps court.

Cependant y a-t-il une fatalité à ce que ces deux univers à priori si différents ne puissent s’apporter mutuellement ? Il semble que non, et ce pour trois raisons essentielles :

 Le progrès technique, et le numérique en particulier, engendre des effets positifs de gains de productivité et le développement de nouveaux usages, donnant naissance à un processus de création de richesse assorti généralement d’une recomposition de la chaine de valeur du secteur concerné. A contrario le numérique doit s’imprégner des besoins d’un marché pour être en mesure de délivrer toute la puissance de ses innovations. 

 Les destinataires finaux des biens et services finissent toujours, lorsque ceux-ci ont de la valeur, par se réapproprier les progrès techniques qui leurs sont proposés par les professionnels du secteur, ou par d’autres acteurs externes au secteur. Ces mutations d’usages s’imposent alors progressivement comme des évidences, parfois à une vitesse qui n’était pas initialement perçue par les professionnels du secteur d’origine. 

 La troisième raison peut sembler moins intuitive mais nous défendons l’idée que dans le contexte particulier de la construction et de l’immobilier, le numérique peut avoir une contribution positive sur l’impact écologique du bâtiment. Au moment ou l’on aspire à réduire la consommation d’énergie et l’empreinte carbone de nos activités, le secteur du bâtiment a une responsabilité majeure en la matière et l’on aura besoin de la contribution du numérique pour atteindre les objectifs ambitieux qui sont visés.

Alors pourquoi a-t-on le sentiment de cette difficulté particulière du secteur, à saisir l’opportunité de cette rencontre sur les chemins de l’innovation fertile ? Plusieurs raisons à cela, mais la principale tient à l’attitude vis-à-vis du changement, car par essence l’innovation créatrice de valeur n’est généralement pas cantonnée au prolongement de savoirs faire antérieurs. Il ne s’agit pas en effet de progrès d’incréments, mais bien d’une nouvelle manière de percevoir les choses, qui peut perturber ce faisant les ordres établis, et prendre des chemins sinueux avant de trouver sa voie. Or face à cet inconnu dont on ne maîtrise pas (encore) les tenants et aboutissants, plusieurs réactions sont possibles :

 Ignorer le phénomène en se disant que cela ne concerne pas et ne peut s’appliquer à un secteur qui a ses propres règles, contraintes et savoir-faire

 Résister à l’arrivée des innovations en dressant des barrières techniques, administratives, commerciales … culturelles pour tout dire 

 Suivre le mouvement avec plus ou moins d’entrain en se concentrant sur la réalisation de quelques expérimentations (les fameux PoC), ou en faisant reposer l’innovation, pour l’essentiel, sur un tissu de partenariats extérieurs à l’entreprise (le Startup syndrome)

 Adopter pleinement l’innovation et en faire un vrai cheval de bataille et de réflexion stratégique pour conduire le changement en interne, tout en s’appuyant sur un écosystème d’innovation ouvert

Les deux premières voies sont vouées à l’échec à court terme, la troisième reste un pis-aller, seule la dernière ouvre la route du progrès et du succès sur le long terme. Mais alors de quelles promesses pour le bâtiment le numérique et les innovations qui en découlent sont-ils porteurs et comment aborder cette transition ?

Il serait long de répondre à cette question, et certainement n’existe-t-il pas de réponse unique toute faite, mais plutôt des réponses spécifiques en fonction du contexte de l’entreprise, de ses marchés et projets, néanmoins quelques pistes peuvent être dressées pour illustrer le propos :

 La première qui vient à l’esprit est la contribution à la réduction de la consommation d’énergie et d’émission de gaz à effet de serre, facilitée par le pilotage plus précis des systèmes techniques au regard des usages réels et à la capacité d’auto-apprentissage et d’auto-organisation grâce à l’emploi de l’IA

 La seconde qui peut être mentionnée est liée à l’efficience opérationnelle en phase exploitation, découlant du suivi en temps réel des installations et de la maintenance prédictive … 

 Une troisième piste qui se développe et bénéficie directement des possibilités offertes par le numérique est le juste dimensionnement et la qualité d’usage des espaces, en deux mots : moins de M2 pour plus de services. 

Bref le numérique transforme le bâtiment en véritable plateforme de services pour mieux répondre aux besoins évolutifs des diverses parties prenantes : gestionnaires, exploitants, occupants, contribuant ainsi à valoriser le bien sur le long terme. 


Emmanuel FRANCOIS

Chairman Data Governance Alliance for Smarter Citizens. - Senior Advisor Urban Practices - Chairman MAJ Fund - Chair PC Tech & Real Estate ULI France - Élu St Didier au Mont d'Or

5 ans

Bravo Alain pour ce constat limpide. J’ajouterai que cette disruption s’accompagne de nouveaux modes de conception (#BIM) et de construction (préfabrication) sans parler de la transaction (Blockchain) pour des bâtiments modulaires, pluriels, multi usages. Cela débouche sur de nouveaux modèles économiques reposant sur le Building as a Service à l’instar de Mobility as a Service. Nous passons d’une économie de stock fondée sur la propriété à une économie de flux reposant sur les services autour des usages. L’optimisation de l’utilisation des biens en découlant va inévitablement remettre en cause rapidement les anciens modèles... Comme tu le dis si bien, il n’est plus question de se poser encore la question d’y aller ou pas ou pire de faire des POCs, il faut déployer, se référer à #R2S pour s’assurer de la pérennité, de la sécurité des installations et garantir à l’usager une pleine liberté d’usage et complète évolutivité.

Pierre Duchesne - Vallade

Chief Executive Officer (Co-Founder) at Puzzle

5 ans

100% d'accord Alain. Au plaisir de boire un café. Amicalement

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